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Reportages

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Festival international des cinémas d'Asie (FICA)

Festival international des cinémas d'Asie (FICA)




Du 14 au 21 février 2012 a eu lieu le FICA à Vesoul, petite préfecture en Franche-Comté. Bien sûr Vesoul fait penser à la chanson de Jacques Brel, et on va voir si les gens de Vesoul ont assez d'humour pour donner le nom du chanteur à une rue, une place, une salle de spectacle, etc. Cette année c'est la 18e édition du Festival qui propose un programme riche et intéressant : autour de 9 fictions [1] et de 8 documentaires en compétition, se sont articulées d'autres thématiques :
Au total 90 films ont été proposés aux festivaliers, soit un peu moins d'un cinquième retenu sur un total de 500 films visionnés par les organisateurs. Au cours du festival chaque film est projeté deux fois pour que le public ait plus de chances de le voir, sauf pour les documentaires en compétition qui n'ont été projetés qu'une seule fois.

Les films en compétition sont soumis à l'appréciation de plusieurs jurys différents :

le jury international de cette année est composé de figures comme l'universitaire, écrivain et traductrice indienne Latika Padgaonkar, le cofondateur de la Fondation Cinemalaya en 2004 aux Philippines, Nestor O Jardin, le cinéaste kazakh Ermek Chinarbaev, et Atiq Rahimi, cinéaste et écrivain, prix Goncourt 2008 ;

le jury NETPAC (Network for the promotion of asian cinema) ;

le jury (du Musée) Guimet ;

le jury Langues O' (autrement dit Inalco, Institut National des Langues et civilisations orientales) ;

le jury jeune.

Chaque jury décerne un prix ou deux aux films qui ont retenu son attention. En dehors de ces jurys, le public aussi participe à l'événement en donnant son avis sur des étiquettes mises à sa disposition : les films qui ont gagné le plus d'attention du public reçoivent également un prix, prix du public.

Les projections ont lieu tous les jours avec la première séance vers 9h30 – 10h et la dernière à 20h30, soit six séances d'affilée de deux heures.

Voilà pour les aspects techniques ou la carte d'identité du festival. On peut se rendre sur le site http://www.ecoutevoir.fr/ pour retrouver la galerie de photos des participants (metteurs en scène, acteurs et autres intervenants).

Découvertes
La soirée d'ouverture a eu lieu le 14 février au Théâtre Edwige Feuillère qui se trouve au Centre-ville (alors que les autres projections ont lieu dans la nouvelle zone d'activités juste à la périphérie de la ville) avec I wish de Kore-Eda Hirokazu. Le réalisateur est présent au festival sur plusieurs jours, il ne s'est pas contenté de faire une apparition pour le prix mais s'est rendu disponible pour répondre aux questions du public ou pour des entretiens plus professionnels. I wish raconte l'histoire de deux frères séparés après le divorce de leurs parents. Les deux petits garçons en souffrent et essayent de garder le contact par téléphone. Quand ils apprennent qu'une ligne de train à grande vitesse va relier les deux villes (celle du père et celle de la mère), ils commencent à rêver du miracle. C'est un film avec des enfants sur les enfants avec leur imagination et leur fantaisie. Si le contenu dominant du film parle de la famille, des problèmes de couple et de leurs répercussions sur les enfants, la fin du film laisse entrevoir un autre univers, le monde.

Les cinéphiles sont comblés avec une programmation originale et chargée. Le Festival commence à gagner ses lettres de noblesse puisque ces dernières années la fréquentation tourne autour de 30.000 visiteurs, soit le double de la population de Vesoul. C'est aussi l'occasion de découvrir d'autres horizons, de sortir de l'univers des films commerciaux à forte dose d'effets spéciaux et de violence gratuite. En temps normal, quelle chance a-t-on de tomber sur un film kazakh, géorgien, philippin, sri-lankais, irakien ou iranien programmé sur les écrans de la ville ? Et quand on habite la petite province ou une petite ville, cette chance est quasiment nulle. À cet égard les films kazakh représentent une ouverture, une découverte pour beaucoup de festivaliers. L'univers kazakh filmé et raconté par le cinéaste Grigori Rochal dans Les chants d'Abai tourné en 1945, premier film écrit réalisé et produit sur le sol kazakh, est une révélation humaniste qu'on aimerait voir en vrai à la place de notre monde malade : la place du poète dans la société kazakh. Dans un conflit majeur, puisqu'il s'agit de la tradition relative au mariage qui est contestée, la parole du poète l'emporte sur celle des autres dirigeants de la société. Certes la jalousie, la vengeance, la face sombre du pouvoir ne sont pas vaincues pour autant mais ces considérations se sont imposées par la force alors que la poésie est acceptée comme repère humaniste par la communauté. Une société qui élève la poésie et le poète à une place aussi prestigieuse a de quoi être fière et mérite l'admiration des autres. Le film reprend des épisodes de la vie du poète kazakh Abai Kounanbai (1845-1904) qui n'était pas un simple poète mais un poète-philosophe qui occupe une place particulière dans la société kazakh éprise de liberté.

