Communications aux colloques
Communications aux colloques
Contestataires et contestation au Vietnam :
à la recherche d'un mode d'expression
Contestataires et contestation au Vietnam :
à la recherche d'un mode d'expression
Communication
faite au colloque organisé par Sciences Po/EHESS/MSH
Paris, 11 et 12 janvier 2001.
"Le Vietnam depuis 1945 :
États,
marges et constructions du passé"
L'infatigable
militant des
libertés démocratiques
Nous
venons d’exposer le noeud du problème entre
contestataires et dirigeants, les arguments des uns et les
réactions
des autres, en prenant un cas particulier, celui de l’avocat
Nguyễn Mạnh Tường, et en revenant rapidement sur le mouvement
«
Nhân văn-Giai phẩm » qui fut, depuis
l’indépendance, la première contestation ouverte
ayant son propre organe de presse, situation
« privilégiée »
en regard du contexte des années 1980-1990 où nombre
d’autres contestataires durent se battre sans cet instrument.
Je ne reviens pas sur le développement de l’affaire
Hoàng Minh Chính, déjà bien connu ,
mais simplement sur les derniers soubresauts soulevés par ce
cas symbolique.
Rappelons
brièvement que l'affaire Hoàng Minh Chính ou
« l'Affaire
du révisionnisme anti-parti » (
Vụ xét lại
chống
Đảng), pour employer la terminologie officielle, puise sa source
dans l'opposition de Mao à s'aligner sur la position
soviétique émise par Krouchtchev au XXe congrès
de PCUS en 1956, position jugée révisionniste.
Placé
devant un choix difficile, le Parti communiste vietnamien essaya
d'abord de maintenir un équilibre précaire entre ces
deux lignes politiques conflictuelles, avant d'opter pour le
maoïsme,
décision avalisée par la fameuse IXe Résolution
votée en décembre 1963, malgré l'opposition de
personnalités importantes. Hoàng Minh Chính, membre du Parti
et ancien recteur de l'Institut de Philosophie, fut de ceux-là.
Cette résolution servit par la suite autant de base
idéologique que de justification aux arrestations et
détentions d'opposants à la ligne officielle. En
octobre 1967 Hoàng Minh Chính fut arrêté : son
internement dura 5 ans, suivis de 6 ans de résidence
surveillée. De 1981 à 1987 il fut de nouveau
détenu.
D'autres comme le général Đặng Kim Giang, ou comme
l'ancien secrétaire particulier de Hồ Chí Minh, Vũ Đình Huỳnh,
pour ne citer qu'eux, connurent le même sort. Dans cette
affaire, plusieurs dizaines voire centaines de cadres et de hauts
responsables du Parti, furent victimes sans que le moindre
procès
eût lieu.
Certains
témoins ou acteurs dans cette machination finirent par faire
un examen de conscience et par briser le silence pour demander une
révision du « procès ». Ce fut le
cas de Nguyễn Trung Thành, ancien chef du
« Département
Sécurité du Parti » (
Vụ bảo vệ
Đảng), ancien collaborateur direct de Lê Đức Thọ, l’homme
par qui tous les malheurs advinrent, qui présenta une
requête
en date du 3 février 1995, adressée au secrétaire
général et aux instances dirigeantes du Parti .
Dans cette requête, l’ancien cadre à la retraite
expose le fond du problème : il s’avère que ce
« procès » reposait uniquement sur les
déclarations ou les « aveux »
d’accusés
déjà internés, fondement indéfendable eu
égard au droit. D’après lui, certains camarades
avaient peut-être transgressé le règlement du
Parti mais pas la loi, et il termine sa plaidoirie en ces termes :
« Avec toute ma fidélité, avec le sens des
responsabilités à l’égard de la
sécurité
du Parti et de ses membres, et avec tout mon respect, je souhaiterais
très sincèrement que le bureau politique et le
secrétariat prennent une décision définitive
afin d’épargner à nos camarades des condamnations
injustes, à la veille du 105e anniversaire de l’Oncle Hô
et du 50e anniversaire de la Révolution
d’Août. »
En réalité, dès la fin de l’année
1993, Nguyễn Trung Thành avait essayé d’intéresser
les dirigeants à cette affaire, mais sans résultat. Il
fallut l’aide d’un autre haut cadre du Parti pour que ses
efforts pussent les atteindre : Lê Hồng Hà, haut
responsable dans la Police, convaincu du désintéressement
et de la bonne foi de son camarade, finit lui aussi par comprendre
que leurs camarades étaient les victimes d’une
injustice. Dès l’origine, l’affaire avait été
confiée à certains cadres de la Police et de la
sécurité militaire, et confiée à eux
seuls, les tribunaux et la justice en étant tout simplement
écartés .
