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Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội, octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique
Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội, octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique






Note de traduction
Table des matières de la première édition (traduction)
    illustration
  • Préface de P. Guilleminet
  • Aux lecteurs
  • Première partie - La province de Kontum Deuxième partie - Les coutumes


    trait

    Philosophie & croyances (suite)


    Les relations entre l'homme et les génies - Nous avons vu que l'homme doit compter sur les génies dans sa quête du bonheur et que ces derniers sont disposés à l'aider. Essayons de voir quels sont les liens entre ces deux mondes.

    Implorations - Avant d'engager quelque chose d'important, les Bahnar font des offrandes aux génies pour leur demander qu'ils les aident à réaliser leurs vœux. Par exemple, avant les semailles, on fait une cérémonie avec des offrandes pour demander au génie de rendre le riz fécond.

    Promesses - Il arrive qu'ils ne présentent pas d'offrandes aux génies mais leur fassent simplement des promesses. Ils s'en acquitteront généreusement si les génies les aident à réaliser leurs vœux. Par exemple, quand une femme a du mal à mettre un enfant au monde, son époux lui prend la main droite et s'adresse au génie pour lui demander de l'aider à faire sortir rapidement l'enfant, tout en lui promettant de sacrifier bœuf ou buffle, porc ou poulet en signe de gratitude.

    Témoins - Non seulement les Bahnar implorent les génies, mais encore ils leur demandent à l'occasion d'être témoins lors des serments : quand deux personnes s’allient pour se considérer comme père et fils, ou comme frères, ou bien quand on porte plainte pour savoir qui est honnête et qui ne l'est pas.

    Malédictions - Les Bahnar comptent aussi sur les génies pour nuire à la personne avec qui ils sont en conflit. Ils pensent qu'il suffit de présenter une seule malédiction pour que les génies agissent selon leurs idées. C'est encore plus dangereux quand les Bahnar se servent de la magie pour envoûter l'âme de la personne en question. Par exemple, ils prennent des cheveux provenant de l'endroit où cette personne a des tourbillons sur la tête [1], puis ils les mettent dans une petite boîte avant de l'enterrer en proférant ces mots: «J'enterre ce X pour qu'il meure au bout d'un an ».

    Prémonition - Avant de faire quelque chose, s'ils éprouvent soudain de l'enthousiasme ou de l'ennui, les Bahnar pensent qu'ils sont prévenus par les génies de la réussite ou de l'échec et agissent en conséquence.

    Divination - Les Bahnar pratiquent l'art divinatoire pour connaître des choses fastes et néfastes dont les génies les préviennent. Quand ils tuent un poulet pour en faire des offrandes aux génies, ils regardent les trois petits os de la mâchoire inférieure en forme d'ancre. Si l'os du milieu se courbe vers le bas, c'est bon signe, si au contraire il est recourbé vers le haut, c'est mauvais signe. Quand ils cherchent un terrain pour y fonder un village, ils prennent trois philtres en s'adressant au génie : si ce terrain est bon pour accueillir le village, que les philtres soient « deux pile un face ». Lorsque les philtres tombent sur le sol comme ils l'attendaient, ils pensent que le génie est d'accord. Dans le cas contraire, ils vont chercher un autre terrain. L'épreuve de vérité à laquelle on a recours dans les séances de jugement est une variété de divination.

    Présage - Le présage est un ensemble de signes naturels, ou ce dont les génies se servent pour répondre aux questions des humains afin qu'ils poursuivent les actions bénéfiques et évitent les choses néfastes.

    Les animaux bizarres tels que le poulet à trois pattes, les poules qui pondent des œufs mous, ou les choses étranges comme la poule qui chante, le coq qui cherche à copuler les poules sur le plancher, les cochons qui mordillent les mangeoires [2] , sont toutes de mauvais augure. Ceux qui ont ces bêtes doivent les tuer car si on les garde on risque d'avoir des histoires.