La jeune fille en soie est une épopée kazakh racontant l'histoire d'une tribu aux prises avec des attaques venant de l'extérieur. Le destin de la communauté est en jeu, les différentes tribus vont-elles s'unir pour faire face à l'ennemi commun ou s'entre-déchirer avant d'être la proie facile de celui-ci ? Encore une fois, la parole du porteur de paix a été écoutée aux dépens de celle des va-t-en-guerre. Ce film en couleurs tourné par Sultan-Akhmet Khodzhikov en 1970 nous réveille à la réalité : le porteur de paix finit assassiné dans une situation trouble par son ennemi sur le plan sentimental qui n'a eu la chance d'obtenir la main de la jeune fille en soie convoitée.

Ces deux films kazakh ne sont pas seulement remarquables par leur contenu poétique et philosophique, les belles images de chevauchée à travers la steppe immense illustrent bien la liberté du mouvement des nomades, les rituels relatifs au mariage et les costumes traditionnels sont là aussi pour enrichir le contenu visuel.

Dans un autre registre, le réalisateur George Ovashvili a tenu en haleine le public pendant les 93 minutes de son moyen métrage L'Autre rive qui raconte l'histoire d'un adolescent abandonné par la vie ou ce qui en reste après la guerre civile meurtrière entre Géorgiens et Abkhazes. Georges Ovashvili, réalisateur, a vu des centaines de garçons lors du casting mais c'est Tedo Bekhauri qui a retenu son attention et ils ont fait bonne équipe à ceci près : Tedo Bekhauri a fini par se fâcher à force d'entendre qu'on lui disait : "Fais ceci, fait cela". Il a dit au réalisateur : « Dis moi ce que tu veux et je le fais à ma façon. » Quand Tedo eut compris son rôle, c'est lui qui fut le moteur et qui entraîna l'équipe lors du tournage et le réalisateur n'avait plus à intervenir. « À travers les yeux d'un enfant, mais sans aucune naïveté, L'Autre rive invite à une réflexion lucide, poignante, et extrêmement actuelle de la violence et l'enracinement de la haine. Une réalité tellement difficile à regarder, qu'on aurait parfois envie de fermer les yeux, comme le jeune Tedo. » C'est ce qu'on peut lire dans la plaquette du Festival présentant le film.

Sur le thème de la guerre, le film du jeune réalisateur chinois Lu Chuan, City of life and death mérite aussi le détour. C'est une véritable fresque historique grandiose en noir et blanc, pour atténuer les atrocités, car Lu Chuan n'aime pas la couleur du sang. C'est le massacre de Nankin commis par l'armée japonaise en 1937 : on parle de 300.000 personnes sacrifiées, femmes et filles violées. Ce film bénéficie d'une réflexion et d'une modération qui déplaît aux extrémistes puisque le réalisateur fut critiqué par les autorités chinoises qui pensent qu'il est un peu complaisant avec le Japon ; alors que des critiques venant de l'étranger ont taxé le film de "propagande chinoise". Écoutons le réalisateur sur cette question :

"Je suis officier diplômé d'une école militaire, mon patriotisme ne saurait être mis en question. Moi-même, en créant ces personnages de soldats japonais, j'avais des sentiments complexes, ambivalents. Mais je reste fidèle à l'idée qu'il faut respecter son adversaire. Je possède le journal intime d'un soldat japonais et, pour l'essentiel, je me suis contenté de m'en inspirer. Les soldats japonais sont des types ordinaires, il n'y a aucune raison d'en faire des monstres. Dans la plupart des films, ceux qui commettent des actes répréhensibles sont désignés comme des "méchants". Moi, je voulais montrer des soldats japonais qui dansent, se lavent, bavardent, vont voir des prostituées, etc. Exactement comme cela est raconté dans le Journal, sans jamais les diaboliser. Il me semble nécessaire de repenser l'histoire de manière plus rationnelle et qu'un maximum de gens soient sensibilisés à ce qui s'est passé pendant le Massacre de Nankin."

