K r i s h n a m u r t i

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Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti

Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti




Un petit panorama des thèmes abordés par Krishnamurti lors de ses causeries ou des échanges avec ses interlocuteurs. Ce choix qui est tout à fait arbitraire pour ne pas dire personnel ne repose sur aucun critère. Il ne s'agit bien sûr que des extraits d'ouvrages dont les références sont indiquées en fin de chaque extrait.



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Sur les rapports humains [1].


QUESTION Le concept du bien et du mal ; partager ; la souffrance et la peur ; comment s'affranchir du passé ?

KRISHNAMURTI — Je voudrais parler des rapports humains, de ce que c'est que l'amour, de l'existence humaine qui comprend notre vie quotidienne, nos problèmes, nos conflits, les plaisirs et les peurs, et cette chose extraordinaire que l'on appelle la mort.

Il me semble que nous devons comprendre non pas en tant que théorie, ni en tant que concept hypothétique et divertissant, mais plutôt comme un fait réel, que nous sommes le monde et que le monde est nous-mêmes. Ce monde est chacun de nous; le sentir, être véritablement imprégné de cette compréhension, à l'exclusion de toute autre, entraine un sentiment de grande responsabilité et une action qui doit être non pas fragmentaire, mais globale.

Je crois que nous sommes portés à oublier que notre société, que la culture dans laquelle nous vivons nous a conditionnés, qu'elle est le résultat des efforts, du conflit des humains, de la souffrance, de la misère humaine. Chacun de nous est cette culture, la communauté est chacun de nous. Nous ne sommes pas séparés. Sentir ceci non pas comme une notion intellectuelle, comme un concept, mais en vivre véritablement la réalité, nous entraîne à examiner la question de ce que sont les relations humaines ; parce que notre vie, notre existence même est fondée sur ces relations. Notre existence est un mouvement qui se poursuit dans le sein de ces relations, et si nous ne comprenons pas ce qu'elles impliquent, nous arriverons inévitablement non seulement à nous isoler, mais à créer une société où les êtres humains seront divisés non seulement nationalement ou religieusement, mais encore dans leur vie intérieure, et c'est pourquoi ils projettent ce qu'ils sont dans le monde extérieur.

Je ne sais pas si vous avez suffisamment examiné cette question par vous-même, afin de découvrir si l'on peut vivre avec un autre être dans une harmonie totale, un accord total, de façon qu'il n'y ait aucune barrière, aucune division, mais un sentiment d'unité complète. Ce mot « relation » implique que nous sommes reliés — non pas dans nos actions, dans nos projets, dans une idéologie, mais reliés totalement dans ce sens que la division, ce morcellement qui existe entre individus, entre «ieux êtres humains, n'existe plus à aucun niveau.

Faute de comprendre ces relations, il me semble que, quand nous nous efforçons d'établir théoriquement ou techniquement un ordre dans le monde, par force non seulement nous en viendrons à créer de profondes divisions entre l'homme et son prochain, mais nous serons incapables d'empêcher la corruption. Celle-ci commence avec le manque de rapports réels ; c'est là, me semble-t-il, la racine même de la corruption. Nos relations, telles que nous les connaissons actuellement, sont le prolongement d'un état de division entre les individus. La racine primordiale de ce mot « individu » signifie « indivisible ». Un être humain qui n'est pas divisé, fragmenté en lui-même, est véritablement un individu. Mais la plupart d'entre nous ne le sommes pas. Nous nous figurons l'être, et c'est pour cela qu'il y a une opposition entre l'individu et la communauté. Non seulement il nous faut comprendre le sens donné par le dictionnaire à ce mot « individualité », mais il faut en pénétrer le sens profond d'après lequel il n'y a plus de fragmentation aucune. Cela veut dire une harmonie complète entre l'esprit, le cœur et l'organisme physique. Alors seulement l'individu existe.

Si nous examinons nos rapports actuels les uns avec les autres, qu'ils soient intimes ou superficiels, profonds ou passagers, nous voyons qu'il y a toujours fragmentation. La femme ou le mari, le jeune homme ou la jeune fille, chacun vit sa propre ambition, ses buts personnels et égotistes, enfermé dans son propre cocon. Tous ces éléments contribuent à la construction d'une image en soi-même, tous nos rapports avec autrui passent à travers cette image et, par conséquent, il n'y a aucune relation réelle directe.