    Quand on quitte son domicile pour aller faire des choses importantes comme défricher la forêt pour en faire des essarts, chercher un terrain pour créer un village, faire la guerre, etc., et qu'on voit l'oiseau bào chao voler de droite à gauche (il vient vers nous) ou de l'arrière à l'avant (il nous entraîne), c'est un bon présage. Par contre, s'il vole de gauche à droite (il nous évite) ou de l'avant vers l'arrière (il nous barre la route), c'est un mauvais présage. Si on l'entend chanter à gauche ou à droite, c'est bon signe; par contre, s'il chante devant (il nous barre la route) ou derrière (il nous dit de faire demi-tour), c'est mauvais signe. Quand on va à la chasse et qu'on entend un pic crier fort et que ses cris sont continus, c'est le signe qu'on va avoir du gros gibier, si on l'entend crier à faible voix lente, on aura du petit gibier. Quand on va à la guerre et qu'on voit une buse ayant attrapé un oiseau ou un serpent, volant de droite à gauche, on aura la victoire et beaucoup de prisonniers. Si l'oiseau vole de gauche à droite, il faut reculer, sinon on sera capturé par les ennemis [3].

    Quand on part pour faire du commerce et qu'on rencontre deux oiseaux qui se chamaillent à coups de bec, c'est un bon présage, car les autres vont écouter notre parole, si on rencontre des bêtes mortes, c'est un mauvais présage et surtout si la bête tourne la tête vers nous, c'est très mauvais, on sera ruiné; quand on rencontre une femme enceinte, ce n'est pas bon. Quand on commence à défricher la forêt et qu'on entend déjà des oiseaux ou des muntjacs crier, c'est mauvais signe, les génies ne veulent pas qu'on travaille à cet endroit. Si on n'entend rien, c'est bon signe. Quand on part faire une demande en mariage et qu'on rencontre des animaux (buffle, bœuf, porc, chien) en train de copuler il faut y renoncer, sinon, plus tard l'épouse nous quittera pour son amant. Quand on part faire du commerce et qu'on rencontre une femme enceinte, ça ne va pas rapporter.

    Les rêves - Les génies préviennent les hommes dans leur sommeil des choses fastes ou néfastes, ce sont des rêves prémonitoires.

    Si les Bahnar font des rêves la nuit, au réveil ils les interprètent pour savoir ce que les génies voulaient leur communiquer [4]. Si on n'arrive pas à en trouver le sens, il faut demander l'explication à un devin : pour prévenir les hommes de bonnes ou mauvaise choses, les génies utilisent des signes particuliers que seuls les devins peuvent comprendre. Les bonnes récoltes sont « signalées » par les crues débordant les rives des rivières (on n'a pas assez de place pour stocker le riz) ou par le grand banian plein de branches (les gens qui viendront acheter du riz seront aussi nombreux que les oiseaux sur cet arbre). Si on rêve d'avoir pêché les espèces tràu et silure, cela signifie que le commerce rapportera gros (pour les génies le poisson tràu représente le buffle et le silure le bœuf). La victoire dans la guerre et la capture de prisonniers sont traduites par la capture de singes et de sarcelles, les singes ressemblent aux hommes et les sarcelles peuvent parler, par contre si on voit en rêve quelqu'un qui attrape des singes et des sarcelles, c'est qu'on perdra la guerre et qu'on sera capturé. Lors de la construction d'une maison, ou de la fondation d'un village, si on rêve d'un incendie de buissons c'est mauvais signe, le village connaîtra des épidémies (les épidémies emportent les humains comme le feu ravage les plantes), si on rêve d'un banian sur un grand rocher au bord d'un ruisseau, c'est bon signe, le village serait prospère et tranquille, le grand arbre et le ruisseau représentent la fraîcheur, et le rocher la sûreté, etc.

