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Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội, octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique
Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội, octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique






Note de traduction
Table des matières de la première édition (traduction)
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  • Préface de P. Guilleminet
  • Aux lecteurs
  • Première partie - La province de Kontum Deuxième partie - Les coutumes


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    Philosophie & croyances


    Comme d'autres Montagnards des Hauts-Plateaux, les Bahnar croient à des superstitions. On ne peut pas s'empêcher de rire en entendant certaines choses quand on a un peu d'esprit scientifique. Mais pour eux c'est très important car les superstitions sont à la base de leurs activités quotidiennes : une action ou une parole – si on se donne la peine de les étudier – est plus ou moins dictée par une superstition.

    C'est pourquoi quand on veut bien comprendre les traditions bahnar, il vaut mieux d'abord connaître leurs croyances.

    A l'heure actuelle, les croyances des Bahnar sont très complexes, il n'est pas facile d'en déduire un système. Eux-mêmes ne font que suivre les yeux fermés les traditions transmises par les anciens sans en connaître les raisons.

    Néanmoins, si on analyse bien les superstitions on pourrait obtenir les quatre idées suivantes :

    Première idée : l'homme est un être mortel, la vie n'est qu'un passage dans ce monde, la mort constitue le retour définitif. Le but de la vie d'un homme est la recherche du bonheur pour soi-même, en d'autres termes, faire en sorte qu'on devienne riche, respectable et puissant, etc. Le bonheur n'est pas seulement profitable dans ce monde mais on peut encore l'emporter vers l'autre monde pour en jouir [1].

    Deuxième idée : mais hélas, l'envie chez l'être humain est sans bornes alors que ses capacités sont limitées. C'est pourquoi les Bahnar comptent sur les êtres sacrés omnipotents qu'ils implorent afin d'obtenir ce qu'ils souhaitent. Ces êtres sont des génies.

    Troisième idée : C'est pour cette raison qu'il y a une relation intime entre humains et génies. Étant donné qu'ils ne sont pas de même nature, ils ne peuvent se comprendre comme entre humains, d'où implorations, serments et promesses, rêves, etc., servant de liens entre les deux mondes.

    Quatrième idée : À côté des génies protecteurs, il y a des esprits malfaisants, ce sont des génies féroces à qui les Bahnar ne demandent rien, ils cherchent simplement à les chasser.

    Voilà en gros la philosophie et les croyances chez les Bahnar. Maintenant nous présentons successivement les superstitions ayant trait aux êtres humains, aux génies et aux relations entre ces deux mondes.

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    L'être humain - Il ne faut pas croire que les Bahnar n'ont pas de théorie sur l'origine de l'espèce humaine. D'après leurs légendes, il y avait lors de la création du monde deux génies : bok Kơi Dơi (le dieu) et iă Kon Keh (la déesse), ils avaient trois enfants. L'un d'eux fut retenu pour rester génie et les deux autres furent envoyés sur terre pour devenir les hommes, ce sont les ancêtres de l'humanité. Les Bahnar les appellent Iă Bok (Grande-Mère Grand-Père), leur diminutif. Les Iă Bok avaient quatre enfants : deux garçons, Rok et Xet et deux filles, bia Cham et bia Xin. Rok épousa bia Cham, et ils eurent trois enfants, un garçon, tơ đam Hông Lăh, et deux filles bia Duh et bia Man. Xet épousa bia Xin et ils eurent aussi trois enfants : deux garçons, Gi-Ông et Gi-Ơ et une fille, bia Lui. Cousins et cousines se marièrent et donnèrent une grande progéniture, il en fut ainsi pendant des générations et des générations. Plus tard, parmi les descendants se trouva bok Plal, un être d'une lubricité sans bornes. Il réussit un jour, en s'aidant d'un philtre, à séduire bia Phu, fille du roi Rơh. L'affaire fut découverte et le roi Rơh tua bok Plal. Son amant disparu, bia Phu n'arriva pas à en trouver un autre à son goût, elle s'unit alors avec un cheval et elle en mourut éventrée. Furieux, le roi Rơh tua le cheval pour en consommer la viande et les tripes, quant à la peau, il l'utilisa pour couvrir un tambour qu'il s'amuserait à battre. Mais quelle ne fut pas sa surprise, dès que les sons du tambour résonnèrent, ils firent naître chez tout le monde, enfants et adultes du village, des désirs charnels; il s'ensuivit alors un spectacle très bizarre. Réalisant que c'était un mauvais signe, le roi Rơh donna l'ordre de faire disparaître le tambour en le jetant dans la rivière. Le courant l'emporta mais dès qu'on le récupérait et le battait, le même spectacle obscène se reproduisait. Tour à tour, d'un village à l'autre, les humains devinrent mauvais, souillés.