Plus près de nous, la guerre d'Irak a aussi démantelé une société dont les premières victimes sont des enfants. Difficile de dire si Les tortues volent aussi est un film irakien, iranien ou kurde, puisque le réalisateur, Bahman Ghobadi est d'origine kurde iranien et que l'histoire a pour trame la guerre d'Irak. Les enfants de la guerre abandonnés à eux-mêmes s'organisent pour survivre. Le chef de bande, Kak Satellite, distribue le travail qui consiste à installer les antennes paraboliques (qui permettent d'avoir des informations venant de l'étranger pour savoir si la guerre aura lieu ou non), vider des camions chargés d'obus, de mines anti-personnelles, puis les troquer au marché contre d'autres produits. Mais Kak qui a dans les 14 ans tombe amoureux d'une fille venant d'une autre localité que celle de sa bande. Cette jeune femme (eh oui!) au passé traumatisant n'a plus sa jeunesse. La fin est dramatique puisqu'elle finit par se jeter dans un ravin laissant son amoureux désemparé. Un film poignant joué par des enfants qui sont fantastiques simplement parce que le réalisateur a bien réussi à faire ressortir l'univers des enfants. Impensable pour un cinéaste français contemporain de faire ce genre de film. Ici quand on fait jouer les enfants, cela ne dépasse pas la scène fausse et usée de chahut en classe où les petits montent sur la table en défiant l'enseignant ! Quelle misère ! Exception faite bien sûr de Jeux interdits qui date d'une autre époque. En somme tout cela semble logique puisqu'on ne peut donner ce qu'on n'a pas, les films comme toute œuvre artistique et littéraire ne font que refléter l'univers mental, moral, sentimental, culturel de celui qui les réalise. Quand son univers est limité on ne peut pas réaliser de grandes œuvres de valeur dont l'univers dépasse de loin celui du sien.

Sur le même thème de la guerre en Irak, Les murmures du vent de Shahram Alidi reconstitue dans un décor naturel grandiose qui est le paysage montagneux de la partie kurde de l'Irak. Si les images sont très belles, l'histoire elle-même est poignante : C'est la peur et la désolation qui rythment la vie reculée des paysans. Beaucoup se sont révoltés en s'engageant dans la résistance. Le chauffeur d'un camion sans âge qui serpente sur les routes de montagne pour apporter des nouvelles à ses compatriotes est lui aussi combattant à sa manière. Ancien postier, il s'est reconverti en messager pour permettre aux uns et aux autres de savoir se qui se passe ailleurs. Il enregistre des messages puis les transmet à leurs destinataires. Si la plupart de ces messages sont anodins, certains sont codés, les pleurs d'un nouveau-né sont de ceux-là, ils annoncent que la résistance est bien vivante. Si les scènes d'atrocités sont simplement suggérées, les spectateurs ressentent bien les malheurs et la tristesse qui envahissent les personnages. Leur seul espoir : la radio de la résistance qui émet à partir d'une grotte surveillée par des résistants. La voix des sans voix.

Pour rester sur le thème "Les brûlures de l'histoire", on peut citer aussi le film de Wang Xiaoshuai, 11 Flowers, dans lequel Wang Han, un garçon de 11 ans tient le rôle principal. L'histoire qui se passe à la fin de la Révolution Culturelle s'articule autour de sa vie d'écolier dans une province lointaine du sud, le Ghizou où l'on avait envoyé des intellectuels se réformer à la campagne. La maîtresse d'école suggère à Wang Han d'avoir une nouvelle chemise pour tenir le rôle de meneur d'équipe dans les exercices de gymnastique quotidienne à l'école, il serait magnifique. Le garçon répercute cette idée auprès de sa mère qui travaille comme ouvrière à l'usine. Le père est comédien, il est affecté à une unité loin de son lieu d'habitation. Il part travailler pour la semaine et n'en revient qu'en fin de semaine. Cette famille s'en sort péniblement pour joindre les deux bouts. La demande de Wang Han tombe mal, la famille a épuisé les bons de tissu. La mère lui dit de patienter jusqu'au nouvel an, l'occasion d'avoir de nouveaux habits pour lui et sa petite sœur. Le garçon ne veut pas en démordre malgré des vexations et quelques coups reçus. La mère décide d'aller voir la maîtresse pour lui expliquer la difficulté pour la famille d'avoir de tels frais inattendus mais celle-ci continue à lui dire que Wang Han serait magnifique avec une nouvelle chemise dans la cour de l'école. Et quand la mère voit son fils au milieu de la cour exécuter des gestes de gymnastique elle a les larmes aux yeux : c'est décidé elle va tout faire pour lui confectionner une nouvelle chemise. Mais le sort est cruel : un individu blessé accusé de meurtre lui a aussitôt volé sa chemise laissée traîner au bord de la rivière. On apprend par la suite que le meurtrier est le fils du voisin intellectuel en rééducation à la campagne qui s'est vengé contre un notable local qui avait abusé de la jeune sœur. D'après le réalisateur, "11 Flowers est un film autobiographique. Cet enfant, ses amis, ses parents, les classes de peinture, la révolution culturelle et l'usine issus du mouvement du Troisième Front, viennent tous de mes souvenirs d'enfant." Souvenirs difficiles pour un enfant !

