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Les jeunes travailleurs dans les entreprises à capitaux étrangers

Les jeunes travailleurs dans les entreprises à capitaux étrangers




Nguyễn Lê


Jusqu'au début de l'année 1994, il y avait sur l'ensemble du pays 895 projets, grands et petits, dont les investissements se chiffraient à 8.500 $US. Plus de 50.000 personnes ont été sélectionnées pour travailler dans les entreprises et des unités de production à capitaux mixtes ou à capitaux étrangers à 100%. C'est un chiffre important sur le plan de l'emploi et de l'accroissement de la production d'une société. Mais sur un autre plan, toute une série de problèmes liés à l'embauche et au conflit de travail devient un problème de société posé aux travailleurs d'une façon urgente aujourd'hui. C'est ce que cet article voulait évoquer.

Dans la lettre adressée au journal Tuổi trẻ (La jeunesse) notre lectrice N.T.Th., employée de l'entreprise de confection "Thiên Phú" (capitaux étrangers à 100%, sise à Củ Chi), nous a fait cette confidence : "... Dans mon quartier, quand beaucoup de mes copines de mon âge ont appris que je travaille dans une entreprise étrangère, elles étaient jalouses de moi en croyant que j'ai de la chance, mais il faudrait venir voir sur place nos conditions de travail pour connaître la peine de chiader pour un employeur français. Le matin, à six heures pile, il faut être à son poste et on travaille sans arrêt jusqu'à onze heures, ce qui fait cinq heures d'affilée avant d'avoir une demi-heure pour déjeuner. Puis, on regagne ausitôt sa machine pour coudre pendant six heures continues avant de passer le relais à une autre équipe. En moyenne nous faisons une journée de dix à onze heures continues. Nous travaillons le dimanche et les jours fériés, et nous ne touchons cependant que 30 $ par mois. Dans des moments où je suis abrutie, je fais mes calculs : du matin au soir, ma journée de travail pénible ne me rapporte qu'un dollar ! Pourquoi la force humaine est-elle si peu chère ?"

De "L'Esprit vif" à Vinataxi

Si cette plainte de N.T.Th. parvient aux mains des employées de l'entreprise de fabrication de chaussures "L'Esprit vif" (Sáng Ý), elle ne sera prise que pour une souffrance mineure comparée à ce qui s'y passe. Cette société n'emploie qu'une centaine de jeunes travailleuses, et pourtant trois grèves se sont déjà produites dans un laps de temps avec une participation de 70 d'entre elles. Ici, elles doivent se soumettre à un règlement d'entreprise bien plus sévère que celui d'une caserne !
En dehors des réglementations "inhumaines" comme celle qui interdit aux malades de s'absenter bien que la direction en soit avertie, les employées n'ont pas droit d'aller aux toilettes avant de faire quatre heures d'affilée (si on commence à six heures et demie, il n'est permis d'aller aux toilettes qu'une seule fois à partir de dix heures et demie) ... et tout ce qui relève des salaires et des heures supplémentaires est ouvertement bafoué par le patronat. La plupart des travailleuses ont plus d'un an d'ancienneté et pourtant elles continuent à percevoir le salaire minimum de 35 $ (salaire déjà archaïque).

A "L'Esprit vif" il faut sans cesse suppléer au relèvement des équipes (entre 17 heures et 22 heures), mais elles ne perçoivent rien de plus que les 1500 đồng 1 par personne et par équipe, somme que la direction appelle "prime de la relève des équipes". Il n'existe aucun avantage en ce qui concerne le repas de midi. Il n'y a aucune sécurité sociale y compris le remboursement des médicaments à la suite d'une maladie liée au travail, et l'assurance contre les accidents de travail, pour ces cent travailleuses qui sont déjà dans des conditions pénibles. Le cas de Mme Bùi Thi Thọ est exemplaire : pour avoir lutté contre la direction, elle a été mutée dans un atelier de caoutchouc. Après y avoir respiré des produits chimiques elle a eu une grave inflammation de la muqueuse nasale attestée par l'avis d'un médecin. Et pourtant on ne lui a pas remboursé les médicaments, et de surcroît son congé maladie n'a pas été payé. Quant à Madame Lê Hồng Nhung qui a eu un accident de travail (la machine lui a écrasé la main), elle n'a bénéficié d'aucune assurance. Et le comble, on a amputé les jours d'hospitalisation de son salaire ! N'ayant supporté ni les conditions draconiennes ni les exploitations du patronat, les travailleuses se sont soulevées pour faire la grève, elles ont été d'office licenciées par l'employeur étranger soutenu par ses confrères vietnamiens.

Celui-là ne fait pas qu'exploiter et narguer les travailleurs vietnamiens, il se montre encore provoquant envers la loi avec la complicité du patronat vietnamien. Le cas suivant est typique : après deux jours de grève (les 7 et 8 octobre 1994) les représentants du Bureau du Travail, des Mutilés de guerre et des Affaires sociales, et La Ligue du Travail sont venus pour régler le problème. Le patronat a accepté les revendications et promis de réintégrer les grévistes au travail. Mais le 11 octobre quand ils ont repris leur fonction, on leur a enlevé quatre jours de salaire pour deux jours de grève, comme si pour punir ceux qui ont l'esprit de contestation et qui ont mis les autorités au courant de l'affaire. Les travailleurs ont ainsi repris la grève et demandé aux autorités de revenir. Cette fois la direction a carrément fermé la porte au nez des représentants du Bureu du Travail. Monsieur Nguyễn Văn Sơn, délégué du dit Bureau a fait savoir que : "La direction de "L'Esprit vif" a enfreint la loi vietnamienne, nous porterons cette affaire au tribunal pour qu'il la règle devant la loi..."