    Ce qui se passait sur terre mit bok Kơi Dơi en colère, il fit tomber la pluie pendant plusieurs jours, il en résulta un déluge qui fit périr tout le monde, sauf un frère et une sœur sauvés par bok Kơi Dơi parce qu'il les trouva bons et gentils. Il leur avait dit de s'abriter dans un tambour en emportant avec eux tous les animaux, un mâle et une femelle. C'est pourquoi les Bahnar appellent ce frère et cette sœur iă bok Xơgơr (Madame et Monsieur Réfugiés dans le tambour). Au bout d'un mois à flotter sur l'eau, iă bok Xơgơr lâchèrent pour voir un pigeon qui ne revint pas; puis il lâchèrent un corbeau et celui-ci revint les pieds salis de boue. Réalisant que l'eau s'était retirée, ils sortirent du tambour et lâchèrent les animaux. Puis ils se marièrent entre eux et eurent des enfants, leurs descendants engendrèrent et engendrèrent jusqu'à notre époque. L'humanité a donc pour ancêtres iă bok Xơgơr. [2]

    Les Bahnar croient que l'être humain est composé d'un corps, akao, et de l'âme pơngơl. Ils savent que le corps est composé d'organes (les cinq sens, les quatre membres, les viscères, etc.) mais ils pensent que si la vie est possible c'est grâce à l'âme et non au corps. Constituante de l'homme, l'âme doit être avec le corps pour qu'il puisse vivre. Prenons même un être bien portant, les Bahnar considèrent que si son âme a quitté le corps, c'est qu'il va mourir.

    L'âme est invisible mais les devins la voient, parfois sous la forme d'une araignée, d'un grillon, d'une sauterelle, etc., et la localisent au sommet de la tête. Il arrive aussi que l'âme se métamorphose en insecte pour aller se promener. L'âme n'est pas unique : les hommes puissants et riches ont plusieurs âmes, chose rare; la plupart des humains ont tous trois âmes. Parmi elles, l'âme du sommet de la tête, là où les cheveux forment un tourbillon, pơngơl xok ueh, est la plus importante. Cette âme constitue le souffle essentiel pour l'homme, tant qu'elle reste au sommet de la tête, on est vivant et quand elle s'en éloigne, on devient alors malade ou on meurt. C'est pour cette raison que les cheveux, surtout ceux du tourbillon, sont très importants. Quand les Bahnar doivent se couper les cheveux ils font très attention. Les deux âmes complémentaires, pơngơl kơpal kol et pơngơl hadang, l'une située sur le front l'autre dans le corps, ont pour rôle de seconder ou remplacer l'âme principale quand elle quitte le corps.

    L'âme principale doit en principe rester avec le corps mais la nuit quand on dort, elle peut le quitter sans mettre la vie en danger pour « aller se promener », car les âmes complémentaires sont là pour la remplacer. Parfois l'âme se transforme en araignée, en grillon, en sauterelle pour faire des sorties comme nous venons de le signaler. La nuit, les Bahnar n'osent pas toucher à ces insectes de peur de nuire, par inattention, à l'âme de leurs parents ou de leurs connaissances car ils considèrent les choses ainsi. Parfois l'âme se promène très loin : au réveil s'ils se sentent fatigués, les Bahnar accusent l'âme d'être allée trop loin. Il arrive aussi que l'âme passe par des endroits où siègent des morts ou des génies. Durant sa sortie, l'âme fait toutes sortes d'activités : s'amuser, bavarder, entretenir ses relations et commercer avec d'autres âmes. Que les rencontres soient bonnes ou mauvaises, l'âme revient en informer le corps à travers les rêves pour qu'on fasse attention ou qu'on s'en réjouisse. C'est la raison pour laquelle les Bahnar demandent à leurs génies à travers les rêves, si certaines choses sont bonnes ou mauvaises. Bref, la nuit l'âme s'en va et ne revient qu'au matin pour rentrer dans le corps [3].

