K r i s h n a m u r t i

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Lettres aux écoles

Lettres aux écoles




Comme nous avons dit dans une de ces pages, Krishnamurti a très peu écrit : Les lettres aux écoles constituent une exception. On sait que l'éducation représente pour lui une grande importance. Ici aussi, l'éducation a pour principal but de libérer les élèves de toute peur, de toute autorité, et de les rendre responsables vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis de la société. De 1978 à 1980 il s'est donné pour tâche d'écrire tous les quinze jours une lettre aux écoles qu'il avait fondées, afin de garder les contacts avec aussi bien le corps enseignant qu'avec les élèves. En aucun cas ces lettres doivent être prises comme des consignes ou des ordres venant d'en-haut. C'est pour lui une manière de suivre et d'accompagner son petit monde parce qu'il ne pouvait pas être partout à tout moment. Sa présence dans ces écoles quand il y venait était aussi des moments d'échanges et de partage.
Quelques extraits valent mieux qu'un discours.




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Lettre du 15 décembre 1978

Dans une de nos dernières lettres nous avons dit que la pleine responsabilité est amour. Cette responsabilité ne concerne pas une nation, un groupe, une communauté ou une divinité en particulier, ni une forme quelconque de programme politique ou votre gourou, mais elle concerne toute l'humanité. Il nous faut bien le comprendre et le sentir très profondément. Cela est la responsabilité de l'éducateur. Nous tous, ou presque, nous sentons responsable de notre famille, de nos enfants, etc..., mais nous n'avons pas le sentiment d'être totalement concernés et responsables à l'égard de notre environnement et de la nature, ni d'être pleinement responsables de nos actes. Cette prise en charge absolue est amour. Sans cet amour rien ne peut changer dans la société. Les idéalistes, même s'ils aiment leur idéal ou leurs concepts, n'ont pas créé une société radicalement différente. Les révolutionnaires, les terroristes n'ont en aucune façon changé fondamentalement le modèle de nos sociétés. Les révolutionnaires qui ont recours à la violence physique ont parlé de liberté pour tous les hommes par l'instauration d'une société nouvelle, mais tous les jargons et tous les slogans ont torturé plus encore l'esprit et aussi l'existence. Ils ont déformé le sens des mots pour les adapter à leur vision étroite. Aucune forme de violence n'a apporté à la société de hangement vraiment fondamental. De grands dirigeants, s'appuyant sur une minorité, ont apporté une sorte d'ordre dans la société. Même les régimes totalitaires ont établi superficiellement un semblant d'ordre, par la violence et la torture. Ce n'est pas de cet ordre là dont nous parlons.

Nous disons de façon très catégorique, et en insistant sur ce point, que seule la pleine responsabilité envers toute l'humanité - responsabilité qui est amour - peut transformer fondamentalement l'état actuel de la société. Quel que soit le système existant dans les différentes parties du monde, il est corrompu, dégénéré et totalement immoral. Il vous suffit de regarder autour de vous pour le constater. Dans le monde entier, on a dépensé des millions et des millions pour l'armement et partout les politiciens parlent de paix tout en préparant la guerre. Les religions ont proclamé maintes et maintes fois la sainteté de la paix mais elles ont encouragé les guerres et des formes subtiles de violence et de torture. Il existe d'innombrables divisions et d'innombrables sectes avec les prêtres, leurs rituels et toutes les absurdités qui se pratiquent au nom de Dieu et de la religion. Là où il y a division, il y a forcément désordre, lutte et conflit, - que ce soit dans le domaine religieux, politique ou économique. Notre société moderne est basée sur l'avidité, l'envie et le pouvoir. Quand vous constatez tous ces faits dans leur réalité — ce mercantilisme écrasant — tout indique la dégénérescence et une immoralité fondamentale. Changer radicalement la structure de notre vie, qui est la base de toute société, est la responsabilité de l'éducateur. Nous détruisons la terre et, pour notre agrément, on détruit tout ce qui s'y trouve.

