I n é d i t s

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Quelques mots sur Duyên Anh (1935-1997)

Quelques mots sur Duyên Anh (1935-1997)





Bản tiếng việt - Version vietnamienne


Extraits de Trại tập trung. Hồi kí (Camp de concentration. Mémoires), traduction par nos soins

"Les communistes peuvent toujours dire haut et fort au monde qu'ils n'ont jamais arrêté ni détenu des officiers militaires ou policiers, ni des hauts fonctionnaires, ni des députés, ni des sénateurs, ni des membres des partis opposant au parti communiste de ou au temps de la République du Vietnam. Ils appellent tout ça des fantoches. C'est clair et exact que ces gens se sont présentés pour la rééducation. Le monde ne cherche pas à savoir si ces « fantoches » ont été ou non menacés par un avis administratif les contraignant à le faire. Et les communistes nient le nombre de prisonniers politiques qu'ils détiennent. Avec eux il n'y a pas de prisonniers politiques. Les organisations anti-communistes datant de l'après 30 avril 1975, les jeunes, étudiants et lycéens luttant pour la démocratie et la liberté du peuple, les intellectuels qui réclament les droits de l'homme sont tous classés par les communistes comme « réactionnaires » coupables d'avoir mis en danger la sécurité du pays et sont arrêtés sans être jugés, ni condamnés. Tous les lieux de détention et de déportation dans la misère sont appelés camps de rééducation et le monde entier les appelle ainsi. Les communistes n'utilisent pas les termes de prison ou de camp de concentration et de travail forcé. Le monde ne les appelle pas ainsi ni les journaux vietnamiens de la diaspora non plus. C'est ainsi que la notion de prisonnier politique vietnamien s'est diluée avec le temps. C'est ainsi que les réfugiés politiques deviennent désormais des réfugiés économiques ! L'intervention des organisation humanitaires internationales ne profite qu'à des individus et non à la collectivité. Les prises de position au sujet des prisonniers politiques au Vietnam ont un caractère décoratif en fonction de l'humeur et des saisons. Les communistes interdisent aux journaux internationaux de visiter leurs prisons et leurs camps de concentration. Pour tout le territoire du Sud, il existe un camp modèle pour accueillir la délégation d'Amnesty international (car cette ONG est politiquement neutre vis-à-vis de tous le régimes) et des organisations internationales proches des communistes. Le monde ne connaît vaguement les prisons et les camps de concentration pour le travail forcé qu'à travers des Vietnamiens résidant en France depuis 30 ans. Et ces derniers appellent tous les prisons au Vietnam des camps de rééducation ! La manoeuvre d'arrestation et de détention de centaines de milliers de prisonniers des communistes est à ce point subtile. Aller à la rééducation, et non pas aller au travail forcé. Se porter volontaire pour se présenter à la rééducation et non pas être arrêté et détenu. Il faut reconnaître que les communistes sont passés maîtres dans les jeux de mots. [p. 126-127]

Les communistes maîtrisent bien la psychologie des prisonniers. La condamnation à la rééducation qu'ils subissent empêche les prisonniers de désespérer, ils ont seulement le droit d'espérer comme on espère gagner au loto. Détenus sans jugement, ils peuvent être libérés demain, ou peut-être dans trois ans, ou peut être dans trente ans. « Vous serez libérés ou non cela ne dépend que de vous, si vous faites des progrès rapides vous serez rapidement libérés, si vous mettez du temps à progresser, vous serez libérés plus tard. » Sans jamais de menaces du type pas de progrès, pas de libération. Cela signifie qu'on ne peut que progresser dans la rééducation. Qu'on progresse rapidement ou lentement cela dépend de la bonne volonté de s'appliquer à la rééducation. Avec de la mauvaise volonté on mettra du temps à progresser. Le progrès se voit dans le travail. « Le travail est l'outil pour mesurer la valeur d'un homme ». La pensée s'exprime à travers le travail parce que celui-ci est l'action. L'essentiel dans le travail qui détermine le bon esprit est le travail effectif ayant atteint le but. À part cela, les actions qui consistent à saluer, à respecter les ordres montrent la fin de la haine envers la révolution. « L'esprit s'exprime à travers l'action ». L'action est bonne, alors l'esprit est bon. L'action est hypocritement bonne, l'esprit est toujours bon. Les communistes connaissent bien l'hypocrisie qui consiste à attendre que ça passe et ils l'acceptent mieux que la contestation directe. C'est pourquoi ce que les prisonniers ont intégré durant la rééducation c'est de la malhonnêteté. Tout l fondement de la rééducation des communistes repose sur la malhonnêteté. Tous les prisonniers, une fois libérés, leur rendent cette malhonnêteté, à de rares exceptions près qui la considèrent comme une vérité.