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    Cette habitude de se promener la nuit peut apporter des malheurs à l'âme. Trop éloignée, elle n'arrive plus à retrouver le chemin du retour, elle peut être séduite par une autre et la suivre sans revenir au corps (c'est souvent le cas de l'âme des enfants), ou en errant l'âme est enlevée par des génies, ou entraînée par des morts. Il arrive aussi que l'âme soit bien au sommet de la tête mais que des génies viennent l'arracher, cela se passe quand on a transgressé les tabous, ou bien, nos parents ou nous-mêmes avons fait des promesses de sacrifices aux génies sans les réaliser par la suite, les génies se saisissent ainsi de l'âme pour réclamer leur dû.

    Quand l'âme ne revient pas au corps on devient malade et malheureux. Il vaut mieux demander à un devin d'user de sa magie pour faire revenir l'âme. Si elle revient au corps, on retrouve sa santé d'avant. C'est vraiment ce qu'on dit chez nous « maladie de diable, remède de génie ».

    Les Bahnar croient comme nous au destin qu'ils appellent ai ou Pun ai. Tous les êtres humains sur terre ont leur ai qui est grand chez les uns et petit chez les autres. Ceux qui sont costauds et robustes, qui ont de la prestance, ceux dont les paroles sont crues ou qui rencontrent des malheurs épouvantables comme se faire attraper par un tigre ou se faire ravir l'âme, et qui finissent par s'en sortir, c'est grâce à leur grand ai. Au contraire, ceux qui sont menus et faibles, dépassés par les autres, qui se défendent par tous les moyens mais n'arrivent pas à empêcher les malheurs de s'abattre sur eux, cela est dû à leur petit ai. Chacun son ai, grand on en profite, petit on la subit. Il ne faut pas dépasser les limites de son ai. Si on s'entête à faire des choses insensées, non seulement on n'obtient rien de bon mais en plus on s'attire des malheurs. C'est pourquoi les Bahnar ne construisent jamais une maison trop grande, ni ne brûlent la forêt pour en faire un essart trop vaste. Ils font ce que leurs grands-parents ont fait. Ils ne cherchent pas à contraindre le destin, quand on a un ai grand, la richesse arrive toute seule, si on a un ai petit ce n'est pas la peine de se fatiguer pour rien. Grand ou petit, le ai est déterminé, mais il se peut aussi que certains demandent au devin d'ajouter le ai d'une autre personne au sien; ils appellent cela jôt ai (ajouter du destin). Quand on est malade le ai s'affaiblit et quand on est mort, il disparaît.

    Si on traverse une mauvaise période, et que le devin n'arrive pas à ramener l'âme malheureuse, alors on doit mourir.

    Chez les Vietnamiens nous avons l'expression « sinh ký tử qui », qui signifie « vivre est passager, mourir c'est revenir définitivement ». Les Bahnar y croient également. En se basant sur les superstitions que nous allons évoquer, ils ne pensent pas que la mort c'est la fin. Pour eux, mourir c'est se muer pour vivre dans un autre monde.

    Le mort est enterré avec sa fortune au cimetière du village. Les âmes le suivent. Les deux âmes complémentaires se transforment souvent en ombres, elles font du bruit ou jettent de la terre aux vivants pour leur faire peur. Au bout de quarante ou cinquante ans, cela devient dak ngom, dak ling (une sorte de rosée) qui disparaît complètement. L'âme principale réside furtivement près du cimetière avec les âmes des nouveaux morts. Les Bahnar appellent cet endroit Plei kiak nao, le village des nouveaux fantômes.

    À compter du moment où le mort est enterré au cimetière, les vivants prennent soin de lui comme s'il était encore en vie. On lui construit un tombeau [4] pour qu'il soit à l'abri de la pluie et du soleil ; on fait du feu pour le chauffer [5] (les premiers jours après l'enterrement) ; on lui apporte deux fois par jour un repas composé de riz et de viande, etc. On s'occupe de lui ainsi jusqu'à la cérémonie de mut kiak, l'abandon de tombe, occasion où on partage pour la dernière fois la fortune avec le mort; après l'abandon on n'y pense plus.

