K r i s h n a m u r t i

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Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti

Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti




Un petit panorama des thèmes abordés par Krishnamurti lors de ses causeries ou des échanges avec ses interlocuteurs. Ce choix qui est tout à fait arbitraire pour ne pas dire personnel ne repose sur aucun critère. Il ne s'agit bien sûr que des extraits d'ouvrages dont les références sont indiquées en fin de chaque extrait.



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Sur la révolution intérieure [1]


QUESTION L'observateur et l'observé ; fragmentation ; résistance.

KRISHNAMURTI — Nous allons examiner ensemble la question de savoir ce que recèle la conscience, dans les couches profondes de l'esprit — ce qu'on appelle en général l'inconscient. Il s'agit pour nous de susciter une révolution radicale en nous-mêmes, et par conséquent dans la société. La révolution physique tant prônée actuellement dans le monde entier n'entraîne pas un changement fondamental de l'homme.

Dans une société corrompue telle que la société actuelle, en Europe, en Inde et ailleurs, il faut qu'il y ait des changements fondamentaux dans la structure même de la société. Et si l'homme lui-même reste corrompu dans ses activités, il contaminera la structure quelle qu'elle soit, si parfaite qu'elle puisse être ; il est par conséquent impératif, absolument essentiel que lui-même change. Ce changement peut-il être provoqué par un processus de durée, un aboutissement graduel au moyen d'un changement graduel ? Ou bien le changement ne se produit-il que dans l'instant présent ? C'est là ce que nous allons examiner ensemble.

On voit la nécessité d'un changement intérieur — plus on est sensitif, éveillé, intelligent, plus on prend conscience qu'il est besoin d'un changement profond, véritable, vivace. Le contenu de la conscience, c'est la conscience ; ce ne sont pas deux choses séparées. Ce qui est implanté dans la conscience constitue la conscience. Et, s'agissant d'y provoquer un changement — à la fois dans celle qui est manifestée comme dans celle qui est plus cachée — cela dépend-il de l'analyse du temps ou de la pression de l'entourage ? Ou bien le changement doit-il se produire indépendamment de toute pression, de toute contrainte ?

Voyez-vous, l'examen de cette question va se révéler assez ardu ; elle est très compliquée, et j'espère que nous pourrons partager cette recherche. Faute d'approfondir ce sujet très sérieusement, se donnant vraiment du mal et y prenant un intérêt profond, une passion réelle, j'ai peur que nous ne puissions pas aller bien loin (loin n'est pas ici une question de temps ou d'espace, niais de profondeur intérieure). Il faut une grande passion, une grande énergie, et, pour la plupart, nous gaspillons notre énergie dans des conflits divers. Et il en faut si nous examinons toute cette question de l'existence. Mais l'énergie abonde quand existe la possibilité de changement ; là où il n'y a pas de possibilité de changement, elle s'étiole.

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Nous nous figurons ne pas pouvoir changer. Nous acceptons les choses telles qu'elles sont, et ainsi nous cédons an découragement, à la dépression, à l'incertitude et à la confusion. Il est possible de changer d'une façon radicale, et c'est là ce que nous allons examiner. Si vous voulez, ne suivez pas trop minutieusement les paroles prononcées par l'orateur, mais utilisez ses mots comme un miroir pour vous observer vous-même et interrogez-vous avec passion, avec intérêt, vitalité et une grande énergie. Et peut-être alors parviendrons-nous à un point où nous pourrons constater d'évidence que, sans aucune sorte d'effort, sans aucun mobile d'aucune espèce, cette transformation radicale se produit d'elle-même.

Il n'y a pas seulement la connaissance superficielle de nous-mêmes, mais il y a encore le contenu profond et caché de notre conscience. Comment l'examiner, coin» ment dévoiler ce contenu tel qu'il est ? Est-ce une chose à faire fragment par fragment, lentement, graduellement — ou bien tout le tableau peut-il être exposé et compris en un instant, de sorte que le processus analytique tout entier prenne fin ?

