Communications aux colloques

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À la recherche d'un habitat écologique pour un environnement écologique :
héritage & modernisation de Phú Yên.
À la recherche d'un habitat écologique pour un environnement écologique :
héritage & modernisation de Phú Yên.



Communication faite au symposium international lors de la célébration du 400e anniversaire de la fondation de la province de Phú Yên, Tuy Hoà, 2 avril 2011.

Bản tiếng việt



L'existant


Quand on veut consulter la monographie de la province de Phú Yên et qu'on se rapporte à l'ouvrage classique le Đại Nam nhất thống chí [1] les renseignements n'y sont pas aussi abondants que ceux concernant d'autres provinces plus anciennes comme le Nghệ An ou le Thanh Hoá par exemple. L'ensemble des connaissances historiques sur cette province que les auteurs ont bien voulu laisser y figurer se résume à quelques dizaines de pages. Il existe peu d'ouvrages, de travaux sur la province par rapport aux quatre cents ans d'existence de la province depuis que ce territoire de l'ancien Champa passa sous contrôle de la seigneurie des Nguyễn jusqu'à présent. Cette donnée informative est révélatrice de la méconnaissance de la région par le monde extérieur y compris les autres régions du Vietnam. Nous disposons à l'heure actuelle de plus d'informations à caractère technique pour nous faire une idée plus précise de la province.

Phú Yên comme d'autres provinces de l'ancien Champa bénéficie d'une situation privilégiée sur le plan géographique. Adossée au plateau du Đắc Lắc sur son flanc occidental et aux monts méridionaux de la chaîne Trường Sơn des côtés nord et sud, la province s'ouvre sur la mer : un littoral pittoresque sur presque 200 kilomètres formé de plaines, de plages, de baies, de lagunes et de presqu'iles qui donnent une diversité à la forme et à la beauté du relief. La province qui s'étend sur plus de 5000 km² est irriguée par de nombreux cours d'eau qui prennent leurs sources dans les hauteurs montagneuses du pays, tandis que les sources des deux plus grands fleuves du pays se trouvent aux confins du plateau tibétain, ailleurs qu'au Vietnam. Cette dernière caractéristique est une donnée précieuse à une époque où ce bien naturel, qui est l'eau, devient un objet de convoitise pour les grands groupes industriels comme pour les États voulant mettre la main sur cette ressource naturelle [2]. À l'intérieur des terres, Phú Yên peut aligner d'autres atouts touristiques tels que lacs, sources d'eaux chaudes, cols, collines, plateaux, montagnes, grottes, forêts, etc. La géographie humaine représente aussi un attrait non négligeable avec la présence des minorités ethniques telles que les Cham, Raglai, Édé, Hrê, Mnong, Bahnar, pour ne citer que les plus connus, qui, par leur héritage, contribuent à la richesse culturelle du pays. La province de Phú Yên bénéficie par ailleurs d'un ensoleillement annuel appréciable puisque la saison sèche dure de janvier à août et la température moyenne annuelle se situe autour de 26°C, autrement dit, le soleil est au rendez-vous sur une bonne partie de l'année pour les touristes à la recherche de l'exotisme tropical. Mais le soleil n'est pas seulement là pour faire dorer la peau des touristes, il est encore très utile à d'autres choses car c'est une source de chaleur donc d'énergie inépuisable à l'échelle humaine.

Sur le plan civilisationnel, les peuples de cette région comme ceux de l'ensemble du Vietnam y compris les Vietnamiens, peuple majoritaire et assimilateur, ont en commun un certain nombres de traits que notre géographe regretté, Pierre Gourou, qualifie de civilisation du végétal [3]. Pendant des siècles et des siècles pour ne pas dire des milliers d'années, le végétal constituait l'élément de base de leur alimentation dont le riz était la principale composante, et l'élément carné n'était qu'occasionnel ou exceptionnel, une pratique tout à fait en harmonie avec l'environnement, en effet le pays est dépourvu de prairies et de pâturages indispensables à l'élevage à grande échelle. Ce régime alimentaire a imprimé ses traces dans les traditions orales : on dit au Vietnam que "un repas sans légumes est comme un malade sans médicaments" (ăn không rau như đau không thuốc). Les poissons d'eau douce pour les uns et les produits de la mer pour les autres apportaient le complément en protéines. L'habitat était construit avec des matériaux locaux (terre, argile, terre cuite, paille, herbes à paillote, bois, bambou, rotin, etc...) facile à trouver et qu'on n'a pas besoin de faire venir de loin, ce qui aurait demandé de l'énergie, du travail, et donc des dépenses supplémentaires pour le transport. Selon le mode vie sédentaire ou nomade les habitations duraient plus ou moins longtemps en fonction également du mode architectural plus ou moins durable. Vivant sous un climat tropical, les peuples de la région n'avaient pas à se soucier des hivers des pays tempérés, les besoins en matière d'habillement étaient ainsi limités. Chaque famille confectionnait pour ses propres besoins à partir là aussi de fibres végétales ou naturelles : coton, chanvre, soie, satin, etc. Les objets d'usage courant et les meubles étaient d'origine végétale (bois d'œuvre, rotin, bambous). L'usage des métaux était rare et restreint à certains domaines : pour les ustensiles de cuisine on préférait le cuivre ou son alliage le bronze et la fonte, le bronze était apprécié aussi pour ses qualités dans les instruments de musique tels que le gong ou les cymbales tandis que le fer était employé dans la fabrication des armes et armures. Il faut souligner aussi que ce mode de vie qui reposait sur l'autosuffisance dans quasiment tous les domaines ne produisait pas de déchets car tout ce qui était recyclable était recyclé, même les déchets humains et animaux étaient récupérés pour être transformés en engrais. Comme presque tous les matériaux utilisés étaient naturels voire d'origine végétale, donc biodégradables à courte échelle, on peut ainsi dire que pendant des siècles et des siècles ces peuples vivaient dans des sociétés sans déchets, comme la plupart des sociétés dites primitives d'Amérique précolombienne, et d'Afrique. Le recyclage systématique se pratique encore aujourd'hui dans la campagne vietnamienne : les balles [4] et la paille de riz sont récupérées pour en faire du combustible, les excréments de buffle ou de vache mélangés à la boue fournissent un combustible bon marché et à portée de main. En deux siècles d'évolution, l'humanité est passée d'une société sans déchets à une société à déchets dont certains d'entre eux on ne sait pas que faire.

