Les beaux textes

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Quelques contes zen

Quelques contes zen




Un public de poupées [1]
Voici l’histoire du moine zen Hôtan.
Hôtan écoutait l’enseignement d’un maître. La première fois l’assistance était nombreuse mais peu à peu, au long des jours qui suivirent, la salle se vida; un jour enfin, Hôtan fut seul dans la salle avec le maître. Celui-ci lui dit : « Je ne peux pas faire une conférence pour vous seul, et d’ailleurs je suis fatigué. »
Hôtan promit de revenir le lendemain avec beaucoup de monde. Mais, le lendemain il revint seul. Néanmoins, il dit au maître : « Vous pouvez faire votre conférence aujourd’hui, j’ai amené une nombreuse compagnie! »
Hôtan avait apporté de petites poupées qu’il avait installées dans la salle. Le maître lui dit : « Mais ce ne sont que des poupées!
- En effet, lui répondit Hôtan; mais tous ceux qui sont venus ici ne valent pas plus que ces poupées, ils ne comprennent rien à votre enseignement. Moi seul en ai compris la profondeur et la vérité. Même si beaucoup de gens étaient venus, ils ne seraient que remplissage, décor, vide sans fond. »

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La tête et la queue [2]
Il y avait un serpent dont la queue et la tête se querellaient toujours. La queue disait :
« Je suis toujours à l’arrière, toi, tu es devant, je dois toujours te suivre. »
A la fin la queue s’enroula autour d’un arbre. Elle ne voulait plus avancer. La tête vit une belle grenouille. Elle voulait la manger, mais cela lui était impossible. La tête permit donc à la queue d’aller en premier. Mais la queue n’avait pas d’yeux; elle tomba dans un grand trou, et la tête en est morte.

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Qui aime l'autre [3]
Dans un sutra, le roi Hashinoku parlait avec la reine : « Le monde est vaste, mais qui aimez-vous plus que vous-même?
J’aimerais vous dire que je vous aime plus que moi-même mais, en réalité, c’est moi que j’airne le plus », répondit-elle. Alors le roi répliqua :
« C’est vrai, moi aussi, je suis plus important que quiconque. »
Ainsi parlaient-ils. Leurs paroles étaient justes mais à cause de leur ego, ils ne pouvaient pas s’accorder. Alors ils décidèrent de rendre visite au Bouddha Shakvamuni et ils lui racontèrent leur conversation.
« Bien sûr, vos réponses respectives ne sont pas erronées », répondit-il. Finalement tout homme s’aime soi-même et chacun est important pour soi-même. Aussi ne dérangez pas les autres. Mais en s’aimant soi-même, on dérange les autres. »
Qu’est-ce que l’égoïsme? C’est un grand koan [4] .

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Les trois ponts [5]
Un vieux père réprimande son ivrogne de fils qui rentre chaque soir ivre à la maison. Celui-ci promet de s’amender et de boire moins.
Le soir même, le fils ne rentrant pas, le pere part à sa recherche. Il le trouve à demi noyé, accroché au pilier du pont qui sépare l’auberge de la maison paternelle.
« Pourquoi es-tu dans cet état, demande le père, le jour même ou tu m’avais promis de moins boire? »
Le fils répond : « En eflet, j’ai bu moins et voilà le résultat. D’habitude je bois trois sho de saké (trois fois un litre huit) et chaque soir, en rentrant je vois trois ponts : je prends toujours celui du milieu, et tout va bien! Ce soir, je n’ai bu que deux sho et j’ai vu deux ponts; ne sachant que faire, j’ai pris à tout hasard celui de gauche et je suis tombé à l’eau! »
Le père : « Allons, rentrons! »
Le fils : « Oh non! pas encore! Laisse-moi aller boire mon troisieme sho de saké, et ça ira mieux. » Sitôt dit, sitôt fait, et le fils rentre sain et sauf à la maison par la voie naturelle.