L'éducation, ce n'est pas simplement enseigner différentes matières scolaires, mais c'est aussi cultiver chez l'élève le sens de la pleine responsabilité. L'éducateur n'a pas toujours conscience qu'il travaille à la naissance d'une nouvelle génération. La plupart des écoles se préoccupent seulement de dispenser des connaissances. Elles ne se soucient absolument pas de transformer l'homme et sa vie quotidienne. Il faut que vous, qui êtes éducateurs dans nos écoles, ayez cet intérêt profond et le souci de cette pleine responsabilité.

De quelle façon pouvez-vous alors aider l'élève à ressentir cette qualité d'amour dans toute sa plénitude ? Si vous ne le ressentez pas vous-même, profondément, parler de responsabilité n'a aucun sens. Vous autres, éducateurs, pouvez-vous sentir la vérité de cela ?

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Percevoir cette vérité engendrera tout naturellement cet amour et cette totale responsabilité. Il vous faut y réfléchir et l'observer journellement dans votre vie, dans vos relations avec votre femme, vos amis et vos élèves. Dans vos rapports avec les élèves vous en parlerez avec votre cœur - sans rechercher seulement une clarté verbale. Le sentiment de cette réalité est le don le plus précieux que l'homme puisse avoir et une fois qu'il est en vous, comme une flamme, vous trouverez le mot juste, l'action juste et le comportement correct. En observant l'élève vous vous apercevez qu'il vient à vous sans être le moins du monde préparé à tout cela. Il vient à vous craintif, nerveux, anxieux de plaire ou sur la défensive, conditionné par ses parents et la société dans laquelle il a vécu ses brèves années. Il vous faut déceler son conditionnement, vous préoccuper de ce qu'il est réellement et ne pas lui imposer vos opinions, conclusions et jugements. En observant ce qu'il est, vous découvrirez ce que vous êtes et ainsi vous vous apercevrez que l'élève est vous.

"La véritable éducation c'est d'élever les enfants hors de tout esprit de compétition."
Et maintenant, pouvez-vous, tout en enseignant les mathématiques, la physique, etc... - qu'il lui faut connaître pour gagner sa vie - pouvez-vous lui faire sentir qu'il est responsable de l'humanité tout entière ? Même s'il travaille en vue d'un métier, pour son propre mode de vie, cela ne lui rendra pas l'esprit étroit. Il verra le danger de la spécialisation avec tout ce que cela comporte de limitation et d'incroyable brutalité. Il vous faut l'aider à voir tout cela. L'épanouissement de la bonté ne réside pas dans le fait de connaître les mathématiques et la biologie ou de passer des examens et de faire une belle carrière. Il existe en dehors de cela et quand il y a cet épanouissement, le métier et les autres activités nécessaires sont transformés par sa beauté. Actuellement nous accordons de l'importance à l'un en négligeant entièrement l'autre, c'est-à-dire l'épanouissement. Dans nos écoles nous essayons de mener les deux choses de front, non pas artificiellement ni selon un principe ou un modèle, mais parce que vous voyez comme une absolue vérité, que ces deux choses doivent aller de pair pour que l'homme puisse se régénérer. Pouvez-vous le faire ? - non parce que vous êtes tous d'accord sur ce point après en avoir discuté et avoir abouti à une conclusion, mais bien plutôt parce que vous en percevez intérieurement l'extraordinaire gravité, parce que vous le percevez vous-même. Alors ce que vous dites aura vraiment un sens. Vous deviendrez un centre de lumière qui n'a pas été éclairé par un autre. Comme vous êtes toute l'humanité - ce qui est une réalité et non une simple affirmation verbale - vous êtes entièrement responsasables de l'avenir de l'homme. Je vous en prie, ne considérez pas cela comme un fardeau. Si vous le faites, ce fardeau est un assemblage de mots dépourvu de toute réalité. C'est une illusion. Cette responsabilité a sa propre gaieté, son propre humour et son propre mouvement et elle n'est pas alourdie par le poids de la pensée.


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Crédit photos :

- Vignette 1: découpage d'une carte postale, photo de Hans Kemp
- Vignette 2 : découpage d'une photo, sources : http://www.pdphoto.org/
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