    Quand les Bahnar font des rêves de bon présage ils n'en parlent à personne de peur de tomber par malchance sur quelqu'un de chơlâm chơlu [5] que les génies trouvent répugnant et qui finiraient par empêcher le bon présage de se réaliser. Si les rêves apportent un mauvais présage, celui-ci sera rejeté dans les endroits souillés comme le seuil de la porte (que tout le monde traverse), le foyer (sur lequel on crache), pour empêcher les génies, dégoûtés, de réaliser ce qui est mauvais. Concrètement, au réveil, on prend un bâton à l'aide duquel on frappe le seuil de la porte ou le foyer en disant : « prière de ne pas laisser le rêve se réaliser sinon il sera aussi affreux que le seuil de la porte et le foyer » [6].

    Remerciements - Après avoir obtenu, grâce aux génies, ce qu'ils ont demandé, les Bahnar leur font des offrandes, d'abord pour leur montrer qu'ils sont reconnaissants, et aussi parce qu'ils espèrent que dans l'avenir leurs vœux seront facilement exaucés. Au cours de l'année, on peut mentionner les cérémonies d'offrandes suivantes comme remerciements : cérémonie du nouveau riz (on la célèbre après les récoltes quand on commence à consommer du nouveau riz), cérémonie d'installation dans une nouvelle habitation, cérémonie de fin de maladie (ces deux dernières sont circonstancielles, on les célèbre seulement quand on a fini de construire une maison ou quand on est guéri d'une maladie). Il existe, au niveau du village, d'autres cérémonies collectives : celle qu'on observe après avoir quitté l'ancien village pour le nouveau, lors de la construction de la maison communale, ou celle qui suit une victoire. Pour ces dernières, chacun doit apporter aux génies ses offrandes constituées d'alcool et de foies des espèces suivantes : poulet, porc, bouc, buffle. Le foie offert aux génies doit provenir de l'animal abattu par celui qui offre. Les animaux doivent être bien choisis au préalable : les mâles à la peau noire . [7] . À propos du poulet on en choisit en général un gros, un petit n'est acceptable que pour le génie du riz qui a un petit faible pour le foie de jeune poulet. Concernant le porc et le bouc, on peut prendre à sa convenance un gros ou un petit, le génie n'est pas difficile sur ce point. Il arrive qu'on en prenne un petit, mais alors toujours accompagné d'un poulet. Quant au buffle, on ne doit pas en prendre un ni trop âgé ni trop jeune : celui dont la longueur des cornes est comprise entre une et deux mesures correspondant à l'écartement des doigts d'une main. Lorsqu'on offre du foie de buffle, il convient d'offrir aussi du foie de bouc, de porc et de poulet, un animal par espèce.

    Selon qu'ils sont riches ou pauvres, les Bahnar font des offrandes généreuses ou simples aux génies. Les offrandes simples se composent d'alcool, de foie de poulet et éventuellement de foie de porc et de bouc en plus. Les offrandes généreuses se distinguent de celles-là par la présence du foie de buffle en plus.

    Cependant les offrandes fixées peuvent être modulées par les promesses d'en offrir d'autres non réglementaires comme le buffle et le bouc blancs, le bœuf, le cheval.

    Quand les Bahnar offrent du foie de buffle, ils le font avec beaucoup de solennité, c'est la cérémonie du grong, après quoi on invite les villageois au banquet : on boit et on mange jour et nuit et en musique.

    Il n'existe pas de lieu de culte chez les Bahnar, c'est pourquoi ces cérémonies sont célébrées chez eux, soit dans l'habitation même soit dans la cour (quand il s'agit d'une cérémonie impliquant tout le village, ils la font à la maison commune ou dans la cour de celle-ci). Lors des cérémonies qui ont lieu chez soi, la disposition des offrandes est très simple : une jarre d'alcool, quelques cannes, et un bol contenant du foie. Ils les placent un peu loin du seuil de la porte pour que les génies puissent trouver l'entrée menant aux offrandes. Si les cérémonies ont lieu dans la cour, il faut alors planter au préalable un mât appelé gơl, au pied duquel on dépose une tube d'alcool et une sorte de récipient contenant du foie. D'après eux, le gơl est une échelle permettant aux génies de descendre pour prendre part aux offrandes. Le gơl est très décorativement préparé : un grand bambou dont le sommet est surmonté de couronnes retenues par de petites tiges ; autour de ce bambou central on plante de petits bambous. Enfin une corde en forme de huit entoure l'ensemble, elle sera nouée au cou de la bête dont le foie sera offert en offrande (voir schéma). Quand on creuse le trou pour y planter le gơl, on y met une espèce d'armoise pour le rendre solide et on plante en plus un pied d'érythrine et un pied de kapokier. Ces deux végétaux ont des significations particulières : d'abord pour que les descendants sachent, en les comptant, combien de buffles et de boucs ont été sacrifiés [8] aux génies, puis encore pour que toute la famille soit en bonne santé, comme l'érythrine ou le kapokier qui poussent facilement [9].