Le prisonnier est perplexe devant des paroles misérablement indulgentes : « Le Parti et l'État ne veulent pas vous détenir, mais rentrer ou rester cela dépend de votre attitude dans votre rééducation ». Comme je l'ai écrit, le prisonnier condamné à la rééducation peut être libéré demain, la semaine prochaine, le mois prochain ou dans trente ans, c'est pourquoi il n'ose pas s'évader. Si jamais la libération est pour demain ? Cet espoir illusoire lui fait oublier le désespoir. Il se résigne à attendre... le gros lot. Quand les prisonniers sont rassemblés dans la cour ou dans la salle de réunion pour écouter la liste de ceux qui vont être libérés, ils appellent cela écouter les résultats du loto. Pourquoi écouter les résultats du loto ? Parce qu'on ne savait pas qui allait être libéré. Les prisonniers condamnés au travail forcé sont ceux qui n'ont pas joué au loto mais ils doivent en écouter le résultat. On peut être arrêté, se présenter le même jour, le gros galon, le commanditaire figure sur la liste des libérés. Un commandant d'état-major de l'espionnage y figure, le caporal posté comme gardien n'y figure pas. Alors si ce n'est pas de la loterie qu'est-ce que c'est ? La libération chez les communistes dépend de la chance. Par exemple, le sous-lieutenant Nguyễn Tân Mão, a obtenu la permission de sortir du camp de Phước Long en 1978. Au lieu de partir directement cet après-midi-là pour rejoindre sa famille, il a traîné un dernier soir pour fêter sa libération avec ses camarades. À minuit un contre-ordre est arrivé, on récupère son ordre de libération. Ceux qui sont partis sont considérés comme libres pour toujours, et ceux qui ne sont pas encore partis, ils continuent à rester au camp de travail. Nguyễn Tân Mão qui a été transféré au camp Z30 D Hàm Tân, a dû écouter le résultat du loto une dizaine de fois. Il lui a fallu attendre jusqu'au milieu de l'année 1981 pour gagner au loto ! (...)

C'est le ministère de l'Intérieur qui décide de libérer les prisonniers et non le Directeur du camp de travail. La Direction aime à se vanter auprès des prisonniers qu'elle fait des propositions, qu'elle les note. La libération rapide ou non d'un prisonnier dépend de la proposition de la direction. Les bonnes notes proposées à la direction relèvent des surveillants-éducateurs. Ils se vantent ainsi pour que les prisonniers respectent le règlement intérieur et les surveillants. Même le directeur n'a le droit ni de détenir ni de libérer les prisonniers. Il n'a qu'un seul droit, celui de laisser partir le prisonnier : accepter des pots de vin en or provenant de la famille du prisonnier pour le laisser s'enfuir en toute sécurité. C'est ce qui est déjà arrivé au camp de Long Giao à l'époque où les militaires ont été chargés de la gestion des camps. Un prisonnier s'est enfui, il a été rattrapé puis mis au cachot et pourtant il a pu l'ouvrir puis s'enfuir comme James Bond avant de franchir les frontières et prendre le large. Ceux qui pensent que s'ils sont indicateurs dans un camp ou dans une prison ils seront libérés tôt sont des imbéciles. Et ceux qui écrivent que c'est à cause des indicateurs qu'ils ont été retenus longtemps dans les camps sont des grands imbéciles. À partir de 1980, officiers et fonctionnaires détenus en camp de travail qui voulaient rentrer chez eux n'avaient qu'à demander beaucoup d'or à leur familles pour les racheter. (...)