Nous allons approfondir la question de l'analyse. Pour l'orateur, l'analyse est la négation même de l'action. L'action ayant toujours lieu dans le présent actif. L'action ne signifie pas « ayant fait » ou « on fera », mais on fait. L'analyse fait obstacle à cette action du présent, parce que toute analyse implique un écoulement de temps ; il y a une dénudation graduelle : l'examen d'une couche après l'autre, et encore l'analyse du contenu de chaque couche. Et si l'analyse n'est pas parfaite, complète, vraie, alors étant incomplète, elle laisse une connaissance qui elle-même est incomplète. Et l'analyse suivante part d'une chose qui est incomplète.

Regardez, je m'examine moi-même, je m'analyse moi-même, et si mon analyse est incomplète, alors ce que j'ai fait devient la base à partir de laquelle j'avance dans l'analyse de la couche suivante, et par ce procédé chaque analyse est incomplète, conduisant à de nouveaux conflits, et ainsi à un état d'inaction. Puis, dans l'analyse, il y a l'analyseur et la chose analysée, que l'analyseur soit un professionnel ou que ce soit vous-même, un laïque ; il existe cette dualité, l'analyseur analysant une chose dont il se figure qu'elle est différente de lui-même. Mais cet analyseur, qu'est-il ? Il est le passé, il est la science accumulée de toutes les choses qu'il a analysées ; et c'est avec cette science — qui appartient au passé — qu'il analyse le présent.

Ce processus implique donc des conflits, une lutte pour chercher à se conformer ou pour forcer et contraindre ce qui est l'objet de l'analyse. Et puis il y a tout le processus des rêves. Je ne sais pas si vous vous êtes vous-même intéressé à tout ceci. Vous avez probablement lu des livres écrits par d'autres, et c'est regrettable, parce que si célèbres que soient vos auteurs, vous ne faites que répéter ce qu'ils ont pu dire. Mais si vous ne lisez pas tous ces livres, comme l'orateur qui, lui, ne les lit pas, alors il vous faut enquêter vous-même ; cela devient beaucoup plus intéressant, beaucoup plus original, plus direct et plus vrai.

C'est dans le processus d'analyse ou de psychanalyse qu'existe cet univers de rêves. Nous les acceptons comme étant chose nécessaire, parce que des professionnels ont dit : « Vous devez rêver, autrement vous deviendrez fou. » Et ces paroles renferment quelque vérité. Nous nous posons toutes ces questions parce que nous cherchons à découvrir s'il est possible de changer radicalement, alors qu'il y a tant de confusion, tant de souffrance, de haine et de brutalité dans le monde. Il n'existe aucune compassion. Et si l'on est le moins du monde sérieux, on doit forcément examiner toutes ces questions. Notre recherche n'est pas un simple divertissement intellectuel. Nous cherchons véritablement à découvrir s'il est possible de changer, et si nous voyons la possibilité de le faire, qui que nous soyons, aussi superficiels, aussi légers, aussi répétitifs, aussi imitatifs, si nous voyons qu'existe une possibilité de changement complet, nous avons l'énergie de le faire. Mais dès l'instant où nous disons que ce n'est pas possible, notre énergie se dissipe d'elle-même.

Donc, nous examinons cette question de savoir si la psychanalyse produit un changement radical d'aucune sorte, ou si elle n'est qu'un divertissement intellectuel, un procédé pour éviter l'action. Mais comme nous le disions, l'analyse implique que l'on pénètre dans un monde de rêves. Les rêves, que sont-ils et comment prennent-ils naissance ? Je ne sais pas si vous avez examiné ce sujet — et si vous l'avez fait, vous aurez vu que les rêves sont la prolongation de votre vie quotidienne. Ce que vous [faites pendant la journée, tout le mal, la corruption, la haine, les plaisirs passagers, l'ambition, la culpabilité, et ainsi de suite, tout cela se prolonge dans le monde des rêves, mais sous forme de symboles, de tableaux et d'images. Ces tableaux et ces images doivent être interprétés, et alors se déchaîne tout ce tapage que nous connaissons.