Entre l'origine de la pomme et celle des métis abandonnés
En matière documentaire, il faut saluer chaleureusement Catherine Peix et son œuvre L'origine de la pomme, un véritable coup de cœur. Catherine Peix mène son enquête scientifique et historique en nous promenant aux fins fonds de la montagne du Tian Shan à cheval sur le Kazakhstan et la Chine. Dans ces contrées lointaines subsistent encore des forêts de pommiers sauvages de plus 30 mètres de haut dont les pommes de tailles, de formes et de couleurs variées sont savoureuses et sucrées. Grâce aux travaux du scientifique kazakh Aymak Djangaliev qui a consacré, contre vents et marées, toute sa vie à la sauvegarde de cette forêt dont le secret est désormais reconnu par les scientifiques du monde entier : on sait que c'est bien à partir de cette forêt kazakh que le pommier s'est dispersé dans le monde entier et la forêt qui est encore en vie aujourd'hui a derrière elle 30 à 40.000 ans d'histoire, autrement dit le résultat de 40.000 ans d'évolution de cette espèce. Plus étonnant encore, ces pommiers de la forêt kazakh ont développé une résistance naturelle aux maladies des pommiers Malus sieversii. Cette capacité extraordinaire du règne végétal laisse entrevoir une culture de demain sans pesticide, si ... On peut toujours rêver !

Beaucoup moins enthousiasmant que L'origine de la pomme, le documentaire Heavy metal du jeune réalisateur chinois Huaqin Jin sur l'industrie de recyclage de matériels informatiques et électroniques nous plonge dans l'univers de Zola. Ces déchets viennent des pays industrialisés d'Occident : États-Unis, Australie, le Japon, etc. Deux millions de tonnes de déchets, préalablement triés à la main sans aucun autre outillage ou procédé technique particulier, sont traités annuellement dans cette entreprise qui emploie une cinquantaine de salariés issu du milieu rural en crise. Des paysans déracinés du centre-ouest de Chine passent leurs journées à trier la ferraille pour un salaire de misère dans une immense usine de traitement de déchets avec tous les dangers pour la santé que peuvent provoquer des produits toxiques. Logée sur place dans des taudis insalubres, cette main-d'œuvre se fait encore piéger par un système de prêt mis en place pour retenir ces nouveaux esclaves du XXIè siècle. Des documentaires comme celui-ci nous rappellent d'une part qu'en Chine l'opinion est aussi sensible à la question des déchets et la défense de l'environnement, et d'autre part que l'exode rural continue à faire des ravages à la campagne qui chasse ses paysans vers la ville pour y devenir une main-d'œuvre corvéable.

Le documentaire de Philippe Rostan, Inconnu, présumé français relève d'un autre genre. Son titre dévoile déjà tout un pan de l'histoire française occulté délibérément. La colonisation en se retirant avait laissé des milliers d'enfants eurasiens et afro-asiens, père français souvent militaire et souvent enregisté « inconnu », mère vietnamienne à qui on n'a pas souvent demandé son avis avant de « rapatrier » les enfants dans une France qui les avait ignorés obstinément jusque-là, leur existence étant restée tabou.

Séparés de leur mère, séparés de force des frères et sœurs, ils ont grandi dans des institutions dispersées dans les provinces françaises, en orphelins, recevant une éducation convenable mais dans un désert affectif. Ils se sont créé une seconde famille en forgeant entre eux des liens durables. C'est ce que raconte avec justesse et sensibilité le documentaire (1h30) de Philippe Rostan.

