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Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội,
octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique
Người Ba-na ở Kon Tum - Les Bahnar de Kontum
EFEO-Hanoi & Éditions Thế giới, Hà Nội,
octobre 2011, 514 p., illustrations & photos, lexique
Note de traduction
Table des matières de la première édition (traduction)
Préface de P. Guilleminet
Aux lecteurs
Première partie - La province de Kontum
Deuxième partie - Les coutumes
- Corps et esprit
- Philosophie et croyances
- Astrologie et Géomancie
- Village et relations sociales
- Le clan
- État civil
- Les métiers
- Loisirs et arts
- Les proverbes
- Les devinettes
- Les légendes
- Le ouvrages consultés
Philosophie & croyances (suite)
Les relations entre l'homme et les génies - Nous avons vu que l'homme doit compter sur les
génies dans sa quête du bonheur et que ces derniers sont disposés à l'aider. Essayons de voir
quels sont les liens entre ces deux mondes.
Implorations - Avant d'engager quelque chose d'important, les Bahnar font des offrandes aux
génies pour leur demander qu'ils les aident à réaliser leurs vœux. Par exemple, avant les
semailles, on fait une cérémonie avec des offrandes pour demander au génie de rendre le riz
fécond.
Promesses - Il arrive qu'ils ne présentent pas d'offrandes aux génies mais leur fassent
simplement des promesses. Ils s'en acquitteront généreusement si les génies les aident à
réaliser leurs vœux. Par exemple, quand une femme a du mal à mettre un enfant au monde, son
époux lui prend la main droite et s'adresse au génie pour lui demander de l'aider à faire sortir
rapidement l'enfant, tout en lui promettant de sacrifier bœuf ou buffle, porc ou poulet en signe de
gratitude.
Témoins - Non seulement les Bahnar implorent les génies, mais encore ils leur demandent à
l'occasion d'être témoins lors des serments : quand deux personnes s’allient pour se considérer
comme père et fils, ou comme frères, ou bien quand on porte plainte pour savoir qui est honnête
et qui ne l'est pas.
Malédictions - Les Bahnar comptent aussi sur les génies pour nuire à la personne avec qui ils
sont en conflit. Ils pensent qu'il suffit de présenter une seule malédiction pour que les génies
agissent selon leurs idées. C'est encore plus dangereux quand les Bahnar se servent de la magie
pour envoûter l'âme de la personne en question. Par exemple, ils prennent des cheveux
provenant de l'endroit où cette personne a des tourbillons sur la tête
[1], puis ils les mettent dans
une petite boîte avant de l'enterrer en proférant ces mots: «J'enterre ce X pour qu'il meure au
bout d'un an ».
Prémonition - Avant de faire quelque chose, s'ils éprouvent soudain de l'enthousiasme ou de
l'ennui, les Bahnar pensent qu'ils sont prévenus par les génies de la réussite ou de l'échec et
agissent en conséquence.
Divination - Les Bahnar pratiquent l'art divinatoire pour connaître des choses fastes et néfastes
dont les génies les préviennent. Quand ils tuent un poulet pour en faire des offrandes aux génies,
ils regardent les trois petits os de la mâchoire inférieure en forme d'ancre. Si l'os du milieu se
courbe vers le bas, c'est bon signe, si au contraire il est recourbé vers le haut, c'est mauvais
signe. Quand ils cherchent un terrain pour y fonder un village, ils prennent trois philtres en
s'adressant au génie : si ce terrain est bon pour accueillir le village, que les philtres soient « deux
pile un face ». Lorsque les philtres tombent sur le sol comme ils l'attendaient, ils pensent que le
génie est d'accord. Dans le cas contraire, ils vont chercher un autre terrain. L'épreuve de vérité à
laquelle on a recours dans les séances de jugement est une variété de divination.
Présage - Le présage est un ensemble de signes naturels, ou ce dont les génies se servent
pour répondre aux questions des humains afin qu'ils poursuivent les actions bénéfiques et évitent
les choses néfastes.