Il multiplia les rencontres dans l’espoir d’obtenir une
audience, où le bureau politique vînt écouter une
fois pour toutes le rapport de Nguyễn Trung Thành, car
à
son avis, tous les membres de cette instance du Parti (nous
étions
en 1993-1995) ne connaissaient pas les tenants et aboutissants de
l’affaire qui, elle, remontait aux années 1960 : il les
mettait donc hors de cause. Cependant Lê Hồng Hà n'oublia pas
de souligner des faits troublants : la commission chargée de
l’affaire ne fut mise en place que plus d’un an après
la première arrestation de Hoàng Minh Chính, soit en 1968 ; le
bureau politique ne fut mis au courant par Lê Đức Thọ que
quatre ans après (mars 1971), et le comité central,
quant à lui, ne fut informé par ce dernier qu’en
février 1972 .
Lê Hông Hà pensa alors que si le Parti acceptait
de revoir ce dossier, on lui ferait davantage confiance. Mais le
Parti ne voulait rien savoir, et après une procédure
disciplinaire interne, Lê Hông Hà fut
excommunié
en juin 1995, puis interné comme tant d’autres brebis
galeuses avant lui. Sans se laisser abattre, il essaya encore de
ramener le Parti à la raison en adressant une requête au
comité central lui demandant d’annuler les deux mesures
disciplinaires frappant lui-même et son camarade Nguyễn
Trung Thành .
L’affaire Hoàng Minh Chính a donc fait ses petits grâce
à l’obstination du Parti, qui a provoqué par
ailleurs l’indignation générale, après la
dernière arrestation de Hoàng Minh Chính, principal
accusé dans cette affaire : il fut interné pour la
troisième fois à partir du 14 juin 1995. Un simulacre
de procès, dans lequel il dut se débattre tout seul
face à l’appareil répressif, le condamna à
un an de prison ferme. Cette fois, il était accusé
d’« abuser des libertés démocratiques,
de porter atteinte aux intérêts de l’Etat »,
pour avoir réclamé une révision de son affaire.
Une pétition fut lancée depuis Paris le mois suivant,
demandant sa libération, et dont les premiers signataires
étaient Lucie Aubrac, Élisabeth Badinter, Jean
Lacouture, Bernard Langlois, Laurent Schwartz, Léon
Schwarzenberg, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, etc. Au
total Hoàng Minh Chính connut de 1967 à 1996, 12 ans
d’internement (1967-1972, 1981-1987, 1995-1996), et 9 ans de
résidence surveillée (1972-1978, 1987-1990). Il fut
libéré le 14 juin 1996, deux semaines avant la tenue du
VIIIe Congrès du PCV.
Ce qu’il faut peut-être souligner ici, c’est que le
premier internement de Hoàng Minh Chính eut lieu en pleine
guerre du Vietnam. Dans la lettre ouverte que le poète
Bùi
Minh Quốc adresse le 3 octobre 1993 à l’Assemblée
nationale, au comité central du Parti et au Front de la
Patrie, il dit ne pas pouvoir imaginer qu’au moment où
il traversait la chaîne Trường Sơn pour aller combattre dans le
Sud, suivi de peu par sa femme qui devait décéder par
la suite au cours des opérations, pendant ce temps à
l’arrière on procédait à des arrestations
et à des internements pour délits d’opinion
frappant des camarades dévoués, des intellectuels sans
reproche .
« Le chagrin de la guerre » n’arrête
décidément pas de torturer les âmes sensibles. Le
poète soutint sans réserve la requête de
Hoàng
Minh Chính demandant la révision de son affaire, et proposa
que la question du pluralisme politique ne fût plus taboue :
qu’on consulte sur la question, sur une base démocratique
tous les Vietnamiens, y compris ceux de l’étranger, afin
de faire les premiers pas vers la démocratisation. Et le
poète
de terminer sa lettre par une citation de Hồ Chí Minh disant en
substance que l’indépendance sans liberté n’a
aucun sens.
Dans
l’interview donnée à la section vietnamienne de
RFI le 23 juin 1996, après sa sortie de prison, Hoàng
Minh Chính, militant infatigable pour les libertés
démocratiques, dit qu’il avait adressé aux
dirigeants du Parti, un mois après sa dernière
arrestation, un projet stratégique sur la mise en place de la
démocratisation dans le pays. En voici quelques extraits :
"Nous
avons besoin d'un mini-Diên Hồng ,
de cette sorte de table ronde qui a eu lieu en Pologne
récemment,
et ce en présence de trois forces : la première, le
Parti représentant le Parti et le gouvernement ; la
deuxième,
les intellectuels progressistes représentant toutes les
couches sociales, toutes les religions; la troisième, les
intellectuels progressistes résidant à l'étranger.
(...) Chaque force peut être par exemple
représentée
par une trentaine de personnes, qui seront désignées
sur une base démocratique, sans avoir à subir aucune
pression d'où qu'elle vienne. La table ronde fonctionnera sur
le principe du consensus. Tout ce qui pose problème doit
être
débattu sur une base amicale, de confiance réciproque,
on oublie le passé, on oublie la haine, comme si l'on faisait
partie d'une même famille. Voilà, j'ai fait cette
proposition. Le Parti reste à sa place, le gouvernement,
l'armée, la police, chacun reste à sa place. Mais il
faut organiser cette table ronde, et celle-ci doit disposer d'un
journal qui répercute équitablement les opinions des
trois composantes. Voilà ma proposition. Je pense que ce sont
les premiers pas, le minimum nécessaire, et en
sécurité."
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