Ils ont la soixantaine, ils ont fait leur vie, ils ont en France leur place et leur famille, mais une souffrance comme celle-là, cela ne s'oublie pas et ne se rachète pas. Les images les ramènent en petits groupes dans leurs anciens pensionnats, ils se racontent leurs petits souvenirs avec de petits rires, et puis éclatent en sanglots. Soixante ans ou pas, le souhait de connaître et de comprendre ses origines est un point fondamental, on le redécouvre ici. Les voici fouillant dans les archives à Aix-en-Provence, et soudain, d'un papier jauni sort le nom d'un père... ou bien son absence. Les voici se retrouvant régulièrement entre eux dans le cadre des associations qu'ils ont fondées, s'échangeant des recettes de cuisine et s'expliquant les uns aux autres le maniement du nuoc-mam dans les plats. Quand c'est une fille qui est présentée, actuellement une dame aux beaux cheveux argentés, on comprend vite que pour elles c'était pire : abandonnées sur place, proie facile pour les maquereaux qui leur ont fait une vie épouvantable.

Par quel secret Philippe Rostan a-t-il pu fixer dans son film autant d'authenticité, de sincérité et de sentiments aussi profonds et intimes ? Quand on lui a posé la question au cours du débat qui a suivi la projection, il a répondu par un mot-clé très simple : le respect.

En compétition
Le couple franco-indien Joy et Marie Banerjee propose un documentaire sur un lieu chargé d'utopie, Shantiniketan, une bourgade à 150 km de la bruyante Calcutta. C'est là que le grand poète-penseur Rabindranath Tagore a fondé le centre Visva Bharati, "un lieu de paix et de rencontre des civilisations d'Orient et d'Occident et où la nature devait inspirer les hommes". Les réalisateurs essaient de faire le bilan de cette réalisation au bout de plusieurs décennies d'existence. Les anciens qui ont participé à cette aventure enthousiasmante sont aujourd'hui inquiets de la tournure que cela prend à l'heure actuelle. Si ce centre devait promouvoir l'artisanat local selon la volonté de Tagore, aujourd'hui il est envahi par des représentants de tous secteurs commerciaux tels que le bâtiment, l'automobile, etc. Du local on est passé au global pour devenir une foire commerciale qui existe partout ailleurs. La spécificité de Visva Bharati se réduit comme une peau de chagrin. Ses environs sont pris d'assaut par des promoteurs immobiliers qui construisent des villas de luxe pour des cadres fortunés de Calcutta ; les peuples autochtones regardent impuissants, disparaître petit à petit leur territoire au profit de ces promoteurs venant de la ville. Ce documentaire fait bien ressortir les enjeux auxquels est confronté le centre Visva Bharati, et au-delà le risque encouru par les traditions locales d'être asphyxiées par la globalisation sans frontière ayant pour seul moteur, les profits immédiats au mépris de toute autre considération, soit-elle humaine ou sociale.

Du côté des films en compétition la qualité est variable : Le ticket de retour du réalisateur chinois Teng Yung-shing traite d'un thème brûlant de la société chinoise actuelle : les paysannes pauvres viennent tenter en ville, en l'occurrence Shanghai pour ce film, une nouvelle vie en devenant des domestiques ou des femmes de ménage. Elles triment toute l'année et c'est seulement à l'approche du nouvel an qu'elles peuvent retourner au pays natal. Cette occasion unique dans l'année donne l'idée à l'un des expatriés de tenter de gagner de l'argent en proposant aux compatriotes des places dans son bus retapé. Cette entreprise se met en place doucement puis le jour du retour arrive. Le bus prend son élan et s'élance. À vingt kilomètres de l'arrivée il est contrôlé par la police : le bus saisi, le conducteur arrêté, car il n'a pas de permis, le propriétaire est en infraction et les voyageuses ont été prises en charge par la Police qui termine le trajet pour ramener ces travailleuses chez elle. Une étude de mœurs sur le thème de l'exode rural en Chine.