Les animaux bizarres tels que le poulet à trois pattes, les poules qui pondent des œufs mous,
ou les choses étranges comme la poule qui chante, le coq qui cherche à copuler les poules sur le
plancher, les cochons qui mordillent les mangeoires
[2] , sont toutes de mauvais augure. Ceux qui
ont ces bêtes doivent les tuer car si on les garde on risque d'avoir des histoires.
Quand on quitte son domicile pour aller faire des choses importantes comme défricher la forêt
pour en faire des essarts, chercher un terrain pour créer un village, faire la guerre, etc., et qu'on
voit l'oiseau
bào chao voler de droite à gauche (il vient vers nous) ou de l'arrière à l'avant (il nous
entraîne), c'est un bon présage. Par contre, s'il vole de gauche à droite (il nous évite) ou de l'avant
vers l'arrière (il nous barre la route), c'est un mauvais présage. Si on l'entend chanter à gauche
ou à droite, c'est bon signe; par contre, s'il chante devant (il nous barre la route) ou derrière (il
nous dit de faire demi-tour), c'est mauvais signe. Quand on va à la chasse et qu'on entend un pic
crier fort et que ses cris sont continus, c'est le signe qu'on va avoir du gros gibier, si on l'entend
crier à faible voix lente, on aura du petit gibier. Quand on va à la guerre et qu'on voit une buse
ayant attrapé un oiseau ou un serpent, volant de droite à gauche, on aura la victoire et beaucoup
de prisonniers. Si l'oiseau vole de gauche à droite, il faut reculer, sinon on sera capturé par les
ennemis
[3].
Quand on part pour faire du commerce et qu'on rencontre deux oiseaux qui se chamaillent à
coups de bec, c'est un bon présage, car les autres vont écouter notre parole, si on rencontre
des bêtes mortes, c'est un mauvais présage et surtout si la bête tourne la tête vers nous, c'est
très mauvais, on sera ruiné; quand on rencontre une femme enceinte, ce n'est pas bon. Quand
on commence à défricher la forêt et qu'on entend déjà des oiseaux ou des muntjacs crier, c'est
mauvais signe, les génies ne veulent pas qu'on travaille à cet endroit. Si on n'entend rien, c'est
bon signe. Quand on part faire une demande en mariage et qu'on rencontre des animaux (buffle,
bœuf, porc, chien) en train de copuler il faut y renoncer, sinon, plus tard l'épouse nous quittera
pour son amant. Quand on part faire du commerce et qu'on rencontre une femme enceinte, ça ne
va pas rapporter.
Les rêves - Les génies préviennent les hommes dans leur sommeil des choses fastes ou
néfastes, ce sont des rêves prémonitoires.
Si les Bahnar font des rêves la nuit, au réveil ils les interprètent pour savoir ce que les génies
voulaient leur communiquer
[4]. Si on n'arrive pas à en trouver le sens, il faut demander l'explication
à un devin : pour prévenir les hommes de bonnes ou mauvaise choses, les génies utilisent des
signes particuliers que seuls les devins peuvent comprendre. Les bonnes récoltes sont
« signalées » par les crues débordant les rives des rivières (on n'a pas assez de place pour
stocker le riz) ou par le grand banian plein de branches (les gens qui viendront acheter du riz
seront aussi nombreux que les oiseaux sur cet arbre). Si on rêve d'avoir pêché les espèces
tràu
et silure, cela signifie que le commerce rapportera gros (pour les génies le poisson
tràu
représente le buffle et le silure le bœuf). La victoire dans la guerre et la capture de prisonniers
sont traduites par la capture de singes et de sarcelles, les singes ressemblent aux hommes et
les sarcelles peuvent parler, par contre si on voit en rêve quelqu'un qui attrape des singes et
des sarcelles, c'est qu'on perdra la guerre et qu'on sera capturé. Lors de la construction d'une
maison, ou de la fondation d'un village, si on rêve d'un incendie de buissons c'est mauvais signe,
le village connaîtra des épidémies (les épidémies emportent les humains comme le feu ravage
les plantes), si on rêve d'un banian sur un grand rocher au bord d'un ruisseau, c'est bon signe, le
village serait prospère et tranquille, le grand arbre et le ruisseau représentent la fraîcheur, et le
rocher la sûreté, etc.