    Certains font diverses promesses d'offrandes aux génies pour qu'ils les aident, mais quand ils ont obtenu ce qu'ils voulaient ils oublient ou font semblant d'oublier leurs paroles. Envers ces ingrats, les génies bahnar ne peuvent rien faire d'autre que capturer leur âme ou celle des leurs pour leur faire acquitter leurs dettes, leur âme ne sera rendue que quand ils auront présenté des offrandes. Cette cérémonie, appelée cérémonie d'acquittement des dettes, sera grandiose ou non, cela dépend des promesses données.

    Alliances - Les Bahnar font encore des alliances avec certains génies pour qu'ils les bénissent d'une façon particulière.

    Ceux qui font des alliances avec des génies de rang supérieur bénéficient de la richesse et du pouvoir : le génie de la foudre leur procure richesse, longévité, et art de la guerre; iă Pôm et le génie du riz leur donnent de bonnes récoltes ; le génie des eaux leur donne des poissons, les protège des noyades, et leur évite les pertes lors des inondations; le génie des montagnes les aide à vaincre les ennemis sur les champs de bataille, à devenir riches, et leur apprend la magie. S'allier avec les génies de rang inférieur est aussi bénéfique : le génie du tigre procure du gibier en abondance, le génie de l'éléphant aide à faire la guerre, le génie de l'arbre apporte la longévité et la progéniture; le génie de la jarre procure des biens, le génie de l'État de la richesse, etc.

    Les génies s'allient aux humains de plusieurs façons : le génie devient père et l'humain enfant dans la relation père-enfant, ou le génie devient frère aîné et l'humain frère cadet/sœur cadette dans la relation fraternelle [10] .

    Si une personne qui a un « destin grand » (ai tih) arrive à passer des alliances avec des génies, les choses se passent de la façon suivante : une nuit en plein sommeil, cette personne voit arriver le génie chez elle. S'il s'agit d'un génie de rang supérieur, il apparaît directement sous la forme humaine, si c'est un génie d'animal ou d'arbre il se manifeste d'abord en animal ou en arbre avant de se transformer en humain. À son arrivée, le génie et l'homme discutent un moment avant de se montrer intéressés aux relations d'alliance. Les deux parties échangent leurs idées : le génie promet de l'aide, et à son tour, l'homme promet des offrandes, etc. L'accord conclu, le génie offre à l'homme un objet en souvenir. Si l'objet est une charrue, le génie veut faire comprendre par là qu'il l'aidera à avoir beaucoup de grain, si c'est une courge (la jarre du génie), il lui procurera de la richesse, une corde signifie que le commerce lui sera bénéfique, parce que la corde sert à attacher les buffles et les bœufs; un morceau de bambou veut dire qu'il aura beaucoup de gibier, car le bambou sert à fabriquer des flèches et les pièges qui sont les outils de chasse. Lorsque l'homme accepte le cadeau, le génie se présente pour dire qui il est, avant de se retirer.

