constituent une exception. On sait que l'éducation représente pour lui une grande importance. Ici aussi,
l'éducation a pour principal but de libérer les élèves de toute peur, de toute autorité, et de les rendre
responsables vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis de la société. De 1978 à 1980 il s'est donné pour tâche
d'écrire tous
les quinze jours une lettre aux écoles qu'il avait fondées, afin de garder les contacts avec aussi bien le corps
enseignant qu'avec les élèves. En aucun cas ces lettres doivent être prises comme des consignes ou des
ordres venant d'en-haut. C'est pour lui une manière de suivre et d'accompagner son petit monde parce
qu'il ne pouvait pas être partout à tout moment. Sa présence dans ces écoles quand il y venait était aussi
des moments d'échanges et de partage.
Quelques extraits valent mieux qu'un discours.
Lettre du 15 décembre 1979
Les êtres humains, dans le monde entier, ont fait de l'intellect un des facteurs les plus importants de notre vie
quotidienne. On peut observer que les anciens Hindous, les Egyptiens et les Grecs ont tous considéré
l'intellect comme la plus importante fonction de la vie. Même les Bouddhistes lui ont donné de l'importance.
Dans les universités, les collèges et les écoles du monde entier, que ce soit dans un régime totalitaire ou
dans les prétendues démocraties, il a joué un rôle dominant. Par intellect nous entendons la capacité de
comprendre, de discerner, de choisir, d'évaluer, et aussi toute la technologie de la science moderne.
L'essence de l'intellect c'est, n'est-ce-pas, tout le mouvement de la pensée. La pensée domine le monde
dans la vie extérieure comme dans la vie intérieure. La pensée a créé tous les dieux du monde, tous les rites,
les dogmes, les croyances. La pensée a créé aussi les cathédrales, les temples, les mosquées et leur
merveilleuse architecture, ainsi que les lieux de cultes locaux. La pensée a été responsable de la technologie
toujours en expansion, des guerres et des armes de guerre, de la division des peuples en nations,
en classes et en races. La pensée a été - elle l'est probablement encore - l'instigatrice de la torture au
nom de Dieu, de la paix, de l'ordre. Elle a aussi été responsable des révolutions, du terrorisme, du principe
suprême et des idéaux pragmatiques. C'est par la pensée que nous vivons. Nos actes sont fondés sur
la pensée, nos relations aussi de sorte que l'intellect a été vénéré à travers les âges.
Cependant la pensée n'a pas créé la nature - les cieux et leurs étoiles, l'univers en expansion, la terre
avec toute sa beauté, ses vastes mers et ses vertes campagnes. La pensée n'a pas créé l'arbre, mais elle
l'a utilisé pour construire la maison, pour fabriquer la chaise. La pensée utilise et détruit.
La pensée ne peut créer l'amour, l'affection et le sentiment de beauté. Elle a tissé un réseau d'illusions et
de réalités. Quand nous vivons uniquement par a pensée, avec ses complexités et ses subtilités, avec
ses objectifs et ses orientations, toute la profondeur de la vie nous échappe, car la pensée est superficielle.
Bien qu'elle prétende creuser profondément, c'est un instrument incapable de pénétrer au-delà de ses
propres limites. Elle peut projeter le futur, mais ce futur a ses racines dans le passé. Les choses créées
par la pensée sont concrètes, réelles, - comme une table, comme l'image que vous vénérez - mais l'image,
le symbole que vous vénérez, est fabriqué par la pensée, y compris ses nombreuses illusions - romanesques,
idéalistes, humanitaires. Les êtres humains acceptent ce qui vient de la pensée et en vivent - argent, position,
statut social et le luxe d'une liberté que donne l'argent. Cela est la totalité du mouvement de la pensée et de
l'intellect et, dans notre vie, c'est par cette fenêtre étroite que nous regardons le monde.
Y-a-t-il quelque autre mouvement qui ne procède pas de l'intellect et de la pensée ? On s'est efforcé de le
rechercher dans de nombreux milieux religieux, philosophiques et scientifiques. Par le mot religion nous
n'entendons pas l'absurdité des croyances, des rites, des dogmes et de la structure hiérarchique. Pour
nous, un homme religieux ou une femme religieuse sont des êtres qui se sont libérés de siècles de
propagande, du poids mort de la tradition, ancienne ou moderne. Il n'est pas possible aux philosophes
qui se complaisent dans les théories, les concepts, le jeu des idées, d'explorer au-delà de ce qu'ils peuvent
atteindre par la fenêtre étroite de la pensée, pas plus que ne le peut l'homme de science, avec ses capacités
extraordinaires, avec sa pensée peut-être originale et son immense savoir. Le savoir est ce qu'a emmagasiné
la mémoire, et il faut être libéré du connu pour explorer ce qui se trouve au delà. Pour enquêter sans nulle
entrave, sans attachement à ses expériences, à ses conclusions, à toutes les choses que l'homme s'est
imposées, il faut la liberté. Il faut que l'intellect soit calme, en absolue tranquillité, sans le moindre
frémissement de pensée.
Actuellement notre éducation a pour base la culture de l'intellect, de la pensée et du savoir qui sont
nécessaires dans notre activité quotidienne, mais qui n'ont pas de place dans notre relation psychologique
les uns avec les autres car, de par sa nature même la pensée divise et détruit. Quand la pensée régit toutes
nos activités et toutes nos relations, elle conduit à un monde de violence, de terreur, de conflit et de misère.
C'est cela qui, dans nos écoles, doit être le souci de tous, jeunes et vieux.
Haut de page