Communications aux colloques

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L'évolution des cultes villageois au Vietnam dans leurs rapports avec le pouvoir
L'évolution des cultes villageois au Vietnam dans leurs rapports avec le pouvoir


Communication faite à EUROVIET III, Amsterdam, 2-4 juillet 1997.




Les origines lointaines du culte des génies tutélaires


L’origine chinoise du culte des génies peut se vérifier au moins par deux indices, l’un étymologique et l’autre lexical. Le caractère chinois dont la lecture sino-vietnamienne est xa - qui signifie « commune » - est formé de deux éléments :
- ( ) « thị », élément clef, désigne ce qui a rapport avec le sacré comme les génies, les dieux, etc. Ce caractère signifie étymologiquement « celui qui fait savoir, qui montre à voir ».
- ( ) « thổ », veut dire « terre ». Par conséquent ( ) signifie à l’origine le génie de la terre, le dieu du sol ; mais avec le temps il finit par désigner « la commune » comme la plus petite division administrative du territoire national. D’autre part, Thành hoàng (génie tutélaire) est un terme chinois formé de deux éléments : thành (fortifications, remparts), et hoàng (fossé sans eau creusé autour des remparts), et qui signifie à l’origine l’espace se trouvant à l’intérieur des fortifications et des fossés qui les protègent. Ces deux termes prirent par la suite le sens de « dieu qui protège les fortifications », c’est-à-dire la cité. Avec le temps les Vietnamiens ont « oublié » l’origine étymologique pour ne garder que le sens, et l’appliquer à leurs génies locaux avec sans doute quelques aménagements circonstanciels. Dans son étude  Magie et religions en terre annamite, Paul Giran qui s’est basé sur Le Livre des Rites chinois écrit : « Les sont les formes sous lesquelles on déifie la nature. Aux Ve et VIe siècles avant notre ère il y avait un pour chaque groupement de 25 familles. Les dieux du sol étaient nombreux. Un auteur chinois dit encore que les sont « les seigneurs des différentes contrées », c’est-à-dire les dieux du sol des diverses tribus constituant primitivement l’empire. (...) Sous la domination chinoise (...) l’Annam fut organisé par les gouverneurs chinois sous le modèle de la nation dominatrice, et ce fut à ce moment, sans doute, que fut introduit le modèle de répartition de la population - dont on conserve encore le souvenir - en ou groupes de 25 familles, mais la chose qu’elle désignait plus particulièrement : le dieu du petit territoire, a pris une autre dénomination, absolument synonyme : celui des thổ thần, géniede la terre. » 14
Sans élargir la discussion et dans l’incapacité de l’épuiser, l’on constate que dans le cadre de la communauté villageoise vietnamienne, l’existence d’un village est déterminée par celle d’un espace géographique nécessaire à la vie. Cette terre nourricière où le village a élu domicile est gardée selon les croyances anciennes par un protecteur, le dieu du sol, à qui on doit rendre un culte. D’autre part, lors de la fondation d’un nouveau village, la tâche urgente consiste à trouver un génie tutélaire bienfaiteur, qui le cas échéant peut être emprunté à une localité avec laquelle les nouveaux arrivants sont en bons termes. Ces derniers, ainsi que les habitants du village qui a bien voulu leur prêter le génie, ont les mêmes obligations envers lui. Entre ces deux localités se tisse alors une sorte de lien fraternel qui les rend solidaires : le village dont le génie est originaire devient le village aîné (làng anh), et l’autre le village cadet (làng em) 15 . Cette pratique liée à la fondation d’un lieu de vie rappelle étrangement le culte rendu à l’esprit du sol. Nguyễn Văn Khoan nous fait encore remarquer que si, pour une raison ou une autre, le groupe d’humains qui vient s’installer sur un nouveau territoire ne trouve pas de génie à sa convenance, il adore en attendant « un vague génie du sol ». Ce détail révélateur vient accréditer la thèse selon laquelle le culte du génie tutélaire a fini par se substituer pendant la longue période de sinisation au culte local, autrement dit au culte rendu à l’esprit du sol, sans l’évincer complètement. Il y aurait eu dès cette époque superposition, voire fusion de deux cultes d’origine différente, l’une locale, l’autre importée. Pourquoi un tel résultat ? Etait-ce la conséquence directe des rapports de forces entre dominants et dominés ou bien parce que le culte du génie tutélaire apporta quelque chose de plus qui manquait au culte local ? Faute de sources sérieuses en la matière, on ne peut qu’épiloguer ou spéculer. On pourrait ainsi dire que les paysans vietnamiens ont tout simplement adapté la nouveauté à leurs réalités, phénomène encore observable au Vietnam à la veille du nouveau millénaire dans maints domaines de la vie. Cette capacité d’adaptation chez les Vietnamiens constitue à la fois un avantage, puisqu’elle leur permet de se raccrocher aux brusques changements, et un inconvénient puisqu’elle ne les incite pas à chercher une solution nouvelle et originale.



Notes :

14. Giran P., Magie et religions annamites, Paris, Ed. Challamel, 1912, pp. 247-248. C’est l’un des travaux les plus sérieux en la matière entrepris à l’époque coloniale, malgré quelques considérations quelque peu ethnocentriques occidentales dictées par le climat ambiant de l’époque.

15. Ibid., p. 336.






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