Krishnamurti
Krishnamurti
Parcours initiatique de Krishnamurti
Parcours initiatique de Krishnamurti
Des enfants avaient pour habitude d'aller jouer sur une plage du côté de Madras, l'actuelle Chennai.
Parmi eux un adolescent que rien de particulier ne distinguait de ses camarades. Pourtant d'après son
horoscope, on disait qu'il deviendrait une personnalité très importante. Il était plutôt rêveur et mauvais élève,
on le traitait de cancre et à l'école il recevait quotidiennement des coups de fouet. Il rentrait de l'école sans ardoise ni
cahier car il les avait donnés à ses petits camarades qui n'en avaient pas; une passion cependant l'animait,
la mécanique : il pouvait démonter et remonter entièrement, sous le regard bluffé
de son père, des montres de cette époque et plus tard des moteurs d'automobiles pour comprendre le fonctionnement.
Très observateur, cet huitième enfant de la
famille qui en comptait dix, était aussi un jeune qui aimait rire, faire des farces et raconter des blagues
[1].
Le père, brahmane, membre de
la société théosophique et la mère, une adoratrice de Sri Krishna,
d'où le nom donné à l'enfant, Krishnamurti, élevaient leurs enfants dans l'ambiance traditionnelle d'une
famille de Brahmanes intégralement végétariens.
On était en 1909, le futur Krishnamurti avait 14 ans.
L'histoire de Krishnamurti est en quelque sorte la rencontre de l'Occident à la recherche de la
spiritualité en Orient.
Un jour des Occidentaux passaient par la plage et ils remarquèrent le jeune Krishnamurti en train de jouer
avec les autres enfants. Leadbeater, le bras droit de
Mme Besant, élue présidente de la société théosophique
en 1907, dit que le jeune qu'il venait de découvrir, sur la suggestion de deux de ses collaborateurs,
attirait son atttention car il ne montrait pas la moindre trace d'égoïsme.
À partir de là les choses allèrent assez vite. La société théosophique prit en charge l'éducation
du jeune Krishnamurti pour en faire "l'Instructeur Mondial" non sans problèmes car le père ne voulait
pas perdre ses enfants (Krishnamurti était en fait accompagné de son jeune frère Nitya avec qui il était
très lié, il refusait de partir sans celui-ci). L'affaire se compliquait et Mme Besant dut s'adresser au
Conseil Privé de la Couronne qui trancha
[2] : elle avait la
garde des enfants.
On les envoya par la suite en Angleterre pour leur donner une éducation privilégiée. Si Nitya était studieux
et bon élève, Krishnamurti échoua plus d'une fois à l'examen d'entrée à l'université, rendant parfois
copie blanche. Parallèlement à son éducation à caractère intellectuelle, on s'occupait évidemment de
son éducation spirituelle. L'Ordre de l'Étoile fut créé en 1911 pour préparer l'événement : le jour où
Krishnamurti serait investi de son rôle d'Instructeur du Monde.
Entre temps, un événement secoua Krishnamurti profondément : la mort de Nitya survenue vers 1925 le
plongea dans une détresse et une souffrance atroces. Il en sortit transformé.
Le temps passa. Après deux ans d'intenses préparations et de réflexions, Krishnamurti prit une décision
qui allait déterminer le reste de sa vie. La réunion du camp d'Ommen (une bourgade dans l'Est des Pays-Bas)
avait été fixée début août 1929.
Krishnamurti y prit la parole devant 3000 personnes le 3 août, date prévue pour son intronisation, et décida de
se séparer des
théosophes
en dissolvant l'Ordre de l'Étoile à la tête duquel il était placé et en
s'expliquant. La surprise fut grande : la société théosophique avait tout prévu pendant dix-huit
ans sauf cela.
Mme Besant prit les choses avec beaucoup de sagesse en acceptant que son protégé qui la considérait
comme sa mère fût aussi son maître.
Sa déclaration "
La vérité est un pays sans chemins" devint désormais l'essence de son enseignement.
Après avoir rendu tous les dons reçus par l'Ordre de l'Étoile à leurs donateurs (dont le château d'Eerde
du Baron van Pallandt, aux Pays-Bas avec ses deux mille hectares de forêts alentour) Krishnamurti se consacra,
sa vie durant, à aider l'être humain à se libérer de toute dépendance de quelque nature qu'elle soit,
refusant le rôle de gourou qu'on voulait bien lui attribuer.
Sur sa route il a croisé et rencontré bien sûr nombre de personnes. Citons par exemple l'écrivain
états-unien d'origine britannique, Aldous Huxley, le physicien David Bohm, Maurice Wilkins, prix Nobel de médecine en 1962
[3],
le docteur Jonas Salk, qui a découvert le vaccin contre la poliomyélite, le professeur de philosophie Jacob Needleman,
Greta Garbo, Charlie Chaplin, Bertrand Russell qui dénonçait
les crimes commises pendant la guerre du Vietnam, et dont le nom a été donné au tribunal (Sartre-Russel),
Jawaharlal Nehru, Mme Indira Gandhi assassinée en 1984, Walpola Rahula, grand spécialiste du bouddhisme,
pour ne citer que ceux-là.