À côté de cela, le réalisateur turc voulait crever l'abcès de la question kurde dans son long métrage L'avenir dure longtemps. Le film retrace l'épisode douloureux de la répression frappant la communauté kurde de Turquie. Les premières images, une allégorie annonciatrice très belle, un cheval fuyant une menace à travers la prairie est abattu par une décharge de chevrotines. C'est la fin de la liberté. Le film est fait de reconstitutions des faits réels qui se sont déroulés, les protagonistes eux-mêmes, souvent des familles de disparus, sont filmés témoignant de ce qu'ils ont vécu. Sans que ce soit un chef-d'œuvre, le réalisateur a su dire des choses sans avoir à se prononcer pour ou contre, il montre les faits et laisse aux spectateurs le soin de se faire eux-mêmes leur opinion.

Ceux qui ont aimé les films kazakh réalisés avant la chute du mur de Berlin sont déçus par Sunny days le film en compétition du jeune réalisateur Nariman Turebaev qui revient à Vesoul pour la deuxième fois. C'est le récit de cinq jours d'un jeune homme en difficulté matérielle mais complètement impassible devant la vie. Un récit ennuyeux.

photo Le Sri-lankais Aruna Jayawardana présente le combat d'une femme entrepreneure de pompes funèbres dans August Drizzle contre sa propre communauté qui considère que ce travail n'est pas fait pour une femme. Malgré les coups tordus et autres méchancetés, elle a même réussi à faire construire un crématoire mais au risque de sa vie. C'est aussi le récit d'une solitude, celle d'une femme qui réussit dans un environnement dominé par les hommes plus ou moins machos. Si l'actrice principale s'est laissée une fois aller en répondant aux annonces matrimoniales, démarche sans lendemain, elle reste lucide quant à la question de trouver un compagnon. La jalousie affairiste a fini par faire avorter son projet et elle se trouve abattue par un coup de fusil sur le lieu du rendez-vous avec son amoureux, lui aussi à moitié mort à qui on a mis un pistolet dans la main pour faire croire qu'il a tué la femme entrepreneure. Si cette histoire est touchante, la mise en scène souffre du manque de soins, les images ne sont pas toujours irréprochables, cependant l’intérêt à caractère anthropologique est évident.

L'écrivain-réalisateur philippin Loy Arcenas nous conte l'histoire d'une famille de la grande bourgeoisie qui a perdu son prestige d'antan mais il lui reste la valeur-refuge : les chants d'opéra. Presque toute l'histoire se passe dans la demeure familiale qui a connu ses heures de gloire et que les héritiers et héritières ont du mal à maintenir en état. Celles qui sont en charge de la gérer au quotidien en viennent même pour arrondir les fins de mois difficiles à louer des pièces à de jeunes étudiantes venues faire leurs études à la capitale. Lorsque l'un des héritiers déjà très diminué tombe dans le coma, tout le monde s'inquiète et l'héritière qui habite aux États-Unis doit revenir pour l'occasion. Ces retrouvailles ne présagent rien de bon : une partie des héritiers voulait vendre la maison pour s'en sortir, mais ce serait l'occasion pour l'un d'eux de gagner de l'argent sur le dos des autres avec la complicité d'une connaissance. On découvre à la fin que des relations incestueuses entre la tante résidant aux États-Unis et son neveu roublard ont autrefois eu lieu dans cette maison et elles se poursuivent lors des retrouvailles. L'une des antagonistes, l’aînée, mène un dernier combat pour rendre hommage à cette demeure familiale qui tombe en disgrâce, en organisant une soirée musicale avec des chanteurs d'opéra du temps de sa jeunesse. On regrette que le titre du film, Niño, qui est le nom du petit garçon de la famille, ne correspond pas tout à fait à ce qu'il sous-entend, car le rôle principal dans ce film n'est pas celui de Niño mais bien la demeure familiale.

En se décalant vers l'ouest, on va atterrir en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde. Nurman Hakim qui a été déjà primé à Vesoul même en 2009, revient cette année avec le nouveau long métrage Khalifah dont les thèmes principaux sont la femme, la religion et l'amour, une problématique fort délicate au regard de l'actualité. Khalifah [2] est coiffeuse à Jakarta, elle a 23 ans, c'est l'âge de fonder une famille. Elle accepte un mariage arrangé avec un commerçant, de bonne réputation, pour venir en aide financièrement à son père, un imam respecté du quartier, et permettre à son jeune frère de finir ses études. Étant commerçant, le mari s'absente la plupart du temps mais dans le temps qu'il passe au foyer il a réussi à convaincre sa femme de suivre les préceptes coraniques en se voilant complètement le visage avec le tchador ; les relations familiales s'en ressentent puisque le père n'arrive plus à savoir ce que vit sa fille mariée. Dans le climat ambiant post-11 septembre qui fait du musulman (ou une musulmane, de surcroît voilée) un terroriste présumé, il n'est pas facile de sortir indemne. Aussi le réalisateur essaie-t-il de démêler le vrai du faux quant à l'islamisme et au terrorisme sans pouvoir aller en profondeur. Le décor est planté, les personnages sont là, aux spectateurs d'en tirer les conséquences.