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Je ne sais pas si vous avez conscience de la structure et de la nature de cette image que chacun construit autour de soi et en lui-même. Cela se fait à chaque instant, et comment peut-il y avoir des relations avec autrui quand existent cet élan personnel, cette envie, cet esprit de compétition, cette avidité, et toutes ces orces qui sont entretenues et exagérées dans notre société moderne ? Comment pourrait-il y avoir des relations avec un autre si chacun de nous est lancé à la poursuite de sa propre réussite personnelle, de on propre succès ? Je ne sais pas si nous avons conscience de tout ceci. Nous sommes ainsi conditionnés que nous l'acceptons comme étant chose normale, le modèle même de la vie, chacun de nous devant poursuivre ses propres particularités, ses propres tendances, et néanmoins s'efforcer d'établir des relations avec autrui. N'est-ce pas là ce que nous faisons tous ? Vous êtes peut-être marié et vous allez au bureau ou à l'usine ; quoi que vous fassiez pendant la durée de la journée, c'est cela que vous poursuivez. Et votre femme est chez elle, ayant ses propres ennuis, en proie à ses propres vanités, avec tout ce qui se passe autour d'elle. Et quelles sont alors les relations existant entre ces deux êtres humains ? Au lit, dans leur vie sexuelle ? Des relations tellement superficielles, limitées et circonscrites ne sont-elles pas en elles-mêmes l'essence de la corruption ?

On peut se demander : alors comment vous proposez- vous de vivre si vous n'allez pas au bureau, si vous ne poursuivez pas votre propre ambition, vos propres désirs d'atteindre ou d'aboutir ? Si l'on ne fait rien de tout cela, que peut-on faire ? Il me semble que ceci est une question absolument fausse. N'êtes-vous pas du même avis ? Parce que nous sommes préoccupés, n'est-ce pas, de susciter un changement radical dans la structure même de notre esprit. La crise n'est pas dans le monde extérieur, elle est dans notre conscience elle-même. Tant que nous n'aurons pas compris cette crise profondément, et non selon les idées de quelques philosophes, mais jusqu'au moment où véritablement nous comprendrons par nous-mêmes en regardant en nous-mêmes, en nous examinant nous-mêmes, nous serons incapables de provoquer un tel changement. C'est la révolution psychologique qui nous préoccupe, et cette révolution ne peut se produire que s'il y a des relations justes entre les êtres humains

Comment de telles relations peuvent-elles s'établir ? Le problème est clair, n'est-ce pas ? Je vous en prie, partagez cette recherche avec moi, voulez-vous ? C'est votre problème et non le mien ; c'est votre vie, non pas la mienne ; c'est votre souffrance, votre tristesse, votre anxiété, votre culpabilité. Toute cette lutte, c'est votre vie même. Si vous vous contentez d'écouter une description, vous vous apercevrez que vous flottez à la surface du problème et que vous ne pouvez pas le résoudre. C'est véritablement votre problème, l'orateur ne fait que le décrire, bien convaincu que la description n'est pas la chose décrite. Alors partageons ce problème qui est celui-ci : comment les êtres humains, vous et moi, pourraient-ils trouver des relations justes au milieu de tout ce tumulte, de cette haine, de ces destructions, cette pollution, ces horreurs qui régnent dans le monde ?

Pour prétendre le découvrir, il me semble qu'il faut examiner ce qui se passe, voir « ce qui est » réellement et non ce que nous nous figurons que les choses devraient être, sans nous efforcer de modifier nos relations, de les aligner selon un concept à venir ; il s'agit d'observer réellement dans la pâte ce qui est maintenant. Par l'observation du fait, de la vérité, de ce qu'il y a d'actuel, il y a une possibilité de le changer. Comme nous l'avons dit l'autre jour, quand il existe une possibilité, il y a une intense énergie. Ce qui dissipe l'énergie, c'est l'idée que le changement n'est pas possible.