Mais nous ne nous demandons jamais pourquoi nous rêvons. Nous avons accepté le rêve comme une chose essentielle, comme faisant partie de la vie. Et maintenant, nous nous demandons (si vous partagez ce point de vue avec moi) pourquoi nous rêvons. Est-il possible, quand vous vous endormez, d'avoir l'esprit complètement calme ? Car l'esprit ne se renouvelle que dans cet état de calme, il se vide alors de son contenu et se réveille plein de fraîcheur, de jeunesse, de clarté, ayant éliminé toute confusion.

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Si les rêves sont la prolongation de notre vie quotidienne, de ses remous, de l'anxiété, du désir de sécurité, des attachements, alors inévitablement ils se produiront sous leur forme symbolique. Ceci est clair, n'est-ce pas ? Alors on se demande : « Mais pourquoi rêver ? » Les cellules du cerveau ne peuvent-elles pas être calmées, tranquilles, sans remâcher tout le charabia de la journée ?

Cela, il faut le découvrir par expérience et non pas en acceptant ce que dit l'orateur — et pour l'amour du ciel, n'acceptez jamais, parce que nous partageons notre investigation, nous l'entreprenons ensemble. Vous ne pouvez en faire l'expérience personnelle qu'en étant totalement en éveil dans le courant de la journée, en observant vos pensées, vos mobiles, votre façon de parler, de marcher et de causer. Et quand vous êtes suffisamment éveillé, vous recevez des suggestions venant de l'inconscient, des couches les plus profondes, parce qu'à ce moment vous les exposez, en sollicitant les motifs cachés, les anxiétés — tout le contenu de l'inconscient se révèle au grand jour. Ainsi, quand vous vous endormez, vous vous apercevez que votre esprit — le cerveau compris — est dans un état de tranquillité extraordinaire. Il se repose véritablement parce que vous en avez fini avec ce que vous aviez à faire dans le courant de la journée.

Si vous passez en revue votre journée, au moment de vous coucher et de vous endormir — ne le faites-vous pas ? — en vous disant : « J'aurais dû faire ceci, je n'aurais pas dû faire cela », « II aurait mieux valu faire cela, je regrette bien d'avoir dit ceci » ; quand vous passez ainsi en revue tous les événements de la journée, vous essayez, en fait, d'établir un ordre en vous-même avant de vous endormir. Si vous ne vous inquiétez pas d'installer cet état d'ordre avant de vous endormir, votre cerveau s'efforce de le faire pendant votre sommeil. Parce que le cerveau ne fonctionne parfaitement que ! dans un état d'ordre, non pas dans un état de confusion. I II fonctionne avec le plus d'efficacité quand il y a un | ordre complet, que celui-ci ait été imposé rationnellement ou par l'effet d'une névrose, parce que, dans la névrose, dans le déséquilibre, il existe un ordre et le cerveau l'accepte.

Donc, si vous passez en revue tous les événements de la journée avant de vous endormir, vous cherchez à établir un ordre et, par conséquent, le cerveau n'a pas lieu de l'établir pendant votre sommeil : vous l'avez fait vous-même. Or, vous pouvez établir un tel ordre à chaque minute de la journée si vous prenez conscience de tout ce qui se passe extérieurement et intérieurement. Extérieurement, dans ce sens que vous prenez conscience du désordre qui vous entoure, de la cruauté, de l'indifférence, de la dureté, de la saleté, des querelles, des politiciens et de leurs chicanes — tout cela se passe autour de vous. Et aussi vos relations avec votre mari, votre femme, votre fiancée ou votre bon ami. Vous prenez conscience de tout cela dans la journée sans vouloir rien y changer. Vous en prenez seulement conscience. Dès l'instant où vous vous efforcez d'y changer quelque chose, vous introduisez le désordre ; mais si vous vous contentez d'observer les choses vraiment telles qu'elles sont, alors, ce qui est, c'est l'ordre.