Quand les Bahnar font des rêves de bon présage ils n'en parlent à personne de peur de tomber
par malchance sur quelqu'un de
chơlâm chơlu [5] que les génies trouvent répugnant et qui finiraient
par empêcher le bon présage de se réaliser. Si les rêves apportent un mauvais présage, celui-ci
sera rejeté dans les endroits souillés comme le seuil de la porte (que tout le monde traverse), le
foyer (sur lequel on crache), pour empêcher les génies, dégoûtés, de réaliser ce qui est mauvais.
Concrètement, au réveil, on prend un bâton à l'aide duquel on frappe le seuil de la porte ou le
foyer en disant : « prière de ne pas laisser le rêve se réaliser sinon il sera aussi affreux que le
seuil de la porte et le foyer »
[6].
Remerciements - Après avoir obtenu, grâce aux génies, ce qu'ils ont demandé, les Bahnar leur
font des offrandes, d'abord pour leur montrer qu'ils sont reconnaissants, et aussi parce qu'ils
espèrent que dans l'avenir leurs vœux seront facilement exaucés. Au cours de l'année, on peut
mentionner les cérémonies d'offrandes suivantes comme remerciements : cérémonie du
nouveau riz (on la célèbre après les récoltes quand on commence à consommer du nouveau riz),
cérémonie d'installation dans une nouvelle habitation, cérémonie de fin de maladie (ces deux
dernières sont circonstancielles, on les célèbre seulement quand on a fini de construire une
maison ou quand on est guéri d'une maladie). Il existe, au niveau du village, d'autres cérémonies
collectives : celle qu'on observe après avoir quitté l'ancien village pour le nouveau, lors de la
construction de la maison communale, ou celle qui suit une victoire. Pour ces dernières, chacun
doit apporter aux génies ses offrandes constituées d'alcool et de foies des espèces suivantes :
poulet, porc, bouc, buffle. Le foie offert aux génies doit provenir de l'animal abattu par celui qui
offre. Les animaux doivent être bien choisis au préalable : les mâles à la peau noire .
[7] . À propos
du poulet on en choisit en général un gros, un petit n'est acceptable que pour le génie du riz qui a
un petit faible pour le foie de jeune poulet. Concernant le porc et le bouc, on peut prendre à sa
convenance un gros ou un petit, le génie n'est pas difficile sur ce point. Il arrive qu'on en prenne
un petit, mais alors toujours accompagné d'un poulet. Quant au buffle, on ne doit pas en prendre
un ni trop âgé ni trop jeune : celui dont la longueur des cornes est comprise entre une et deux
mesures correspondant à l'écartement des doigts d'une main. Lorsqu'on offre du foie de buffle,
il convient d'offrir aussi du foie de bouc, de porc et de poulet, un animal par espèce.
Selon qu'ils sont riches ou pauvres, les Bahnar font des offrandes généreuses ou simples aux
génies. Les offrandes simples se composent d'alcool, de foie de poulet et éventuellement de
foie de porc et de bouc en plus. Les offrandes généreuses se distinguent de celles-là par la
présence du foie de buffle en plus.
Cependant les offrandes fixées peuvent être modulées par les promesses d'en offrir d'autres
non réglementaires comme le buffle et le bouc blancs, le bœuf, le cheval.
Quand les Bahnar offrent du foie de buffle, ils le font avec beaucoup de solennité, c'est la
cérémonie du grong, après quoi on invite les villageois au banquet : on boit et on mange jour et
nuit et en musique.