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Silence total [6]
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Dans un petit temple perdu dans la montagne, quatre moines faisaient zazen. Ils avaient décidé de faire une sesshin dans le silence absolu.
Le premier soir, pendant le zazen, la bougie s’éteignit, plongeant le dojo dans l’obscurité profonde.
Le moine le plus nouveau dit à mi-voix : « La bougie vient de s’éteindre! »
Le deuxième répondit : « Tu ne dois pas parler, c’est une sesshin de silence total. »
Le troisième ajouta : « Pourquoi parlez-vous? Nous devons nous taire et être silencieux! »
Le quatrième, qui était le responsable de la sesshin conclut : « Vous êtes tous stupides et mauvais, il n’y a que moi qui n’ait pas parlé! »
Tâche sur la satori! « Il n’y a que moi de bien! »

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Histoire de kami [7]
Jadis, il y a tres longtemps, un ermite, le crâne tondu, voyageait avec sa très chère femme. En chemin, Madame a envie de pisser et se met au devoir, au bord du chemin désert, de se soulager. Son mari l’arrête. « Hé là ! Allons, allons! Que vas-tu faire là? Cet endroit est consacré à un kami (dieu).
Elle se retient. Un peu plus loin, elle interroge son mari :
« Et là ? Est-ce possible ? »
« Pas question ! Cet endroit est consacré au dieu des quatre saisons. »
Madame se retient. Un peu plus loin, elle avise le bord d’une rivière.
« Ici, ca ira non ? Allez, je fais pipi », dit-elle.
« Hé la! Hé là! C’est interdit : lieu consacré au kami de l’eau, lieu respectable! »
La femme de l’ermite pleure, car elle a très envie. Son lacet d’espadrille se défait. Elle veut s’accroupir pour le rattacher, mais c’est impossible car cela comprime sa vessie. Elle prie alors son mari de la relacer : « Je ne veux pas pisser », dit-elle. Le mari s’accroupit devant elle. Tandis qu’il la relace, Madame se détend et se décharge sur le crâne nu de son mari. Celui-ci s’indigne ! Elle explique :
« Partout dans cette montagne, il y a des dieux (kami). Tout est consacré ! Il n'y pas moyen de pisser selon toi ! Enfin, j'ai trouvé un endroit où il n'y a pas de kami (cheveux) et je pisse dessus ! Tu n'es pas content ? »[8]

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La vieille dame, le moine et la jeune fille [9]
Il y avait une vieille dame qui hébergeait un jeune moine, un très beau moine aux traits fins. Il vivait en ermite et s’abîmait jour et nuit dans la pratique de zazen, dans un beau petit ermitage qu’elle lui avait fait construire dans un coin de son jardin. Il y demeura plusieurs mois, plusieurs années. Un jour, arriva chez la vieille dame une très belle jeune fille. La vieille dame lui dit alors :
« Va voir l’ermite; il fait sûrement zazen en ce moment. Va et embrasse-le. »
En le voyant, la jeune fille lui dit :
« Bel ermite, je vous aime; arrêtez votre méditation et faites l’amour avec moi. »
Alors le moine répondit :
« Je suis pareil à l’arbre sec, au rocher froid. Même si tu m’embrasses, je ne ressentirai absolument rien à ton égard. »
La jeune fille retourna alors aupres de la vieille dame qui s’empressa de demander ce qui s’était passé. La jeune fille lui raconta l’entrevue.
« Comment ai-je pu perdre des années à protéger ce moine stupide! » s’écria la vieille femme furieuse et, sur le champ, elle s’en alla brûler l’ermitage... Koan...
Comment aurait dû réagir ce moine?



Notes

[1]. Le bol et le bâton. 120 contes zen racontés par Maître Deshimaru, Éditions Retz, 1979, p. 182.

[2]. Ibid. p. 29

[3]. Ibid. p. 30

[4]. Koan est une énigme, un problème très courte dans sa formulation mais très difficile à résoudre pour un esprit accoutumé à l'ordinaire. Le koan (công án, en vietnamien) a pour fonction de réveiller l'esprit des moines ou tous ceux qui sont à la recherche du satori (du nirvana, de l'illumination), à provoquer l'arrêt de la pensée afin que l'esprit retrouve l'état parfaitement silencieux, calme et libre de tout, étape indispensable à la réalisation du satori.

[5].Ibid. p. 63

[6]. Ibid. p. 65

[7]. Ibid. Kami, en japonais, a le double sens de « dieu » et de « cheveux ».

[8].Ibid., Le bol et le bâton, p. 75

[9].Ibid. p. 119.


Illustration : Collection personnelle


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