Quand vous vous efforcez de changer quelque chose à « ce qui est », alors seulement il y a désordre, parce que votre désir est de changer les choses conformément à votre savoir acquis. Ce savoir, c'est le passé, et vous cherchez alors à modifier « ce qui est » — qui n'est pas le passé — selon ce que vous avez pu apprendre. Par conséquent, il existe un état de contradiction et de déformation, et tout cela est désordre.

Donc, dans le courant de la journée, si vous prenez conscience des cheminements de votre pensée, de vos mobiles, de l'hypocrisie, de vos faux-semblants — faire une chose, en dire une autre et en penser une troisième — du masque que vous mettez, de vos façons de tromper que vous avez si prestes à la portée de votre main, si vous percevez tout cela dans le courant de la journée, vous n'avez même pas besoin de passer votre journée en revue au moment de vous endormir, car vous avez établi un état d'ordre de minute en minute. Ainsi, quand vous vous endormez, vous vous apercevez que vos cellules cérébrales qui ont retenu et qui conservent le passé goûtent un repos total, et votre sommeil devient alors quelque chose d'entièrement différent. Quand nous nous servons du mot « esprit », cela comprend le cerveau, tout le système nerveux, l'affectivité, toute cette structure humaine ; nous parlons de tout cela et non pas de quelque chose d'isolé. Ce vocable comprend l'intellect, le cœur et tout le système nerveux. Alors, quand vous vous endormez, tout ce processus prend fin et, au moment du réveil, vous voyez les choses exactement telles qu'elles sont, et non pas avec votre interprétation ou le désir d'y changer quelque chose.

C'est ainsi que l'analyse, pour l'orateur, est un obstacle pour l'action. Et l'action est une chose absolument essentielle quand il s'agit de provoquer ce changement radical. L'analyse n'est donc pas le processus voulu. N'acceptez pas, je vous en prie, ce que dit l'orateur, mais observez les choses par vous-même, apprenez à les connaître non par de moi, mais apprenez en observant tout ce qu'implique l'analyse : le temps, l'analyseur, la chose analysée — l'analyseur est la chose analysée — et il faut que chaque analyse soit complète, autrement elle déforme l'analyse suivante. Donc il s'agit de voir que tout ce processus, qu'il s'agisse d'introspection ou d'analyse intellectuelle, est totalement erroné ! Ce n'est pas là la façon de s'en sortir. Elle est peut-être nécessaire pour ceux qui sont plus ou moins, ou même très déséquilibrés, et peut-être que la plupart d'entre nous le sommes.

il nous faut découvrir une façon d'observer tout le contenu de la conscience sans avoir recours à l'analyseur. C'est très amusant, parce que ce faisant, vous avez complètement rejeté tout ce qui a pu être dit par autrui. Alors vous vous tenez debout tout seul, et quand vous découvrez quelque chose par vous-même, cette chose sera authentique, réelle, vraie, ne dépendant d'aucun professeur, d'aucun psychologue, d'aucun psychanalyste, et ainsi de suite.

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Notes :
[1]. Extraits de : L'éveil de l'intelligence, 57-63.

Crédits photos :
- Vignettes 1 : Collection personnelle.
- Photo : Saanen, juillet 1984, collection personnelle. Remarquer : à gauche de la photo se trouve une estrade surélévee, une simple chaise en bois posée dessus, c'est sur cette chaise que Krishnamurti s'asseyait pour parler à son public. C'est de la simplicité, aucune fioriture, aucune cérémonie.
- Vignette2 : Découpage d'une photo. © Ba Han.



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