    Le lendemain ou quelques jours plus tard, l'homme en question trouve, soit sur la route, soit pendant son travail sur les essarts, ou lors de la chasse ou de la pêche, une pierre dont la forme est particulière par rapport aux autres, ronde ou en forme de marteau. Il se peut qu'il trouve une pierre ou un objet dans une situation peu ordinaire : un chien aboie autour d'une pierre, un caillou sur une feuille de riz, un rocher qui tombe d'une montagne, ou des objets tels qu'une pierre, une jarre, une tasse se trouvant piégés dans un filet de pêche, etc. On ramasse alors l'objet et le rapporte à la maison car il s'agit d'un signe de confiance que le génie allié a envoyé. Les Bahnar appellent cet objet tơ mong. Aujourd'hui, ils considèrent l'argent comme le tơ mong du génie de l'État.

    Ces deux choses, - le rêve puis la rencontre de l'objet ou l'inverse [11] -, doivent avoir lieu l'une après l'autre pour que les Bahnar les considèrent comme manifestations du génie voulant faire alliance avec eux. Si seule l'une d'elles a lieu, ils la considèrent alors comme un hasard dépourvu de toute signification.

    Le tơ mong rapporté est soigneusement gardé et surveillé soit à la maison quand il provient du génie du riz ou de la jarre, soit à la maison communale quand il s'agit d'un objet de confiance du génie de la montagne ou de l'éléphant. Lors des cérémonies, on le sort pour l'imbiber de sang avant de le ranger; en cas de catastrophe comme les incendies ou les inondations, le tơ mong est le premier objet qu'on sauve. Cependant si les Bahnar prennent soin du tơ mong c'est parce qu'il représente l'objet de confiance du génie et son lieu de résidence quand il revient, et non pas parce qu'il représente le génie lui-même. Et pour preuve, quand le tơ mong se trouve souillé lors des incendies ou des inondations, ils le jettent car ils pensent que le génie l'a quitté pour un autre endroit.

    Quand quelqu'un fait alliance avec un génie, tous les membres de sa famille deviennent ses proches. Cette alliance entre génie et homme ne dure pas au delà de quatre générations au terme desquelles si le génie ne se manifeste pas en rêve, les alliances s'estompent petit à petit. Il arrive aussi que le génie se montre attaché aux alliances mais que l'homme les refuse car il a peur de faire des dépenses qui ne lui rapporteront pas. Parfois, deux personnes se mettent d'accord pour s'allier avec un seul génie pour dépenser moins lors des cérémonies.

    Il est défendu à ceux qui ont des génies comme alliés de faire un certain nombre de choses. L'allié du génie du riz est interdit de déraciner le riz et de le couper pour ne pas faire mal au génie. Quand on s'allie avec le génie de tel animal il est interdit de manger cette espèce. Quand on s'allie avec le génie de tel arbre il faut prendre soin de cette espèce.

    Parmi les faveurs que le génie procure à l'homme, il y a le métier de magicien/sorcier appelé pơjâu, et qui est bien spécial, profitons-en pour en parler.

    Les Bahnar appellent pơjâu ceux qui se servent de la magie pour trouver les causes de maladies et guérir les malades. Il y a quatre types de pơjâu : pơjâu choltep (le magicien qui éclaire), pơjâu hơđa (le magicien qui mesure à l’empan), pơjâu plaih (le magicien qui mesure à la brasse), et pơjâu pơtuh kơtap ir (le magicien qui écrase les œufs).

    Peuvent devenir pơjâu homme et femme mais la majorité des pơjâu sont des femmes.

    Chaque catégorie de pơjâu utilise une magie différente d'où la différenciation. Prenons l'exemple de quelqu'un qui est malade et qui fait appel à un pơjâu pour le soigner. S'il invite un pơjâu éclaireur, celui-ci, pour chercher les symptômes des maladies, éclaire à l'aide d'une torche de cire, tout le corps du malade. Si c'est un pơjâu qui mesure, il procède de la façon suivante : une personne dit le nom d'une maladie, le pơjâu fait des mesures sur son propre corps à partir du bout du majeur de sa main gauche jusqu'à son épaule droite, puis il mesure dans le sens inverse. Si les deux mesures sont identiques alors le malade n'est pas atteint de la maladie supposée. Dans ce cas, on énonce une autre maladie, et le pơjâu refait ses mesures ; si les deux mesures ne sont pas égales, le malade est bien atteint de la maladie supposée. Le pơjâu qui mesure à la brasse procède de la même façon, bien sûr à la brasse au lieu de l’empan. Il prend un bout d'une longue étoffe, et écarte ses bras, la longueur de la brasse est marquée par un nœud; puis il reprend par le bout marqué du nœud et recommence à étendre les bras. Les conclusions sont les mêmes que celles relatives au pơjâu qui mesure à l’empan. Les pơjâu qui écrasent les œufs ne sont pas des guérisseurs, ils se servent de leur magie pour identifier les voleurs ou les jeteurs de maléfices. Ils procèdent de la manière suivante : un œuf de poule étant posé entre l'index et le majeur du pơjâu, on énonce les noms du voleur présumé, à l'annonce du nom du suspect si le pơjâu arrive à écraser l'œuf, alors le suspect est bien le voleur.