Quand les prisonniers sont démoralisés, désespérés, d'un seul coup la direction du camp décrète un repos de quelques jours. On leur donne à manger du riz blanc avec du porc mijoté. Alors on discute, on fait des déductions, bien sûr en sa faveur. On nous nourrit bien c'est pour nous libérer bientôt. Le Parti et l'État ont beaucoup changé. L'espoir déborde. Quelques jours de repos puis on reprend le travail sans se presser. Les surveillants-éducateurs ne poussent pas, ne vérifient pas. Des pauses qui durent une heure. On fait de la musique dans la cour. On chante la musique jaune, le vong co [6] librement. On se douche à son gré. On rentre au camp plus tôt. Les sentinelles ne sont pas regardantes. Les visites sont illimitées. Libre à chacun de recevoir des provisions si on a la force de les transporter. Libre aussi de bavarder avec les gens de la famille. La corde au cou se desserre à tel point qu'on a l'impression qu'elle est défaite. Les révoltes à peine couvées sont déjà anéanties. Il n'y a plus rien à quoi s'opposer. Le camp est trop bon avec nous. On n'a qu'à attendre tranquillement le permis de sortir du camp. C'est idiot de s'enfuir. Si on est fusillé c'est la famille qui récolte les malheurs. C'est bête de se révolter. Un pot de terre ne se mesure pas à un pot de fer. L'esprit ne vaut pas la kalachnikov. Les communistes savent ouvrir les soupapes. Ils ne laissent jamais la pression monter trop fort. Ils ne refoulent jamais les prisonniers au pied du mur. Près du mur, ils provoquent la réaction puis ils reculent. Ils desserrent le noeud autour du cou avant de le resserrer progressivement. C'est ainsi qu'ils gèrent les prisonniers pendant des mois puis des années. Il n'y a jamais eu de révoltes avec saccage du camp et arrachage de fusils aux surveillants pour les tuer.

Chez les communistes, l'art de répandre la rumeur pour semer le doute, de la zizanie, provoquer la haine mutuelle entre prisonniers a atteint un haut niveau, mais celui de répandre des informations chez eux est encore plus subtil. On garnit l'autel, le directeur le visage fermé, les paroles de fer déclare : Vous n'avez qu'un choix. C'est celui de travailler pour la rééducation de votre esprit afin de bénéficier de l'indulgence du Parti et de l'État, de retrouver votre famille dans le meilleur délai. Hors de cette voie, il n'y a aucun espoir. Récemment l'empire américain voulait vous racheter. Ils fixent votre prix comme celui d'une bête, 2500 $ par tête. Le Parti et l'État apprécient les hommes, préservent à tout prix la dignité humaine, vous ne serez pas vendus comme des esclaves parce que le Parti et l'État ont besoin des dollars. Ne comptez pas sur l'empire américain qui vous rachèterait. Ne comptez pas là-dessus ! (...)

Les communistes balancent une bouée pourrie aux prisonniers au bord de la noyade. C'est pas fini. Subitement ils demandent avec sollicitude aux prisonniers qui ont de la famille partie avant le 30 avril 1975 aux États-Unis, en Australie, en France...de faire la déclaration. Celui qui ne la fait pas n'aura plus les droits, ne pourra plus faire des réclamations. Le prisonnier qui était sur le point de se révolter se dégonfle. On discute ouvertement sur le sujet captivant « Les Américains sauvent les prisonniers en rééducation ». On fait des déductions. On s'immerge dans le rêve." [162-166]

trait


Notes :

[6]. Mode de chant originaire du Sud, une composante du théâtre rénové.






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