    À ce moment-là, le mort quitte le cimetière pour aller à un endroit appelé mang lung (littéralement c'est la « Porte des ténèbres »), qui correspond à l'Enfer chez nous. Là aussi, on a des villages et des quartiers et un roi, appelé potau mang lung (Roi de la Porte des ténèbres) qui gouverne le tout. Il doit avoir été le premier mort bon. En territoire mang lung, les morts continuent d'exercer les mêmes activités que celles de leur vivant : se marier, faire des cultures sur brûlis ou du commerce, aller à la pêche ou à la chasse, etc. Si on était pauvre et malheureux on continue à y subir le même sort, de même ceux qui étaient riches gardent le même statut social qu'avant. C'est parce qu'ils ont cette croyance que les Bahnar partagent réellement la fortune avec les morts [6]. Mang lung ressemble ainsi à notre monde mais inversé : quand il fait jour, c'est la nuit à mang lung, les choses à l'endroit y deviennent à l'envers, les maisons y ont les pilotis pointés vers le haut et le toit vers le bas, etc. [7] Si on se base sur l'esprit scientifique, on dirait que les Bahnar imaginent le monde des vivants et celui des morts, à l'extrémité du diamètre partageant la terre en deux. Autre inversion : si les vivants appellent les morts « fantômes », les morts aussi appellent les vivants « fantômes ». Sur ce point on est proche des Vietnamiens qui appellent les morts « fantômes négatifs », et en retour les morts appellent les vivants « fantômes positifs ». [8]

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    Mais les portes de mang lung ne sont pas grandes ouvertes pour accueillir tout le monde ! Après avoir quitté le cimetière, les morts doivent se présenter devant une dame aux seins longs appelée Dui Dai Tai Toh pour lui déclarer leurs biens. Elle les contrôle et les examine minutieusement. S'ils sont dignes elle les envoie directement à mang lung. Si de son vivant, quelqu'un n'avait pas fait percer ses oreilles, elle l'expédie vivre à part avec les singes et les sarcelles; si on a commis des crimes on est exilé dans un endroit destiné à la rééducation où il n'y a que graviers et rochers, le travail y est pénible. Les morts qui y vont n'ont que leur squelette sans l'enveloppe de la chair, d'où l'appellation plei kiak kơting, village de fantômes-squelettes. Mais ils n'y restent pas définitivement, tôt ou tard, selon la gravité de leurs crimes, ils seront acheminés vers mang lung. S’il s’agit d’un enfant qui téte encore, la dame aux seins longs l’allaite jusqu’à ce qu’il peut manger avant de l’envoyer à mang lung [9] .

    Sur la route obscure menant de chez Dui Dai Tai Toh à mang lung, il y a deux mécaniques, ha kap, entravant le passage : la première en pierre, ha kap tomo, est constituée de deux grands rochers qui s'entrechoquent dans leurs mouvements de va-et-vient, la deuxième en fer, ha kap mam, est faite d'une grande lame qui tranche de haut en bas à intervalles irréguliers. S'ils veulent voir la route et éviter ces engins dangereux, les passants-fantômes doivent acheter du feu chez la dame aux seins longs. D'où la coutume qui consiste à mettre dans le cercueil des perles de verre et du coton afin que le mort puisse les échanger contre du feu. Une fois franchi ce passage dangereux, on arrive à mang lung, et on y reste pour toujours sans que rien ne change.

    Les Bahnar classent les morts en deux catégories, les bons et les mauvais. Les morts bons appelés loch lâng sont les morts par maladies. Ils sont autorisés soit à rejoindre directement mang lung, soit à passer par la rééducation avant d'y aller. Les morts mauvais, loch mê, sont des morts sur le coup, tués par arme blanche, dévorés par un tigre ou agressés par un buffle, suicidés par pendaison, ou bien les femmes mortes en couches, etc. Les personnes mortes d'épidémies en font partie.

    Les Bahnar pensent que les morts mauvais sont tous ceux qui ont été forcés de mourir par des génies malfaisants. Ils ne sont pas admis à mang lung. À chaque fois qu'une personne est frappée de mort subite, un arc-en-ciel apparaît dans l'ouest, le mort prend ce chemin pour atteindre la route de Monsieur Tuk (autrement dit la Voie Lactée), appelée encore plei kiak mê (village de fantômes mauvais). Monsieur Tuk est le premier mort mauvais. Les morts mauvais sont tous employés comme domestiques ou esclaves chez des génies malfaisants, c'est pourquoi ils n'ont pas droit ni aux cérémonies funéraires ni au partage de fortune.

