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Contes cham

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Kadœk gendre [1]


Autrefois il y avait une femme et un mari. Ils avaient une fille non mariée qui venait d'atteindre quinze ans. Deux ou trois fois des garçons étaient venus la demander, mais ses parents l'avaient refusée; ils attendaient qu'il se présentât un garçon qui connut les lettres pour la lui donner en mariage.

Par la suite la mère et le père de Kadœk allèrent demander cette fille à ses parents ,pour Kadœk. Ils allèrent sonder les intentions de ces époux. Arrivés à leur maison ils leur dirent : Nous voudrions dire quelque chose à nos parents (par alliance), mais nous n'osons. Les deux époux répondirent: - Que nos parents parlent ! Qu'ils n'aient aucune crainte !

La mère et le père de Kadœk dirent : Si nous laissons échapper quelque parole que nos parents n'en soient pas offensés. Les deux époux répondirent:

- Quoi que vous vouliez dire, dites-le, n'ayez aucune crainte de nous. La mère et le père de Kadœk dirent :

- Nous avons un garçon et vous avez une fille; donnerez-vous votre fille à notre fils pour qu'ils soient mariés ensemble? Les deux époux répondirent : Nous pensions bien que si vous vouliez nous parler de quelque chose c'était de cela... Ils demandèrent: Votre fils connaît-il les lettres? La mère et le père de Kadœk répondirent : Notre fils connaît les lettres mieux que qui que ce soit; il est habile plus que n'importe qui; quoi qu'il entreprenne il y réussit; n'importe quelle chose en ce monde notre fils peut la faire.

La mère et le père de la fille entendant les parents de Kadœk parler de la sorte répondirent : S'il en est ainsi nous lui donnerons notre fille. Revenez chez vous, et demain matin ordonnez à Kadœk de venir ici pour que nous le voyions.

Les parents de Kadœk revinrent chez eux et dirent à leur fils : Aujourd'hui ta mère 2 est allée demander pour toi une fille; demain matin tu iras te montrer aux parents de la demoiselle. Si tu les vois te demander si tu connais les lettres, tu répondras : Je les connais mieux que n'importe qui, je sais tout faire, je suis le plus habile des hommes. Voilà ce que tu diras aux parents de la demoiselle. Kadœk dit:

- Je le ferai, et le lendemain matin il partit. Les parents de la fille lui demandèrent :

- Connais-tu les lettres? Kadœk répondit :

- Je connais les lettres mieux que qui que ce soit; quelque chose que j'entreprenne je réussis; je suis plus habile que n'importe qui; je suis le plus habile du monde et nul ne m'égale; regardez-moi, je suis très habile.

Kadœk obéissait aux instructions de sa mère, il mentait, il ne connaissait pas les lettres, il était le plus sot garçon du monde et il mentait aux parents de la fille.

La mère de la fille dit à Kadœk d'aller avec la fille chasser les sarcelles dans le paddy. La mère lui demanda : sais-tu tirer de l'arbalète? Kadœk répondit qu'il le savait. La mère alors lui dit : Puisqu'il en est ainsi, voici une arbalète qu'a laissée mon feu mari, veux-tu la prendre pour aller tirer les sarcelles? Kadœk répondit ; Soit ! La mère prit l'arbalète et la lui donna. Kadœk mit l'arbalète sur l'épaule et alla aux rizières. Arrivé aux rizières il vit une quarantaine de sarcelles qui mangeaient le paddy. Les sarcelles mangeaient le paddy serrées en bande dans les rizières. Kadœk tendit l'arbalète, posa la flèche et visa, mais il ne savait comment tirer et resta là une demi-journée. Ces sarcelles avaient mangé tout le paddy de la rizière. Sa femme frappa sur l'arbalète et fit partir la gâchette. L'arbalète partit, la flèche vola et alla toucher une sarcelle, il courut et la saisit. Il revint ensuite et dit des injures à sa femme. Cette fille, dit-il, est vraiment tracassière, j'allais tuer toute cette bande de sarcelles, elle a frappé la gâchette, la flèche est partie et n'a touché qu'une sarcelle. Désormais ne viens pas faire partir la gâchette de l'arbalète, et je tuerai toute la bande de sarcelles, de sorte qu'à l'avenir elles ne mangeront plus votre riz. Si je mens prends-l'en à moi. De peur que tu dises que tu ne le sais pas, je te le dis : Je suis très habile.

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Kadœk parlait ainsi à sa femme. Il lui mentait, il était le plus sot garçon du monde et ne savait pas tirer de l'arbalète, mais il mentait à sa femme pour se faire vanter par elle.

Sa femme et lui prirent la sarcelle et revinrent à la maison. Il ordonna à sa femme de la faire cuire en sauce. Sa femme fit cuire cette sarcelle et l'appela pour venir manger ce ragoût avec ses parents. Il mentit à sa femme et lui dit qu'il ne mangerait pas de ce ragoût, qu'il y en avait très peu, qu'il le laissait aux parents et qu'il n'en mangerait pas ; il dit que chez sa mère chaque jour il allait tirer les sarcelles, et les rapportait pour les faire cuire en sauce et les manger.