Nous devons donc observer ces relations humaines telles qu'elles sont maintenant, tous les jours ; et c'est en constatant ce qui est que nous pourrons découvrir comment amener une modification à cet état actuel. Donc, nous décrivons ce qui est vraiment, à savoir : chacun vit dans son monde à lui, son monde d'ambition, d'avidité, de peur, de désir de parvenir et tout ce qui en résulte — vous savez ce qui se passe. Si je suis marié, j'ai des responsabilités, des enfants, tout ce qui s'ensuit. Je vais à mon bureau ou ailleurs pour travailler, et nous nous rencontrons mari et femme, garçon et fille, au lit. Et c'est là ce que nous appelons l'amour ; nous vivons des vies séparées, isolées, ayant dressé un mur de résistance autour de nous, poursuivant une activité égocentrique; chacun de nous recherche psychologiquement une sécurité, chacun dépend de l'autre pour son confort, son plaisir,sa compagnie, parce que chacun de nous est si profondément esseulé, chacun a soif d'être aimé, chéri, et chacun cherche à dominer l'autre.

Vous pouvez voir cela par vous-même si vous voulez bien vous observer. Des relations réelles existent-elles ? Il n'y en a aucune entre deux êtres humains ; même s'ils ont des enfants, une maison commune, ils ne sont pas véritablement reliés l'un à l'autre. S'ils ont des projets communs, ces projets les maintiennent, les lient, mais ce ne sont pas là des relations réelles.

Compte tenu de tout ceci, on constate I'absence de tout lien réel entre deux êtres humains ; alors la corruption s'installe non pas dans la structure extérieure de la société, par le phénomène extérieur de la pollution, mais par la pollution intérieure, la corruption, la destruction s'installe quand les êtres humains n'établissent aucune relation véritable, et c'est le cas pour vous. Vous pouvez tenir la main d'un autre, vous pouvez l'embrasser, dormir ensemble, mais vraiment, quand vous y regardez de près, existe-t-il des relations réelles ? Être en relations réelles signifie ne pas dépendre l'un de l'autre, ne pas vous évader de votre solitude au moyen d'un autre, ne pas vous efforcer de trouver un réconfort, une compagnie, grâce à un autre. Quand vous recherchez un réconfort chez autrui, que vous dépendez avec tout ce que cela implique, peut-il y avoir des relations réelles, ou bien n'est-ce qu'une exploitation réciproque ? Nous ne sommes pas cyniques, mais nous observons réellement ce qui est : ce n'est pas du cynisme. Donc, pour découvrir ce que cela signifie réellement d'être relié à un autre, il faut comprendre cette question de solitude, parce que la plupart d'entre nous sommes affreusement seuls ; plus nous devenons vieux, plus nous sommes seuls et plus particulièrement dans ce pays-ci. Avez-vous remarqué les gens âgés, à quoi ils ressemblent, avez-vous remarqué leurs évasions, leurs distractions ? Ils ont travaillé toute leur vie et, maintenant, ils veulent s'évader en se livrant à différents modes de distractions.

Ayant pris connaissance de tout cela, pouvons-nous découvrir une manière de vivre où nous ne nous exploitons pas les uns les autres ? — où, psychologiquement et émotionnellement, nous ne dépendons pas des autres, où nous n'utilisons pas les autres comme un moyen de nous évader de nos propres tourments, de nos propres désespoirs, de notre propre solitude.

Comprendre ceci, c'est comprendre le sens de la solitude. Vous êtes-vous jamais senti seul ? Savez-vous ce que c'est que d'être absolument sans aucun lien avec personne, d'être complètement isolé ? Vous pouvez vivre au sein de votre famille, dans une foule, dans un bureau, n'importe où, quand ce sentiment complet de solitude absolue s'abat sur vous, il entraîne avec lui son complément de désespoir. Jusqu'au jour où vous aurez résolu ce problème complètement, tous vos rapports avec les autres seront des moyens d'évasion et conduiront, par conséquent, à la corruption, à la souffrance. Dès lors, comment comprendre cette solitude, ce sentiment d'isolement complet ? Pour cela, il nous faut observer notre propre vie. Chacune de vos actions n'est-elle pas une activité autocentrique ? Vous pouvez bien, à l'occasion, être charitable, être généreux, faire quelque chose sans aucun motif personnel — ce sont de rares événements. Et ce désespoir ne peut jamais être dissous par une évasion, il ne cède qu'à une intense observation.