    Génies - Les Bahnar sont polythéistes, ils appellent leurs génies iang. Est-ce que les génies des Bahnar ont d'abord été leurs ancêtres avant d'être génies avec le temps ? On ne le sait pas. Ou bien c'est peut-être parce qu'ils ne comprennent pas les phénomènes naturels comme la vie, la mort, les saisons, le tonnerre, la foudre, les inondations, etc., qu'ils imaginent des êtres surnaturels très puissants ordonnant le monde d'après la théorie du souffle vital ? Là non plus on n'en sait rien. Si on demande aux Bahnar d'où viennent les génies, ils diront qu'à l'origine il y avait des génies puis ils ont eu des descendants car les génies sont comme les hommes, ils se marient, ils font des enfants. Ce qu'il faut retenir c'est que les Bahnar ne pratiquent pas le culte des ancêtres comme nous ; ils ne s'occupent du mort que jusqu'à la cérémonie d'abandon de tombe.

    Pour les Bahnar, le fait de savoir ou pas l'origine des génies n'est pas important. Ce qui est essentiel, c'est qu'ils croient que les génies existent et qu'ils sont des êtres très ingénieux, très sacrés qui ont le pouvoir de bénir ou bannir les humains : ils soutiennent ceux qui les satisfont et font des misères à ceux qui les contrarient. C'est pourquoi les Bahnar sont très respectueux envers les génies qu'ils implorent tout le long de l'année en leur présentant des offrandes afin d'obtenir bonheur et richesse.

    Les génies, qui sont nombreux chez les Bahnar, peuvent être classés en deux catégories : les génies de rang supérieur et les génies de rang inférieur.

    Les premiers sont les dieux qui ont créé le monde et ils veillent sur les monts, les eaux, et les activités de l'homme.

    Bok Kơi Dơi (Principe mâle de la Nature) – Les Bahnar croient que les trois dieux, bok Kơi Dơi, ia Kon Keh, et bok Glaih existaient avant la création du monde. Bok Kơi Dơi est le plus grand parmi les dieux. C'est lui qui a créé le soleil, la lune et les étoiles.

    Il réside aujourd'hui loin dans le ciel bleu et ne fait son apparition devant les hommes que rarement, il ordonne aux autres dieux et génies de surveiller la marche du monde. Les Bahnar le comparent au roi, et les autres à ses serviteurs/mandarins. Lors des cérémonies diverses ils n'osent pas prononcer son nom, ils comptent sur ses mandarins pour lui transmettre leurs vœux. Ils voient en bok Kơi Dơi un vieillard à la barbe et aux cheveux tout blancs.

    Iă Kon Keh (Principe femelle de la Nature) -Iă Kon Keh est à la fois déesse et épouse de Bok Koi Doi. D'après les Bahnar, elle a créé le ciel et la terre à partir du son modelé. Dans leurs rêves, ils la voient parfois transformée en vieille dame en haillons bien sales. Comme son mari, dans les cérémonies ils s'abstiennent aussi de prononcer son nom.

    Bok Glaih (Dieu du tonnerre et de la foudre) – Bok Glaih existe en même temps que les deux dieux créateurs mais il leur est inférieur. Les Bahnar considèrent que c'est lui qui a créé le tonnerre et la foudre, d'où son nom. Au Ciel, il est le premier des mandarins obéissant aux ordres donnés par les dieux créateurs de surveiller les affaires du monde. À la saison sèche il dort, et se réveille à la saison des pluies; il commence et fait alors son inspection partout. Durant l'année écoulée, la personne qui s'est bien comportée, a fait des sacrifices aux génies, n'a pas transgressé les tabous, obtient ses grâces. Par contre, celle qui s'est montrée méprisante est exécutée par la lame de la foudre. Ce qui explique pourquoi ce dieu est le plus respecté et le plus craint des Bahnar et lors de chaque cérémonie on l'invoque par son nom. Bok Glaih peut apparaître sous la forme d'un bouc avec une grande barbe ou sous les traits d'un vieillard aux bras poilus.

    Iă Pom (Déesse) – Iă Pom est la fille de bok Kơi Dơi et de iă Kon Keh et la sœur aînée des Iă Bok, les ancêtres des humains.

