constituent une exception. On sait que l'éducation représente pour lui une grande importance. Ici aussi,
l'éducation a pour principal but de libérer les élèves de toute peur, de toute autorité, et de les rendre
responsables vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis de la société. De 1978 à 1980 il s'est donné pour tâche
d'écrire tous
les quinze jours une lettre aux écoles qu'il avait fondées, afin de garder les contacts avec aussi bien le corps
enseignant qu'avec les élèves. En aucun cas ces lettres doivent être prises comme des consignes ou des
ordres venant d'en-haut. C'est pour lui une manière de suivre et d'accompagner son petit monde parce
qu'il ne pouvait pas être partout à tout moment. Sa présence dans ces écoles quand il y venait était aussi
des moments d'échanges et de partage.
Quelques extraits valent mieux qu'un discours.
Lettre du 15 février 1980
Dans toutes ces lettres, nous avons constamment souligné que la responsabilité de la coopération
entre le maître et l'élève incombait à tous les deux. Le mot coopération sous-entend que l'on travaille
ensemble, mais l'on ne peut travailler ensemble si on ne regarde pas dans la même direction avec les
mêmes yeux et le même esprit. Le mot "même", tel que nous l'utilisons, ne doit en aucun cas être
entendu dans le sens d'uniformité, de conformité ou d'acceptation, d'obéissance, d'imitation.
En coopérant, en travaillant ensemble, le maître et l'élève doivent avoir une relation essentiellement
fondée sur l'affection. La plupart des gens coopèrent lorsqu'ils construisent, lorsqu'ils jouent ou font de
la recherche scientifique, ou bien encore lorsqu'ils travaillent ensemble pour un idéal, une croyance ou
pour promouvoir quelque concept dans le but d'un profit personnel ou collectif; ou bien ils coopèrent
autour d'une autorité religieuse ou politique.
Pour étudier, apprendre et agir, il faut qu'il y ait coopération entre le maître et l'élève. Tous deux sont en
cause. Le maître pourra avoir de nombreuses connaissances mais si, en les transmettant à l'élève, la
qualité d'affection est absente de son enseignement, celui-ci devient une lutte entre les deux. Nous nous
soucions non seulement du savoir des choses de ce monde, mais aussi de l'étude de soi au cours de
laquelle on apprend et on agit. Dans cette étude, le maître et l'élève sont tous deux impliqués et il n'est
alors plus question d'autorité. Dans l'étude de soi, le maître s'occupe non seulement de lui-même, mais
aussi de l'élève. Dans cette interaction et les réactions qu'elle suscite, on commence à découvrir sa
propre nature, ses pensées, ses désirs, ses attachements, ses identifications, etc... Chacun fait office
de miroir pour l'autre, chacun observe et voit dans ce miroir exactement ce qu'il est car, ainsi que nous
l'avons déjà dit, la compréhension psychologique de soi-même est de loin plus importante que
l'accumulation de faits sous forme de savoir destiné à rendre compétent dans l'action. Ce qui est intérieur
prime toujours ce qui est extérieur. Cela doit être clairement compris par le maître et l'élève. Ce qui est
extérieur n'a pas changé l'homme, les activités extérieures, la révolution sur le plan physique, la maîtrise
physique de l'environnement, n'ont pas profondément changé l'être humain, ses préjugés et ses
superstitions ; en profondeur les êtres humains sont restés les mêmes depuis des millions d'années.
Une éducation correcte doit transformer cette condition fondamentale. Lorsque l'éducateur l'aura bien
compris, son principal objet, même s'il a divers sujets à enseigner, sera la révolution radicale de la psyché
dans le vous et dans le moi. C'est ici qu'intervient l'importance de la coopération entre les deux personnes
qui étudient, apprennent et agissent ensemble. Il ne s'agit pas d'esprit d'équipe ou d'esprit de famille,
ni d'identification avec un groupe ou une nation. Il s'agit d'une libre enquête à l'intérieur de nous-mêmes,
sans barrière entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Cette barrière est la plus destructrice qui soit,
surtout en matière de connaissance de soi. Là il n'y a ni dirigeant ni dirigé. Lorsqu'on aura pleinement
saisi cela - et dans un sentiment d'affection - alors, la communication entre le maître et l'élève sera facile,
claire, et ne restera pas simplement au niveau verbal. L'affection ne comporte aucune contrainte, elle
n'est jamais tortueuse. Elle est simple et directe.
Tout cela dit, et si vous l'avez tous deux étudié, quelle est alors la qualité de votre esprit et de votre
cœur ? Y a-t-il un changement qui ne soit pas suscité par une influence ou simplement par une stimulation
qui peut donner l'illusion d'un changement. La stimulation est comme une drogue ; son effet s'émousse
et vous vous retrouvez au même point qu'auparavant. Toute forme de pression ou d'influence agit de la
même façon. Si vous agissez dans ces conditions, vous n'étudiez pas vraiment et n'apprenez rien sur
vous. Toute action basée sur la récompense et la punition, l'influence ou la pression, aboutit
inévitablement à un conflit. Il en est ainsi, mais peu de personnes voient la vérité de tout cela, alors
elles renoncent ou disent que c'est impossible dans la pratique, ou bien que tout cela est idéaliste, un
concept utopique. Ce n'est pourtant pas le cas. C'est éminemment pratique et réalisable. Donc, ne
soyez pas découragés par les traditionalistes, les conservateurs ou ceux qui s'accrochent à l'illusion
que le changement ne peut venir que de l'extérieur.
Lorsque vous étudiez et apprenez au sujet de vous-même, il se dégage une force extraordinaire, faite
de clarté, qui peut résister à toutes les absurdités de l'ordre établi. Cette force n'est pas une forme de
résistance, d'obstination ou de volonté égocentrique, mais une observation diligente de l'extérieur et
de l'intérieur. C'est la force de l'affection et de l'intelligence.