Comptes rendus de lecture

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Léon Werth
Cochinchine. Voyage.
Paris, Viviane Hamy, 1997, 251 p.

La Lettre de l'Afrase, n° 45, juin 1998



Voyage du Petit prince en Cochinchine


Si nos aînés connaissent tous Léon Werth et ses oeuvres il n'en est pas de même pour la jeune génération versée dans les études sudestasiennes et plus précisément vietnamiennes.
La parution de ce récit de voyage effectué par l’auteur en 1925 nous plonge dans le passé colonial, « ambigu » pour les uns mais insupportable pour les autres. Cette « entreprise de résurrection » des oeuvres de Léon Werth, aujourd'hui tombé dans l'oubli, est due à la conviction de l'éditrice - Viviane Hamy - qui a déjà réédité nombre de ses écrits. Rappelons tout simplement que Léon Werth était l'ami fidèle du grand écrivain humaniste Antoine de Saint-Exupéry dont Le Petit Prince, qui a fait pleurer plus d'une génération, lui est dédié.

Par l'entremise de Paul Monin - avocat au barreau de Saigon, l'homme qui « entraîna le pilleur des temples khmers dans l'action politique en Indochine » - qui l'a invité puis qui a organisé son voyage, Léon Werth entra en contact avec Nguyen An Ninh, tête pensante de la jeune génération oppositionnelle défiant la colonisation sur son propre terrain. Les visites effectuées au siège de La cloche fêlée dirigée par Ninh, les promenades dans les rues de Saigon, à Cho Lon, à Bac Lieu, à Tra Vinh, à Cân Tho..., et des scènes de la vie coloniale, fournissent à Léon Werth matière à réflexion.

Dans un style clair et simple, il nous livre ses sentiments et ses embarras. Plus d'une fois il a honte d'être Européen devant « la tradition des moeurs coloniales» de ses compatriotes. D'après lui, son ami Nguyen An Ninh représente bien plus l'Europe des Lumières que les coloniaux qui, à l'autre bout du monde, ont falsifié cette même Europe. Et pour cause, « si les coloniaux ne nous ont point apporté la culture de l'Europe, lui dit Nguyên An Ninh, on ne peut guère leur en faire grief. Ils ne la connaissent point ».
Entre autres anecdotes on apprend par ailleurs que le Docteur Cognacq, - l'homme qui a balancé à la figure de Nguyen An Ninh la célèbre réplique « Si vous voulez faire des intellectuels, allez-vous en à Moscou. Sachez que la graine que vous voulez semer dans ce pays ne germera jamais...que la Cochinchine entière m'obéit et que si vous persistez, le Dr. Cognacq est prêt à se servir des derniers moyens... » - , proposait à un libraire parisien «une singulière combinaison de factures fictives ».
A travers ce récit, la voix de Léon Werth nous rappelle que l'Europe possède en elle-même une composante humaine qui se situe au-delà des entreprises conquérantes. Un livre à déguster.


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