    Après sa naissance elle a été retenue au Ciel pour rester Déesse, alors que ses frère et sœur ont été envoyés sur Terre pour devenir hommes. Iă Pom est une déesse d'une grande miséricorde qui vient au secours des démunis et des malheureux, c'est pourquoi elle est adorée par beaucoup de monde. Lors des cérémonies elle est souvent implorée.

    Iang Xơri (Génie du riz) -Iang Xơri, appelé encore iang Đai, est le génie qui veille sur le riz et la cuisine. Il siège dans les essarts et dans la marmite de riz. Il y a deux iang Xơri, l'un mâle l'autre femelle, ce sont les neveux/petits-enfants de bok Glaih. Les Bahnar ont beaucoup d'estime pour ce génie et ils sont contents d'être aimés de lui, c'est grâce à lui qu'on a du riz à manger. On l'implore lors des fêtes à caractère agricole. Les iang Xơri apparaissent sous la forme d'un enfant, garçon ou fille, le corps couvert de gale (allusion à l'aspect du riz non décortiqué); si on les voit sous cette forme-là c'est bon signe. S'ils apparaissent sous les traits d'un enfant ayant la peau blanche et en bonne santé (allusion au grain de riz vidé, aplati), c'est mauvais signe.

    Iang Dak (Génies des eaux) – Ils sont plusieurs. Le plus grand est iang Kơnang Grai (ayant la forme d'un dragon). Les autres lui sont subordonnés et habitent chacun à part, dans les torrents, dans les rivières, ou dans les étangs; parmi lesquels iang Nhâk (ayant la forme d'un serpent) et iang Tơlung Hu (ayant la forme d'un mortier). Ce sont les images réelles que les Bahnar voient dans l'eau. Dans les rêves, iang Nhâk, est un jeune homme aux longs cheveux noirs, iang Kơnang Grai apparaît sous les traits d'un homme poilu, et iang Tơlung Hu un vieux aux gros yeux. Lors des cérémonies, les Bahnar implorent communément iang Dak sans précision personnalisée.

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    Iang Kong (Génies des montagnes) – Ils sont également nombreux. Chaque montagne a ses propres génies, un grand et des petits comme celui des rochers. Parmi les génies des montagnes il faut citer Mơnang Brai, kong Ngut, kong Hareng, etc. Les Bahnar respectent en outre les génies de montagne qui sont au-delà de leur pays comme le génie Chu Hơdrong et les deux divinités iă Năm et iă Cháu. Ces deux dernières connaissent la magie et la transmettent à ceux qui veulent l'acquérir. Les génies de montagne apparaissent en général sous les traits d'un être humain. Dans les cérémonies ils sont invoqués communément sous l'appellation iang Kong.

    Les génies de rang inférieur. – Dans cette catégorie ils sont très nombreux, ce sont des génies d'animaux, d'arbres, d'objets, etc. Ils sont rarement invoqués lors des cérémonies. Seul celui qui a des liens particuliers avec quelqu'un est invoqué nominalement.

    Bok Kla (Monsieur Tigre) – Les Bahnar appellent le tigre Monsieur Tigre comme les Vietnamiens et le considèrent comme un animal sacré capable d'imiter les cris d'animaux. Il lui arrive parfois d'imiter la voix humaine et de se transformer en être humain. C'est pourquoi ils pensent qu'il existe un génie du tigre.

    Roih (Éléphant) – L'éléphant est un animal grand et intelligent, ainsi les Bahnar pensent que le génie de l'éléphant existe. Dans la guerre, ce génie combat les ennemis avec ses défenses. En cas de guerre, le village qui possède les défenses sacrées les apporte pour demander au génie de l'aider à remporter la victoire. Les Bahnar invoquent ce génie lors des cérémonies guerrières.

    Kit drok (le Crapaud) – La peau du crapaud est granuleuse, les Bahnar pensent que c'est l'incarnation du génie du riz. Lors des récoltes on trouve des crapauds dans les rizières, dans les paniers à riz, une autre raison qui vient conforter l'existence du génie du crapaud. Ce génie aide les humains à obtenir de bonnes récoltes et il est invoqué nominalement lors des fêtes agraires.

    Il existe d'autres génies des animaux comme le génie du serpent, le génie du paresseux, des oiseaux, etc. Ce serait trop long de les citer tous.