    Certains disent que le savoir du pơjâu qui écrase les œufs a été transmis par les Lao, d'autres affirment que le génie de la foudre en est le dépositaire. Il ne faut pas oublier qu'avant de montrer leur art les pơjâu ont dû s'entraîner longtemps à écraser les œufs.

    Le savoir des «pơjâu qui mesurent» a été transmis par le génie du paresseux à ceux qui se sont alliés à lui. Celui qui voit en rêve le génie lui donner un morceau de bois d'une longueur d'un empan, il deviendra pơjâu qui mesure à l’empan, si l'objet est une longue branche, il sera le pơjâu qui mesure à la brasse.

    Les pơjâu éclaireurs sont des disciples de deux génies de montagne, iă Năm et iă Chău11. En général, ils débutent leur vie de pơjâu de la manière suivante : ordinairement en bonne santé, une personne a soudainement mal partout et tombe comme morte, et ne se réveille progressivement qu'au bout de quelques jours. À une autre personne, il peut lui arriver de sentir son sang bouillir dans ses veines à en perdre la tête, elle commence alors à chanter, à danser, à rire et à dire des grossièretés tout en enlevant ses habits pour courir partout; il se peut qu'elle grimpe à un grand arbre, ce qu'en temps normal elle n'ose pas faire. Au bout de quelques jours, la personne retrouve ses esprits, et tombe sur une pierre de forme spéciale qu'elle ramasse et rapporte à la maison; elle la range dans un lieu sûr. C'est la pierre tơmong [12] qui l'accompagne lors de ses sorties pour soigner les malades. Au bout d'un certain temps, la personne finit par raconter aux gens du village qu'elle n'était pas malade, et que si elle a déliré c'est parce que son âme était allée apprendre le métier de pơjâu éclaireur auprès de iă Năm ou de iă Chău; désormais si quelqu'un est malade il suffit de faire appel à elle. Cette catégorie de pơjâu ressemble, si nous ne nous trompons pas, aux médiums chez les Vietnamiens. Ces derniers aussi sont des gens ordinaires qui, un jour, ont mal à la tête, ont le vertige, et se mettent à danser comme des fous tout en racontant des histoires de génies. Certains se servent de la magie pour soigner les malades. Quand ils retrouvent leurs esprits, ils disent comme les pơjâu bahnar, que les génies les ont possédés et leur ont dit ce qu'ils devaient faire. Certains ont gardé ce métier comme moyen d'existence.

    Chez les pơjâu éclaireurs, il existe deux écoles : les disciples de iă Năm qui ne savent qu'éclairer et aspirer les objets pénétrés [dans le corps du malade par la magie deng], et ceux de iă Chău qui connaissent en outre la magie deng.

    Les pơjâu éclaireurs sont soumis à des règles strictes : ils doivent préparer eux-mêmes leur repas en n'utilisant que leurs propres casseroles et feux, il leur est interdit de manger des crapauds, des têtards, des bêtes qui vivent dans les eaux boueuses en somme, de consommer du porc et du chien car ces animaux se nourrissent d'excréments humains.

