Comptes rendus de lecture
Comptes rendus de lecture
Philippe Franchini
Du sacrifice à l'espoir. Cambodge - Laos - Vietnam 1975-1983
Paris, Fayard,
1997, 525 p.
La décennie meurtrière
1975-1983,
première tranche d'une « histoire
immédiate » exposée aux feux des
projecteurs, largement commentée, richement rapportée,
condamnée par l'opinion, sans qu'aucun Etat, si puissant
soit-il, n'ait pris de décision radicale pour mettre fin à
la tragédie de la honte. Cette histoire nous apprend également
que la fin d'une guerre n'est pas synonyme du retour de la paix, car
la machine destructrice continue à déployer ses armes
multiformes pour soumettre le destin des humains à sa volonté,
et balayer les traces du passé dans la perspective de
construire des sociétés débarrassées de
toute mauvaise graine. En définitive, cette vision totalitaire
a privé, à des degrés divers, les trois pays de
leurs forces vives, écarté d'emblée toute
alternative à la solution préméditée.
Comme toute entreprise « purificatrice »,
celle-ci s'est révélée désastreuse, son
coût humain dépasse l'imagination. Les chiffres qui « ne
pouvaient qu'être approximatifs » parlent
d'eux-mêmes : 2.000.000 de victimes du délire des
« Ténèbres d'Angkar », entre 300
et 500.000 personnes déportées après la
« libération » du Sud-Vietnam, 100 à
200.000 personnes portées disparues en haute mer et victimes
des pirates dans la période d'avril 1975 à fin 1979,
1.000.000 de fugitifs acceptés comme réfugiés
dans un pays tiers entre 1975 et 1983.
Même
si elles sont moins abondantes concernant le Laos que
pour les deux autres pays sinistrés, Philippe Franchini
s'appuie, dans cet essai historique, sur des sources accessibles
(presse, témoignages, récits, publications d'organismes
internationaux et humanitaires, etc.) pour éclairer
cette tragédie qui n'est pas le fruit de la fatalité
mais bien celui de l'aveuglement et de l'obsession maladive. Si les
dédales de la conquête du pouvoir, la précipitation
des événements et les facteurs de cette folie
meurtrière font l''objet d'analyses sans complaisance,
l'auteur réserve aussi une part importante au destin des
victimes de la barbarie. Le cynisme de l'Occident devant un tel
drame, en premier lieu celui des Etats-Unis, l'attitude machiavélique
de la Chine de Deng retranchée derrière l'écran
pour mieux manipuler ses marionnettes, la vilenie du régime
vietnamien qui se dit communiste et troque le départ de ses
victimes contre leurs lingots d'or, les intermédiaires infâmes
qui prêtent main-forte à cette entreprise honteuse, sont
sévèrement dénoncés au fil d'une lecture
éprouvante de quelque 500 pages. A côté des
« boat people » qui ont provoqué l'émoi
dans l'opinion internationale, on y découvre également
des « land people » qui, rejetés par les
Khmers rouges, et maudits par les Thaïlandais, errent dans un
labyrinthe forestier dont toute sortie converge vers l'humiliation.
Ironie du sort : les 250.000 Hoa fuyant un Vietnam persécuteur
se retrouvent « dans le piège de la propagande »
qui les envoie « aux travaux forcés »
sur la terre de leurs ancêtres. Devant le refus explicite des
uns, et implicite des autres, de régler le problème des
réfugiés à sa source, on en vient à créer
l'événement afin de favoriser leur accueil dans un pays
tiers. Si les méandres cruels du cours de l'histoire ont
provoqué la migration massive et sans précédent
de peuples jusqu'alors attachés à leur terre
ancestrale, ils inaugurent en revanche une nouvelle ère, celle
de l'humanitaire qui, confronté à une réalité
nouvelle, met en œuvre tous les moyens disponibles pour
intervenir, avec les limites qu'on connaît.
Cet essai qui tente d'analyser un passé récent
souligne un ensemble d'obstacles et de crimes dont les racines
remontent à la colonisation : refus d'admettre l'adversaire
comme interlocuteur, élimination de toute force potentielle,
incapacité à surmonter les erreurs, sacrifice des vies
humaines au profit des intérêts stratégiques et
hégémoniques, mépris et hypocrisie de la part
des grandes puissances, et danger de l'expansionnisme mal éteint.
A travers son ouvrage qui, au prix de quelques répétitions,
rassemble pour la première fois les données disponibles
concernant les trois pays de l'ex-Indochine sur cette période,
Philippe Franchini nous tend le miroir d'une époque, les
réalités d'une région prise en tenaille par les
idéologies, pour qu'on médite sur les lendemains qui
déchantent, qui transforment
l'espoir en
sacrifice
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