[...] Désespérant de trouver un endroit agréable, ils (les Huxley et Krishnamurti, Greta garbo, Charlie Chaplin
et sa belle Paulette Goddard habillée en paysanne mexicaine, Bertrand Russel, et l'écrivain Christopher
Isherwood) descendirent finalement dans le lit de la rivière de Los Angeles. Ils allaient se mettre à préparer
leur nourriture,
chacun la sienne - Garbo avait apporté des bottes de légumes crus, Goddard du caviar et du champagne,
Krishnamurti son riz, - quand surgit soudain un policier qui aboya : "Que diable faîtes-vous ici ?"
Ils s'arrêtèrent net, "frappés de stupeur". Le shérif était armé d'un révolver. "Il n'y a personne dans votre bande
qui sache lire ?" demanda t-il à Aldous Huxley, en lui montrant un panneau sur lesquel il y avait écrit :
"Accès interdit". Huxley parlementa avec le shérif, lui promettant de tout nettoyer et de laisser le lit de la rivière
plus propre qu'il n'était auparavant. Le shérif perdit patience et cria : "Partez d'ici immédiatement !" Huxley,
pensant qu'il l'apaiserait en lui nommant quelques-unes des célébrités présentes, lui montra Charlie Chaplin
et Greta Garbo. "Faut pas me prendre pour un imbécile, gronda le shérif, je les ai vus au cinéma, et ceux-là
sont pas fringués comme des stars. Allez, décampez, va-nu-pieds, ou j'embarque toute la bande au poste."
"Et alors, raconta Anita Loos, nous pliâmes nos tentes comme des Arabes et nous nous éclipsâmes
discrètement." [...]
[4]
Krishnamurti a consacré sa vie entière à la paix, à l'éducation pour la paix et ne sera récompensé
qu'en 1984 avec la Médaille de la Paix de l'ONU, après y avoir fait une causerie dans une salle peu fréquentée,
et dont les organisateurs l'avaient fait attendre une heure et demie. Et après cette épisode, il dit à
ses proches : « Plus jamais de Nations Unies »
[5].
De son vivant il voyageait d'Amérique en Asie et en Europe pour réveiller la conscience de ceux qui
venaient le voir, à travers des causeries et des échanges avec eux. Il tenait à ce que son enseignement
soit accessible à tout le monde. Chaque année, l'été fut la saison en Europe pour celles et ceux qui étaient
à la recherche de la compréhension de la vie,
de se retrouver les uns à Saanen, une petite bourgade suisse non loin du Lac Léman, les autres
à Brockwood, dans le Hampshire au sud de l'Angleterre, pendant deux semaines à l'écoute de Krishnamurti.
Les gens venaient camper là, sans bourse délier, dans une ambiance conviviale et sereine. Les causeries avaient lieu sous
chapiteau sans le moindre décor. Sur l'estrade, une simple chaise en bois pour celui qui allait parler, c'est-à-dire
Krishnamurti lui-même. L'entrée était gratuite. Ceux qui venaient pour la première fois étaient tentés
de l'applaudir, et certains l'ont fait sans arrière-pensée, quand ils le voyaient arriver. Une fois bien installé
sur sa chaise, il saluait son public les deux mains jointes, une allusion au temps, puis un mot en substance
à l'adresse de ceux qui l'avaient applaudi : « Nous ne sommes pas dans un spectacle. Il n'y a pas d'acteurs sur
la scène. » Et très souvent, au début de chaque séance, il rappelait aussi à son auditoire que s'il était placé
plus haut que le public sur une estrade c'était simplement pour une raison pratique : que tout le monde
puisse le voir, cela ne lui confèrant aucune autorité.
Sa dernière causerie a eu lieu le 4 janvier 1986 à Madras, il allait sur ses 91 ans, et il devait nous quitter
pour toujours un mois après dans sa résidence à Ojai, Californie.
Les fondations et les écoles qu'il avait créées continuent à fonctionner selon ses dernières volontés.
Notes :
[1]. Marie Lutyens,
Vie et mort de Krishnamurti, Amrita, p. 22.
[2]. Ibid. p. 43.
[3]. En réalité, les travaux qui ont permis à Maurice Wilkins et à
ses deux collègues, Francis Crick et James Watson, d'obtenir le prix Nobel sur la structure de l'ADN, étaient
en grande partie dûs à Rosalind Franklin, sa collaboratrice, complètement étouffée et renvoyée au rôle de
laborantine.
[4]. Pupul Jayakar,
Krishnamurti. Sa vie. Son oeuvre,
traduction de Anne-Cécile Padoux, L'Âge du Verseau,1989, pp. 86-87. Titre original
Krishnamurti. A biography,
Harper Row, Publishers Inc, New York, 1986.
[5]. Marie Lutyens,
Ibid. p. 259.
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