Nous voilà donc revenus à notre question qui est : comment observer ? Comment nous observer nous-mêmes de façon que cette observation soit dépourvue de tout conflit ? Parce que le conflit en lui-même est corruption, gaspillage d'énergie ; il règne dans la lutte constante qu'est notre vie depuis l'instant de notre naissance jusqu'au jour de notre mort. Est-il possible de vivre sans qu'il y ait un instant de conflit ? Pour ce faire, pour découvrir cela par nous-mêmes, il nous faut apprendre comment observer tous les mouvements de notre âme. Il existe une observation qui devient harmonieuse et qui est vraie quand l'observateur n'existe pas, mais quand ne demeure que la seule observation. C'est un point que nous avons examiné l'autre jour.

Quand il n'y a pas de relations réelles, l'amour peut-il exister ? Nous en parlons mais l'amour tel que nous le connaissons est toujours associé au plaisir et à la sexualité, n'est-ce pas ? Certains d'entre vous diront « non ». Mais quand vous dites « non », il vous faut alors être sans ambition, sans esprit de compétition, sans ces divisions : vous et moi, nous et eux. Il faut qu'il n'y ait aucune division de nationalité, ni celle qu'entraînent la croyance, le savoir. Alors seulement pouvez-vous dire que vous aimez. Pour la plupart des gens, l'amour est lié à la sexualité, au plaisir, à toute la peine qui les accompagne : la jalousie, l'envie, l'hostilité. Vous savez tout ce qui se passe entre l'homme et la femme. Quand ces relations-là ne sont pas vraies, réelles, profondes, complètement harmonieuses, comment pouvez-vous espérer voir régner la paix dans le monde ? Comment peut-on voir la fin de la guerre ?

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Nos relations réciproques sont donc une des choses les plus importantes, sinon la plus importante de la vie. Ceci veut dire qu'il nous faut comprendre ce que c'est que l'amour. Et, assurément, l'amour surgit étrangement sans que nous l'ayons sollicité. Quand vous aurez découvert par vous-même ce que l'amour n'est pas, vous «aurez ce qu'il est. Ceci non pas théoriquement ni verbalement, mais quand réellement vous voyez ce que l'amour n'est pas, à savoir : avoir un esprit compétitif, ambitieux, un esprit toujours en lutte, à comparer, à imiter ; un tel esprit est absolument incapable d'aimer. Pouvez-vous, vivant dans ce monde, être complètement sans ambition, sans jamais vous comparer à un autre ? Parce que dès I'instant où, vous comparez, s'installent le conflit, l'envie, le désir de réussir, de surpasser l'autre.

Un esprit et un coeur qui gardent la mémoire des blessures, des insultes, de tout ce qui les a rendus insensibles, de tout ce qui les a émoussés, un tel esprit, un tel coeur peuvent-ils savoir ce qu'est l'amour ? Est-il plaisir ? Pourtant c'est bien le plaisir que nous recherchons consciemment ou inconsciemment. Nos dieux sont l'émanation de notre plaisir. Nos croyances, notre structure sociale, notre moralité — laquelle est essentiellement immorale — sont le résultat de notre recherche du plaisir, et quand nous disons : « J'aime quelqu'un », est-ce l'amour qui parle ? — ce qui veut dire : pas de séparation, pas de domination, pas d'activité autocentrique. Pour découvrir ce que c'est, il faut rejeter tout cela, le rejeter, c'est-à-dire en voir la fausseté. Et quand une fois vous avez vu une chose comme étant fausse — une chose que jusqu'alors vous ayez acceptée comme étant vraie, naturelle, humaine — alors jamais plus vous ne pouvez y retourner. Quand vous voyez un serpent venimeux, un animal dangereux, vous ne vous amusez pas avec lui, vous ne vous en approchez pas. Et de même, quand vous voyez véritablement que l'amour est complètement étranger à toutes ces choses, quand vous le sentez, quand vous observez et que vous le remâchez, que vous vivez la chose, que vous êtes complètement engagé dans votre examen, alors vous saurez ce que c'est que l'amour, ce que c'est que la compassion — ce qui implique la passion pour tous les hommes.