Grâce à la guerre des années 1960 et 1970 contre les États-Unis, le Vietnam a déjà hérité des millions de litres de dioxine et d'autres herbicides répandus sur des zones forestières [5]. Les conséquences de cet écocide se ressentent encore aujourd'hui trente ans après la fin de la guerre. Le pays a suffisamment souffert et souffre encore de cette calamité pour qu'on ne continue pas à augmenter le risque sanitaire majeur pour la population. Pendant des siècles et des siècles, des générations d'hommes ont transmis à leurs successeurs un environnement identique à celui qu'ils avaient reçu de leurs prédécesseurs. Cette transmission est désormais bien compromise car l'environnement devient de jour en jour plus malade à cause des activités humaines (industrie, agriculture, transport...) : les eaux sont polluées jusqu'aux nappes phréatiques, le sol cultivable ne survit que grâce aux engrais chimiques qui le stérilisent, l'emploi des insecticides et des herbicides aidant finit par se retourner contre l'homme après avoir contaminé le milieu environnant.

En matière d'énergie, la province de Phú Yên ne semble pas souffrir de l'éloignement des centrales électriques pour rester une zone déshéritée car elle dispose de deux centrales hydrauliques sur son territoire, l'une sur la rivière Hinh dont la puissance est de 72 MW et l'autre sur le rivière Ba trois fois plus puissante. Phú Yên est encore couverte par des réseaux de communication modernes tels que le câble, l'ADSL, les ondes ultra courtes pour téléphones portables.

Ainsi est brossé en gros traits l'héritage culturel de la région qui est sensiblement le même pour les provinces limitrophes telles que Bình Định, Khánh Hoà, Ninh Thuận vers le sud et Quảng Ngãi, Quảng Nam vers le nord, l'ensemble de ces provinces correspond à peu de chose près, à l'ancien royaume du Champa. C'est donc sur ce socle à la fois matériel et immatériel que nous allons essayer de construire quelque chose de novateur, d'original, de moderne en tenant compte des moyens limités dont dispose la province, du contrôle de tout le processus de transition et d'édification, de la participation des habitants en tant qu'acteurs à part entière de la transformation de leur pays.


Notes :

[1]. Monographie du Đại Nam, ouvrage compilé au XIXe siècle au temps des Nguyễn. L'œuvre comporte plusieurs volumes dont chacun est consacré à une ou plusieurs régions selon leur importance.

[2]. Nous venons d'apprendre que la famille des ex-présidents des États-Unis Bush a récemment acheté 240.000 ha de terrain aux confins de la frontière paraguayo-brésilienne dans le but d'exploiter le sous-sol où se trouve la plus grande nappe aquifère occidentale du monde. Voir le documentaire Michael Braverman : la conspiration de l'eau : http://www.dailymotion.com/video/xg3vsq_michael-braverman-la-conspiration-de-l-eau-1_news#from=embed
http://www.dailymotion.com/video/xg3w9b_michael-braverman-la-conspiration-de-l-eau-2_news

[3]. Pierre Gourou, "La civilisation du végétal", in Indonesië, n° 5, mars 1948, pp.385-396.

[4]. Récemment il est question d'utiliser les balles de riz produit en quantité dans les usines de décorticage de riz comme source d'énergie renouvelable pour les usines électriques. Ce mode de recyclage est déjà mis en œuvre aux Philippines et en Thaïlande.

[5]. L'Armée états-unienne a déversé 100 millions de litres de dioxine sur la moitié sud du pays couvrant une superficie de 2.500.000 ha de forêt tropicale.
Il y a une documentation assez abondante sur ce sujet. Voir par exemple :
- Le Collectif Vietnam-Dioxine www.vietnam-dioxine.org
- France-Vietnam, nouvelle série, n° 52, janvier 2005.
- Centre de recherche sur le genre, la famille et l'environnement en développement, Histoires des victimes de l'agent orange au Vietnam, Éditions Thế giới, 2005, 67 p.
- Nicolino Fabrice & Veillerette François, Pesticides. Révélations sur un scandale français, Fayard, Paris, 2007, 384 p.
- Agent orange in Vietnam. Yesterday's crime, today's tragedy, bilingue anglais vietnamien, Éditions Chính trị quốc gia, Hà Nội, 2009, 407 p.
- André Bouny, Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam, Préface : Howard Zinn, Éditions Demi-Lune, 2010.





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