Sur le même thème de l'emprise de la religion sur la vie des gens, la réalisatrice iranienne Niki Karimi nous dépeint la société iranienne face aux problèmes de la femme. C'est l'histoire d'une réalisatrice de télévision qui découvre que l'une de ses actrices tente de vendre l'un de ses reins pour essayer de sauver sa mère accusée de meurtre. Touchée par cette malédiction, la réalisatrice rassemble autant d'argent qu'elle peut pour aider la jeune femme. L'histoire réelle est encore plus dramatique : cette jeune femme a failli être violée par son beau père, la mère est intervenue à temps et dans la confusion l'homme a été poignardé de plusieurs coups. Mais l'auteure de cette légitime défense n'était pas la mère mais la jeune fille elle-même, la mère a pris pour sa fille. Dans la loi iranienne en vigueur, ce cas de meurtre peut être racheté à condition que la famille de la victime accepte : dans Final Whistle, nom du film, c'est non ! La mère n'a plus qu'à attendre l'heure de l'exécution par pendaison.

Le dernier film en compétition est Dance Town, une fiction du réalisateur coréen Jeon Kyu-hwan. C'est le troisième volet de sa trilogie consacrée à la ville, les deux autres étant Mozart Town et Animal Town (qui a obtenu le prix Netpac en 2010 à Vesoul). Cette année Jeon Kyu-hwan explore le rapport entre un étranger et sa nouvelle ville, cet étranger n'est autre qu'une Coréenne du Nord venue se réfugier à Séoul à l'initiative de son époux qui devait la rejoindre plus tard : mais on apprend qu'il est accusé de posséder des produits étrangers et des films pornographiques et a été exécuté par les autorités du Nord. Le premier accueil dans le Sud a lieu dans un bureau de la police d'immigration dont le représentant lançe brutalement à la figure de la nouvelle arrivante : « Qui c'est cette petite coco-là ? » Après quelques formalités d'usage la nouvelle réfugiée nordiste est confiée à une agente chargée de son intégration. On lui trouve un appartement et elle reçoit une certaine somme d'argent de l'État, de quoi vivre quelques mois dans l'attente d'un travail. Cette aide de bienvenue n'est pas bien vue par certains, tel qu'un policier qui se plaint de travailler toute la journée pour une somme à peine supérieure à ce qu'elle perçoit sans avoir rien à faire. La nouvelle arrivante est ensuite présentée au milieu catholique qui fait un travail humanitaire auprès des malheureux et des isolés. Elle prend part à ce travail et tombe sur une réalité désespérante. Puis on lui trouve une place dans une blanchisserie, là où elle côtoie d'autres collègues qui triment toute la journée sans avoir le temps de s'occuper de leurs enfants. L'une d'elles a laissé filer sa fille adolescente gagnée par la drogue. La réfugiée essaie de s'adapter à sa nouvelle vie mais elle n'arrive pas à oublier son mari. Un soir, décidée à franchir le pas, elle invite en retour une connaissance qui l'emmène faire la fête en ville, ce compagnon n'est autre que le flic qui l'a contrôlée à son arrivée. L'alcool aidant elle cède à ses désirs longtemps refoulés pour se laisser prendre par ce compagnon d'un soir dans une petite rue sordide désertée à une heure tardive de la nuit. Quand elle se réveille, plus personne autour d'elle, si elle retrouve son porte-feuille, son argent a disparu. Durant ses premiers mois de séjour dans le Sud, la jeune réfugiée est placée sous surveillance vidéo, à son insu bien sûr. Quand les autorités s'aperçoivent qu'elle n'est qu'une simple réfugiée sans aucun lien avec le milieu du renseignement, la surveillance est levée. C'est bien une critique du mode de vie dans le Sud qui bénéficie d'une vaillante appellation de pays de la liberté contrairement au Nord qualifié de dictature. Mais à y regarder de plus près cette vie dans le Sud est aussi misérable à certains égards notamment dans les rapports humains. La marchandise est foisonnante et la consommation à tous les goûts, et pourtant, le bien-être matériel ne remplace pas la sécurité morale et mentale. Tout n'est pas tout rose : ce serait trop simpliste de dire que d'un côté c'est le paradis et de l'autre l'enfer. Un film qui fait réfléchir... c'est un bon film.