Nous sommes sans passion ; nous connaissons le désir ; la racine du mot « passion », c'est la souffrance, la douleur. Tous nous l'avons connue, la douleur d'une sorte ou d'une autre : avoir perdu quelqu'un, s'apitoyer sur soi, la souffrance de la race humaine, collective ou personnelle. Nous savons ce qu'elle est, la mort de quelqu'un que nous pensions avoir aimé. Si vous demeurez totalement avec elle, sans chercher à la raisonner, sans chercher à la fuir d'aucune façon, ni en parole ni en action, quand vous demeurez en présence de votre souffrance complètement, sans aucun frémissement de votre pensée, vous découvrez alors que cette souffrance devient passion, et cette passion a en elle-même la qualité de l'amour, et l'amour ne connaît pas la souffrance.

Il nous faut comprendre toute cette question de notre existence, les conflits, les luttes ; vous connaissez la vie que nous menons, si vide, si superficielle. Les intellectuels s'efforcent de lui donner un sens, et nous aussi voudrions lui trouver une signification, car telle que nous la vivons, elle n'en a pas. En a-t-elle ? La lutte constante, le travail sans fin, la douleur, la souffrance, le labeur qui marquent notre vie. Tout cela, en fait, n'a aucun sens ; c'est par habitude que nous nous y livrons. Mais pour découvrir quelle en est la signification, il nous faut aussi comprendre la signification de la mort. Parce que vivre et mourir vont de pair, ce ne sont pas deux choses séparées.

Il nous faut donc nous demander ce que cela signifie que de mourir, parce que la mort fait partie de notre vie. Elle n'est pas quelque chose à remettre à un avenir éloigné, qu'il s'agit d'éviter, à regarder en face uniquement lorsqu'on est désespérément malade, quand on est vieux, ou par suite d'un accident ou sur un champ de bataille. Et de même que cela fait partie de notre vie quotidienne de vivre sans être effleuré par aucun conflit, cela fait partie de notre vie de découvrir ce que c'est que de mourir. Cela aussi fait partie de notre existence, et nous devons le comprendre.

Dans quel sens comprenons-nous ce que c'est que la mort ? Au moment de mourir, au dernier moment, êtes-vous capable de comprendre la façon dont vous avez vécu ? — les tensions et les luttes émotionnelles, les ambitions, les élans ; à ce moment, vous êtes probablement inconscient et incapable d'une perception claire. Et puis, il y a une décrépitude de l'esprit qui accompagne la vieillesse, et tout ce qui s'ensuit. Il nous faut donc comprendre dès maintenant ce qu'est la mort, et non pas demain. Et comme vous pourrez l'observer, notre pensée se répugne à y réfléchir. Votre pensée se tourne vers toutes les choses que vous allez faire demain — comment connaître de nouvelles inventions, avoir de plus belles salles de bains ; toutes ces choses où s'attardent vos rêves. Mais elle ne veut pas réfléchir à la mort, car elle ne sait pas ce que cela veut dire.

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La signification de la mort peut-elle être trouvée au moyen de la pensée ? Je vous en prie, partagez ceci avec moi. Quand nous partageons, nous commençons à voir la beauté de tout ceci, mais si vous restez assis là et laissez parler l'orateur, n'écoutant que les paroles qu'il prononce, nous ne partageons rien. Partager implique une certaine qualité de soin, d'attention, d'affection, d'amour. La mort est un immense problème ; les jeunes peuvent bien dire : « Pourquoi nous en soucier ? :» Mais cela fait partie de leur vie. Tout comme cela fait partie de leur vie de comprendre l'état de célibat. N'allez pas dire : « Pourquoi parler de l'état de célibat, tout cela c'est pour les vieux birbes, pour les moines stupides. » Ce que cela veut dire que de vivre une vie de célibat a été un problème pour les autres humains ; tout cela aussi fait partie de la vie.