La femme et ses parents mangèrent toute la sarcelle, il n'en resta qu'un résidu de sauce au fond de la marmite que la femme oublia de laver. Elle prit cette marmite et la suspendit à un crochet dans la cuisine. Au milieu de la nuit Kadœk entra dans la cuisine, prit avec les doigts ce reste de sauce dans la marmite et le lécha. En la goûtant il trouva cette sauce très savoureuse. Alors il introduisit sa tête dans la marmite pour lécher la sauce. Mais la tête se trouva prise et quand il voulut la retirer il ne le put. Il fit alors semblant d'être malade et se mit à gémir.

Sa femme et ses beaux parents vinrent lui demander :

- Qu'as-tu pour te plaindre ainsi, ô Kadœk ! Il répondit :

- N'approchez pas de moi, vous me tueriez. Sa femme souleva la natte et voulut le regarder; mais il ne la laissa pas faire. Il dit que chez sa mère il était aussi malade périodiquement (?) et qu'alors sa mère et son père n'osaient pas approcher de lui et que, s'ils approchaient le Prok [2] , seigneur de la maison, lui pinçait le bas-ventre.

Sa femme et ses parents n'osèrent donc pas approcher de lui. Ils allèrent consulter les sorts et le laissèrent seul dans la maison; alors il ne gémit plus. Il essaya de retirer sa tête de la marmite, mais il ne le put. Sa femme et sa belle-mère prirent du vin et du bétel et allèrent consulter les pajuw. L'esprit descendit dans la pajuw et dit : Personne ne lui a fait de mal. C'est Kadœk qui s'est fait du mal à lui-même. Soulevez la natte et vous verrez le génie marmite qui l'a frappé.

La belle-mère et la femme revinrent à la maison raconter cela au beau-père. Celui-ci alla soulever la natte et vil que Kadœk avait la tête prise dans la marmite. Il lui demanda :

- Que t'est-il arrivé pour que tu aies la tête prise ainsi dans la marmite? Kadœk répondit:

- Le Prok, seigneur de ma maison, a apporté cette marmite et m'en a harnaché la tête.

Le beau-père se mit en colère contre ce menteur il prit un manche de hache et le frappa à coups redoublés (?) de sorte qu'il dégagea la marmite de la tête de Kadœk. Kadœk s'enfuit chez lui. Ses parents lui demandèrent :

- Que viens-tu faire, ô Kadœk? Mais on avait beau lui faire des questions il ne répondait pas. Sa mère l'interrogea nombre de fois enfin il dit:

- Je ne veux plus de femme, je répugne à vouloir une femme, je voulais une femme (?), mais désormais je n'en veux plus, les parents sont par trop mauvais.

Ses parents lui ordonnèrent cinq ou six fois de revenir chez sa femme, mais il n'y alla pas. Il dit :

- Si vous voulez me tuer j'y consens, mais quant à revenir chez ma femme je n'y reviendrai pas.

Les parents de la femme de Kadœk dirent à celle-ci :

- Aujourd'hui nous avons grand'honte; laisse-le là, il ne manque pas de garçons. Et ainsi les deux époux se quittèrent.

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Notes (de l'auteur):

[1]. Ce conte est intéressant par les renseignements qu'il nous donne sur la manière dont se forment les nouveaux ménages et cette espèce de prise à l'essai du futur mari. L'on remarquera que la rupture donne, dans certains cas, lieu à une indemnité au profit de la femme. Ici il n'en est pas question, soit parce que le conteur a négligé un détail qui va de soi, soit parce que la fille est trop heureuse d'être débarrassée d'un niais. On remarque aussi les formes dans lesquelles sont faites les propositionsde mariage. On retrouvera dans d'autres occasions des circonlocutions semblables.

[2]. II y a quelques divergences dans les renseignements qui m'ont été donnés sur ces prok ou prok patra. D'après les uns ce seraient les esprits des enfants morts avant terme, d'après d'autres les esprits d'enfants déjà pubères morts avant d'avoir été mariés. Ils se manifestent en rêve à leurs parents, leur faitconnaître leur nouveau nom. A partir de ce moment on leur fait des offrandes et ils protègent la maison. Si on les néglige ils se vengent en envoyant des maladies aux personnes de la famille. Les sorciers ou les devins déterminent quels sont les auteurs de ces maux et on les apaise par des cérémonies expiatoires. Les Pajuw sont des sorciers dont le rôle ne m'est pas autrement connu. Les Tjames les identifient aux mu Bong des Annamites. Dourisboure parle assez longuement dans son livre sur les Bahnars de sorciers nommés Bo yao.

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Sources : Antony Landes, Contes Tjames.
Crédits photos : - Illustration : Détail d'une sculpture cham. Collection personnelle.



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