    Iang Long (Génies d'arbres) – Les génies d'arbres sont nombreux comme ceux des espèces figuier des pagodes, long jơri ; figuier glomérulé, long hara ; hopéa, long breng ; arbre cà chít [ ?] long kachit ; palissandre, long katrak. La plupart de ces espèces sont de grands arbres de la forêt. Les Bahnar croient que les génies les habitent. Ils disent qu'ils les entendent parler et rire lors des travaux agricoles. Pendant les cérémonies, ils invoquent communément iang Long.

    Iang Xatok (Génie de jarre) – Parmi les objets usuels, les jarres sont habités par des génies. Xatok est une jarre rouge comme l'écorce de la canne à sucre, et qui a quatre ou huit oreilles. Les Bahnar pensent que ce vieil objet était fabriqué par les Cham ou les Vietnamiens. Cette jarre n'est pas utilisée pour contenir l'alcool lors des mariages ou des funérailles, on s'en sert uniquement dans les cérémonies cultuelles. Les Bahnar n'achètent cette sorte de jarre qu'après avoir vu dans leurs rêves un garçon ou une fille ou parfois un couple. Certaines jarres peuvent coûter 400, 500 ou 1000$.

    Depuis que Français et Vietnamiens arrivent à Kontum, les Bahnar ont des génies en plus comme le génie de la voiture, le génie de l'État. Au début, à l’époque où il n’y avait que quelques voitures qui montaient à Kontum, surtout la nuit, quand elles éclairaient avec leurs phares, et qu'elles klaxonnaient, les Bahnar les prenaient pour un génie.

    Aujourd'hui les véhicules montent et descendent régulièrement, ils voient ce que c'est, peu de gens croient encore au génie. Par contre le génie de l'État, les gens y croient encore. Voyant leurs compatriotes travaillant pour les autorités devenir de plus en plus riches et respectables, ils pensent que c'est le génie qui les bénit. Ce génie apparaît sous les traits du gouverneur général, du résident supérieur de l'Annam ou il se transforme en pièces d'argent.

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    Notes :

    [1]. Les Bahnar ont cette croyance, alors que le christianisme enseigne que si on veut avoir du bonheur dans une autre vie, il faut s'en passer dans cette vie. Cette contradiction explique la difficulté de l'évangélisation au pays des Montagnards.

    [2]. Cette histoire ressemble au récit du Déluge dans la Bible mais c'est une légende authentiquement bahnar que les missionnaires ont de même attesté.

    [3]. Nous autres Vietnamiens, nous croyons aussi que l'âme s'en va quand on dort. C'est pourquoi, il est défendu de changer de vêtements ou de barbouiller le visage de quelqu'un qui dort surtout quand il s'agit d'un enfant, car on a peur que l'âme risque de ne pas reconnaître le corps quand elle revient.

    [4]. Chez nous, on a les mêmes coutumes.

    [5]. Voir note précédente.

    [6]. Les Vietnamiens croient de même qu'après la mort, une fois en Enfer on continue à garder le même statut social que celui de son vivant : on continue à être mandarin, à être paysan, à exercer son métier. Peut-être qu'autrefois nous avions aussi la coutume qui consiste à partager la fortune avec les morts. Quant aux papiers votifs qu'on brûle pour les morts ce sont sans doute les Chinois qui les ont inventés.

    [7]. Les Vietnamiens ne croient pas au monde à l'envers, mais on dit aussi que le jour et la nuit sont inversés (chez les morts). C'est pourquoi on voit, dans un cortège de funérailles, une personne une torche à la main marchant devant pour éclairer la route au mort.

    [8]. Selon la tradition, autrefois il y avait à Qui Nhơn un marché nommé Hòa Dương. Aux jours du marché, les fantômes apparaissaient pour commercer avec les hommes. Pour distinguer les uns des autres, les commerçants utilisaient l’artifice suivant: l’acheteur devait mettre une pièce de monnaie dans un bassin. L’argent lourd des hommes coulait, alors que l’argent léger des fantômes flottait. Ils distinguaient ainsi les hommes des fantômes.

    [9]. Grâce aux longs seins, il y a beaucoup de lait pour ces enfants.

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    Toutes les photos & illustrations sont tirées de l'ouvrage réédité.



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