Il est impossible de rendre compte de tous les films et documentaires en compétition ou non, car déjà personne ne peut tout voir, autrement ce serait trop long. Citons simplement quelques titres qui méritent d’être signalés. Dans la catégorie documentaire en compétition, retenons : Le marché de l'amour de Philippe Rostan, Parvaz, l'envol de Reza de Ali Badri, À l'école des bambous de Jean-Pierre Devorsine, My fancy hight heels de Ho Chao-ti, et Aung San Suu Kyi Lady of no fear de Anne Gyrithe Bonne,

Palmarès
La soirée de clôture a lieu une semaine après l'ouverture au Théâtre Edwige Feuillère. Les différents jurys remettent les prix aux réalisateurs ou à leurs représentants s'ils ne sont pas là.

Le Cyclo d'or d'honneur offert par la ville et l'agglomération de Vesoul est décerné à M. Kore-Eda Hirokazu pour l'ensemble de ses œuvres.

Le Cyclo d'or, offert par le Conseil Régional de Franche-Comté, remis par le Jury International est attribué à August Drizzle de Aruna Jayawardana (Sri-Lanka) ;

Le Grand Prix du Jury international va à Dance Town du réalisateur coréen Jeon Kyu-hwan ; La mention spéciale va aux deux films : Niño de Loy Arcenas (Philippines) et L'avenir dure longtemps de Őzcan Alper (Turquie).

Le Prix du Jury NETPAC est décerné à August Drizzle de Aruna Jayawardana (Sri Lanka) ;

Le Prix Emile Guimet (offert par les Amis du Musée National des Arts Asiatiques de Paris) est atttibué au film Final Whistle de Niki Karimi (Iran), et le Coup de cœur Guimet : va à Niño de Loy Arcenas (Philippines) ;

Le Prix INALCO va au film Final Whistle de Niki Karimi (Iran), et le Coup de cœur INALCO va à Dance Town de Jeon Kyu-hwan (Corée) ;

Le prix du jury Jeune est décerné à Parvaz, L'envol de Reza d' Ali Badri (Iran-France) ;

Le Prix du Jury lycéen va à Final Whistle de Niki Karimi (Iran) ;

Le public a décerné son prix pour la catégorie fictions à Khalifah de Nurman Hakim (Indonésie) et à L'Origine de la pomme de Catherine Peix pour les documentaires.

Et la soirée se termine avec la projection de Apart together de Wang Quan An qui raconte les retrouvailles remplies d'émotions de deux amants : l'homme a gagné Taiwan en 1949 avec les troupes nationalistes du Kuomintang alors que sa bien aimée est restée à Shanghai avec le régime communiste triomphant alors qu'ils devaient partir ensemble sur l'Ile mais ils ne se sont pas trouvés le jour du rendez-vous. L'homme a fait sa vie à Taiwan, il vient de perdre sa femme. Devenu libre il a voulu renouer ses relations amoureuses avec sa promise de jeunesse, qui, elle aussi, avait fondé une famille avec un homme bon qui lui a donné plusieurs enfants. Les discussions se sont passées entre adultes dans un climat de compréhension mutuelle, ceci sans compter avec la réaction des enfants qui s'opposaient au départ de leur mère. Le mari bon ne voyait pas d'inconvénient à ce que son épouse aille terminer sa vie avec son amant de jeunesse, du moins il n'a pas laissé transparaître ses pensés intimes. Devant cette générosité désarmante les vieux amants ont fini par renoncer à leur projet de vie commune en se quittant sur un quai brumeux, les yeux humides, et la voix en sanglots.

Ainsi se termine la 18e édition du Festival des cinémas d'Asie de la ville de Vesoul qui effectivement, n'a pas oublié Jacques Brel qui a contribué à la populariser en chanson.

trait

Notes :

[1]. Finalement le film tibétain n'est pas parvenu au festival, il n'y a plus que 8 fictions.

[2]. Prénom qu'il est interdit aux femmes de porter en Arabie saoudite, mais en Indonésie, cette interdiction n'a pas cours. Rappelons que Khalifah veut dire "chef".





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