    Les tabous - Les génies défendent strictement aux humains de faire des choses contre nature. Celui qui ose contrevenir à leur volonté sera puni, il nuira par la même occasion à la communauté tout entière. Les choses défendues sont :

    - Obliger les bœufs et les buffles à faire des travaux agricoles [13]. Les génies les ont donnés aux humains pour la consommation, il est donc interdit de les utiliser à d'autres fins.

    - Planter le gơl et y attacher un chien pour le faire passer pour un buffle dans la cérémonie du grong : le gơl n'est planté que lorsqu'on fait des offrandes aux génies. Dès qu'ils voient un gơl planté, les génies pensent qu'elles leur sont destinées. S'ils ne voient rien venir après, ils puniront. Le chien est un animal dont les génies ont peur et qui leur répugne. Peut-être en ont-ils peur parce que, comme les Vietnamiens, les Bahnar pensent que le chien peut voir les génies [14]. La répugnance vient du fait que cet animal mange des saletés. Ainsi quand on offre un chien aux génies, c'est contre nature et irrespectueux. Quand garçons et filles non mariés, hommes et femmes mariés (adultère), et surtout ceux de la même famille, frères et sœurs couchent ensemble, c'est contre nature, si on transgresse cette règle le village entier devient chơlâm chơlu.

    Il en est de même quand une fille-mère accouche d'un enfant dans le village. Jeter dans l'eau les affaires des défunts, les nids d'oiseaux est contre nature. Celles-là doivent être déposées au cimetière et ceux-ci doivent être sur l'arbre.

    Celui qui viole les tabous sera puni : le génie de la foudre le foudroiera, les autres génies le rendront malade, feront mourir hommes et bêtes, provoqueront inondations et sécheresse, etc.

    Celui qui a commis involontairement ces monstruosités doit faire une cérémonie pour demander pardon aux génies, sans quoi la vie des autres sera en danger à cause d'elles. Après la cérémonie du grong (qui dure un jour et une nuit et réunissant garçons et filles ensemble) le tơmplei fait boire aux jeunes un mélange de poudre de corne de chevreuil et de sang (il s'agit d'une méthode de détection des mensonges dont il sera question plus loin). Quelques jours plus tard, si on voit apparaître des boutons sur son corps, c'est qu'on a eu des relations sexuelles illicites. Les jeunes couples coupables doivent demander pardon aux génies en faisant des offrandes, composées de viande de porc et d'alcool afin que le village soit tranquille. Au jour du rendez-vous, tout le monde, enfants et adultes, se rend à la maison communale. Le couple fautif mélange du sang de porc à de l'alcool et prend une feuille de po’ngan pour la tremper dans le mélange, puis il verse ce liquide sur la tête des autres. À son tour chacun dit (aux génies) : ces jeunes ont versé du sang mélangé à de l'alcool sur ma tête, à partir d'aujourd'hui ne me rendez plus malade.

    Mais il arrive que les Bahnar retournent les tabous contre les génies pour en tirer profit, par exemple, on verse du sang de chien sur le pied d'un arbre centenaire pour faire peur au génie, et le faire partir, ceci dans le but de pouvoir abattre l'arbre, et transformer le terrain en essart, ou bien lors des sécheresses, on jette les affaires des défunts (c'est-à-dire celles des fantômes) dans la rivière pour mettre les génies en colère, ils feront ainsi tomber la pluie, etc.

    Les génies malfaisants - Ce sont les génies qui ne font que nuire aux hommes : les génies d'épidémies, les génies qui poussent l'homme à mourir subitement et bien d'autres qui n'ont pas de noms ni de fonctions particulières.

    Les génies d'épidémies sont iang chu (variole), iang pơhơrpơih (rougeole), iang chu ho’nong (varicelle), iang Prang ko’pô ro’mo (épidémies animales). Ces génies malfaisants sont appelés communément Po’rang. Ils demeurent en temps normal dans les grands arbres, à l'ombre, et quand il fait chaud ils sortent pour aller se nourrir d'humains.