A travers leur uniforme élégant, la plupart des employés des entreprises à capitaux étrangers sont plus chics que ceux des entreprises locales, ils sont payés en dollars, mais derrière cette façade se cachent des formes d'exploitation très subtiles. A Vinataxi d'élégants uniformes blancs ont été confectionnés pour les 300 conducteurs, non pas au frais de l'employeur comme on pouvait le croire, mais à la sueur et au labeur des salariés. Conformément aux accords, l'employeur a habilement prélevé les 8% des cotisations sociales (des 10% de la masse salariale) pour payer les uniformes. Cette pratique va à l'encontre de la loi en vigueur que les salariés ignorent.

Pour être embauchés à Vinataxi, les conducteurs doivent verser 300 dollars de "reprise" (si on les multiplie par 178 salariés, cela représente une somme non négligeable au cas où l'on la place dans une banque pour toucher les intérêts). Au début, la répartition à 50-50 des revenus semble correcte, mais peu de temps après elle a été ramenée à 40-60, et actuellement elle est à 30-70 (30% pour les conducteurs et 70% pour l'employeur). Quand les conducteurs ont protesté contre cette répartition irraisonnable (car ils doivent débourser à leurs frais pour le carburant, l'entretien, la réparation, le lavage, et bien d'autres dépenses) l'employeur les a calmés en déclarant qu'il paiera à leur place les impôts sur le revenu et les frais de lavage.

Or, dans une lettre adressée au Bureau du Travail le 1er octobre 1994 l'employeur de cette même entreprise a fait savoir qu'à Vinataxi les impôts sur le revenu et les frais de lavage sont à la charge des conducteurs, s'il y a du retard c'est qu'ils ne veulent pas les payer. Un simple calcul permet de savoir que les frais de lavage de mai 1993 à juillet 1994 représentent la somme de 171 millions de đồng. Ces faits montrent néanmoins que l'employeur étranger profite bien du labeur des travailleurs de Vinataxi.

Qui défend les travailleurs ?

Quant aux assurances, bien que les conducteurs aient tout payé, mais à chaque accident l'employeur les laisse supporter les frais allant de 25 à 100% d'après les accords. Par exemple, récemment, le conducteur portant le numéro 51 a eu un accident , -avec une mobilette qui avait tort-, il a dủ dédommager 1,3 million de đồng. L'assureur a bien payé, cependant l'employeur a contraint le conducteur à verser cette somme. Le conducteur numéro 91 a aussi eu un accident dont les dédommagements se chiffraient à 11 millions de đồng. L'assureur a payé 14 millions de đồng mais l'employeur a obligé l'accidenté à débourser encore 6 millions... Bien que les activités de Vinataxi sont légales depuis longtemps, seulement 88 des 178 conducteurs ont obtenu un contrat de travail, et dans cette entreprise, tout ce qui relève de la réglementation du travail dépend du bon vouloir de l'employeur étranger, il n'y a aucun accord conformément à la loi.

Monsieur Nguyễn Chí Thiện, responsable à la Ligue du Travail du secteur des entreprises à capitaux étrangers observe : "Il n'y a aucun cadre permettant aux organismes intéressés d'inspecter la situation des travailleurs vietnamiens dans les entreprises à capitaux mixtes ou à capitaux entièrement étrangers, installées dans la ville sans parler d'autres régions. Le Bureau du Travail n'est au courant des entorses à la réglementation que grâce aux lettres de dénonciation ou seulement quand les grèves éclatent.

D'après Monsieur Nguyễn Văn Sơn, la source officielle sur le travail fournie aux unités à capitaux étrangers, les conditions dans lesquelles ont été établies les réglementations du travail par l'Etat, après la promulgation de la loi sur les investissements, sont inquiétantes. 80 à 90% des unités ont enfreint la réglementation liée à l'embauche. Dans certains cas, la création des entreprises de production n'était même pas passée par le Bureau du Travail ou par les organismes relevant de ses compétences, c'est pourquoi l'inspection et la gestion du travail est très difficile. Rien qu'à propos des accords bipartites entre l'employeur et les représentants des salariés ou le syndicat, considérés jusqu'à présent comme un préalable pour limiter les conflits de travail, seulement 50% des unités de production les ont signés, dans les autres restant cela dépend uniquement de l'humeur, des besoins et des intérêts du patronat.

Les échanges avec Monsieur Nguyễn Văn Đức, inspecteur-en-chef du Bureau de Travail nous ont permis de savoir que les causes viennent, dans la plupart des cas, de la participation des cadres vietnamiens à la gestion et à la direction dans les entreprises à capitaux étrangers, ils n'ont pas rempli leur responsabilité à représenter les travailleurs vietnamiens, dans certains cas ils se sont rangés même du côté de l'employeur étranger. Le cas de l'entreprise "L'Esprit vif" est exemplaire : le directeur-adjoint et le représentant du syndicat se sont rangés dès le départ du côté de l'employeur en causant des préjudices et faisant trainer les conflits. Sur un autre plan, les dispositions sur la gestion, les mesures administratives comme les sanctions prévues pour les entreprises qui enfreignent le droit du travail aux dépens des Vietnamiens, ne sont pas encore appliquées, malheureusement...

Les jeunes travailleurs dans les unités de production à capitaux étrangers subissent encore des dommages, leur droit a été confisqué, leur dignité bafouée. Le travail leur est nécessaire et urgent, mais ce n'est pas une raison pour les faire accepter à n'importe quel prix...



Article paru dansTuổi Trẻ (La Jeunesse) du 29.11.1994.
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