L'esprit peut-il être complètement chaste ? Il ne s'agit pas de découvrir comment vivre d'une vie chaste, de faire vœu de célibat et de passer par les tourments que cela entraîne. Ce n'est pas cela, le célibat. C'est quelque chose d'absolument différent. C'est avoir un esprit libéré de toutes les images, de tous les savoirs, cela veut dire comprendre tout le processus du plaisir, de la peur.

Et c'est de la même façon qu'il faut comprendre cette chose que nous appelons la mort. Comment vous proposez-vous de comprendre une chose dont vous avez affreusement peur. N'avons-nous pas peur de la mort ? Ou encore, nous disons : « Dieu merci, je vais mourir. » J'en ai assez de cette vie avec ses tourments, sa confusion, sa vulgarité, sa brutalité, les mécanismes qui nous tiennent ; Dieu merci, tout cela va prendre fin ! » Ce n'est pas une réponse non plus que de raisonner avec la mort ou de croire à la réincarnation, comme le fait tout le monde asiatique. Pour découvrir ce que signifie la réincarnation, c'est-à-dire renaître dans une vie future, il vous faut découvrir ce que vous êtes maintenant. Si vous croyez à la réincarnation, qu'êtes-vous maintenant ? — un amas de mots, d'expériences, de savoir ; vous êtes conditionné par différentes cultures, toutes les identifications de votre vie, vos meubles, votre maison, votre compte en banque, vos expériences de souffrance et de plaisir. C'est là ce que vous êtes, n'est-ce pas ? Et aussi le souvenir de vos échecs, de vos espérances, de vos désespoirs, tout ce que vous êtes maintenant, tout cela va renaître dans une autre vie. Une idée délicieuse, n'est-ce pas !

Ou bien vous vous figurez qu'il existe en vous une âme permanente, une entité permanente. Existe-t-il en vous quelque chose de permanent ? Dès l'instant où vous dites qu'il existe une âme permanente, une entité permanente, cette entité est le produit de votre pensée ou le résultat de vos espérances, parce qu'il y a tant d'insécurité que tout est passager, tout est flottement, en mouvement. Donc, quand vous dites qu'il existe quelque chose de permanent, cette permanence est le produit de votre pensée. Et la pensée appartient au passé jamais elle n'est libre — elle est capable d'inventer tout ce qu'elle veut!

Donc, si vous croyez à une naissance future, il vous faut savoir que ce futur est conditionné par votre façon de vivre actuelle : ce que vous faites maintenant, ce que vous pensez, ce que sont vos actions, votre morale. Donc, ce que vous êtes maintenant, ce que vous faîtes maintenant a une importance immense. Mais tous ces gens qui croient à une autre naissance ne se soucient absolument pas de ce qui se passe maintenant, c'est une affaire de croyance, rien de plus.

Donc, comment allez-vous découvrir ce que c'est que la mort, alors que vous vivez maintenant plein de vitalité, d'énergie, de santé ? Il ne s'agit pas de le découvrir quand vous êtes déséquilibré ou malade ou à votre dernière heure, mais maintenant, sachant que l'organisme s'use inévitablement comme toutes les choses mécaniques. Malheureusement, nous utilisons notre mécanique avec le plus grand manque de respect, n'est-ce pas ? Sachant que l'organisme physique prend fin, avez-vous jamais réfléchi à ce que cela veut dire que de mourir ? Vous ne le pouvez pas. Et avez-vous jamais fait l'expérience de découvrir ce que cela signifie que de mourir psychologiquement, intérieurement ? — non pas comment trouver l'immortalité, parce que l'éternité, ce qui est en dehors du temps, existe maintenant et non pas dans un avenir éloigné. Et pour examiner cette question, il faut comprendre tout le problème du temps, non seulement le temps chronologique que l'on mesure à la montre, mais ce temps que la pensée a inventé pour couvrir la notion d'un processus graduel de changement. (...)

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Notes :
[1].L'Éveil de l'intelligence, pp. 77-88

Crédits photos :
- Vignette 1: Collection personnelle.
- Vignette 2 : découpage d'une photo © Ba Han
- Panorama : découpage d'une photo : http://www.ibiblio.org/vietnam/people.html
- Vignette 3 (paillotte-cocotier) : découpage d'une photo : http://www.ibiblio.org/pub/multimedia/pictures/asia/vietnam/scenery/


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