    Les génies qui poussent les hommes à mal mourir sont, par contre, bien identifiés : To’dam iang In est un génie non marié qui passe sa journée à jouer du bro đung (une sorte d'instrument de musique à corde) en allant partout séduire les femmes et les filles, les pousser à mourir de mort non naturelle pour en faire des épouses et des servantes; de même, Bia Bo’xah est une génie qui séduit les hommes et les incite à mourir de mort non naturelle pour en faire des époux et des domestiques. Les génies qui n'ont pas de noms particuliers sont très nombreux. Un certain nombre de Bahnar les appellent To’ noih ou kiak to’ noih. Ils ont la forme de cochons et vivent dans les grottes, dans les fossés, ils crient « uk, uk » et cassent les pieds à ceux qui construisent des maisons ou font des essarts sur leur demeure.

    Les Bahnar ne demandent rien à ces derniers, ils cherchent simplement à les faire partir gentiment, ou ils se servent de talismans pour les empêcher de rester, ou bien ils demandent au génie de la foudre de les aider à les chasser; s'ils n'y parviennent pas, ils quittent alors le village ou le terrain pour aller ailleurs.

    trait


    Notes :

    [1].Les génies siègent à cet endroit.

    [2]. Les mangeoires sont en bois dans lesquels on verse la nourriture pour les cochons.

    [3]. Parmi les trois espèces d'oiseaux, bào chao, pic et buse, les Bahnar croient plus au premier qu'aux deux autres. Si l'oiseau bào chao les prévient du bon présage et que par la suite le pic ou la buse apporte le mauvais présage, ils continuent leur chemin. En partant s'ils rencontrent un mauvais présage, ils cueillent des feuilles puis les écrasent avec les pieds en disant : l'oiseau vole mal, chante mal, je n'y vais pas, je rentre. Une fois rentré à la maison, ils boivent un coup et fument une pipe avant de repartir. Quand ils auront franchi l'espace du village ils diront : oiseau, tout à l'heure tu volais mal et chantais mal, vole bien et chante bien maintenant. Si tu chantes bien, j'y vais, sinon je rentre et je repartirai demain. Demain si c'est encore mauvais, je n'irai pas. Les Bahnar pensent qu'au bout de trois jours, ça finit par être bon.

    [4]. Quand les Bahnar revoient en rêve les activités de la journée passée, dans ce cas ils ne les attribuent pas aux génies.

    [5]. Chơlâm chơlu signifie « souillé » sur le plan moral, par exemple, un couple non encore marié qui vit en concubinage est souillé et il transmet la souillure à tout le village.

    [6]. Chez nous Vietnamiens aussi, quand on fait des rêves annonçant des mauvaises choses, on n'en parle à personne, on se dirige vers une poutre de la maison et on lui raconte le rêve. Une fois le rêve raconté on lui demande : bon ou mauvais ? Et on répond à soi-même que c'est bon, avant de cracher (c’est la coutume à Huế).

    [7]. Cette coutume existe aussi chez nous.

    [8]. On ne dresse le gơl que quand on sacrifie un buffle ou un bouc ; chaque animal est attaché à un gơl différent ; les poulets et les porcs n’y sont pas attachés.

    [9]. Avec le temps, le gơl finit par tomber alors que l'érythrine et le kapokier grandissent.

    [10]. Certains Bahnar disent que les génie du riz et de la jarre sont des esclaves des humains.

    [11]. Comme la jarre xatok, qui est le tơ mong du génie de la jarre. Quand on a vu la jarre, il faut néanmoins attendre la manifestation du génie avant de l’acheter.

    [12]. Voir plus loin.

    [13]. À l'heure actuelle, les Bahnar qui habitent le pourtour de la ville de Kontum observent de moins en moins ce tabou, ils utilisent de plus en plus ces bêtes dans les travaux agricoles comme nous venons de le voir plus haut.

    [14]. Les Vietnamiens croient que le chien peut voir les fantômes et les diables, c'est pourquoi quand il aboie la nuit ils disent qu'il aboie aux fantômes.

    trait


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    Toutes les photos & illustrations sont tirées de l'ouvrage réédité.

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