Il n'existe pas de lieu de culte chez les Bahnar, c'est pourquoi ces cérémonies sont célébrées
chez eux, soit dans l'habitation même soit dans la cour (quand il s'agit d'une cérémonie impliquant
tout le village, ils la font à la maison commune ou dans la cour de celle-ci). Lors des cérémonies
qui ont lieu chez soi, la disposition des offrandes est très simple : une jarre d'alcool, quelques
cannes, et un bol contenant du foie. Ils les placent un peu loin du seuil de la porte pour que les
génies puissent trouver l'entrée menant aux offrandes. Si les cérémonies ont lieu dans la cour, il
faut alors planter au préalable un mât appelé
gơl, au pied duquel on dépose une tube d'alcool et
une sorte de récipient contenant du foie. D'après eux, le gơl est une échelle permettant aux
génies de descendre pour prendre part aux offrandes. Le
gơl est très décorativement préparé :
un grand bambou dont le sommet est surmonté de couronnes retenues par de petites tiges ;
autour de ce bambou central on plante de petits bambous. Enfin une corde en forme de huit
entoure l'ensemble, elle sera nouée au cou de la bête dont le foie sera offert en offrande (voir
schéma). Quand on creuse le trou pour y planter le
gơl, on y met une espèce d'armoise
pour le rendre solide et on plante en plus un pied d'érythrine et un pied de kapokier. Ces deux
végétaux ont des significations particulières : d'abord pour que les descendants sachent, en les
comptant, combien de buffles et de boucs ont été sacrifiés
[8] aux génies, puis encore pour que
toute la famille soit en bonne santé, comme l'érythrine ou le kapokier qui poussent facilement
[9].
Certains font diverses promesses d'offrandes aux génies pour qu'ils les aident, mais quand ils
ont obtenu ce qu'ils voulaient ils oublient ou font semblant d'oublier leurs paroles. Envers ces
ingrats, les génies bahnar ne peuvent rien faire d'autre que capturer leur âme ou celle des leurs
pour leur faire acquitter leurs dettes, leur âme ne sera rendue que quand ils auront présenté des
offrandes. Cette cérémonie, appelée cérémonie d'acquittement des dettes, sera grandiose ou
non, cela dépend des promesses données.
Alliances - Les Bahnar font encore des alliances avec certains génies pour qu'ils les bénissent
d'une façon particulière.
Ceux qui font des alliances avec des génies de rang supérieur bénéficient de la richesse et du
pouvoir : le génie de la foudre leur procure richesse, longévité, et art de la guerre; iă Pôm et le
génie du riz leur donnent de bonnes récoltes ; le génie des eaux leur donne des poissons, les
protège des noyades, et leur évite les pertes lors des inondations; le génie des montagnes les
aide à vaincre les ennemis sur les champs de bataille, à devenir riches, et leur apprend la magie.
S'allier avec les génies de rang inférieur est aussi bénéfique : le génie du tigre procure du gibier
en abondance, le génie de l'éléphant aide à faire la guerre, le génie de l'arbre apporte la longévité
et la progéniture; le génie de la jarre procure des biens, le génie de l'État de la richesse, etc.
Les génies s'allient aux humains de plusieurs façons : le génie devient père et l'humain enfant
dans la relation père-enfant, ou le génie devient frère aîné et l'humain frère cadet/sœur cadette
dans la relation fraternelle
[10] .
Si une personne qui a un « destin grand » (
ai tih) arrive à passer des alliances avec des génies,
les choses se passent de la façon suivante : une nuit en plein sommeil, cette personne voit arriver
le génie chez elle. S'il s'agit d'un génie de rang supérieur, il apparaît directement sous la forme
humaine, si c'est un génie d'animal ou d'arbre il se manifeste d'abord en animal ou en arbre avant
de se transformer en humain. À son arrivée, le génie et l'homme discutent un moment avant de
se montrer intéressés aux relations d'alliance. Les deux parties échangent leurs idées : le génie
promet de l'aide, et à son tour, l'homme promet des offrandes, etc. L'accord conclu, le génie
offre à l'homme un objet en souvenir. Si l'objet est une charrue, le génie veut faire comprendre
par là qu'il l'aidera à avoir beaucoup de grain, si c'est une courge (la jarre du génie), il lui procurera
de la richesse, une corde signifie que le commerce lui sera bénéfique, parce que la corde sert à
attacher les buffles et les bœufs; un morceau de bambou veut dire qu'il aura beaucoup de gibier,
car le bambou sert à fabriquer des flèches et les pièges qui sont les outils de chasse. Lorsque
l'homme accepte le cadeau, le génie se présente pour dire qui il est, avant de se retirer.
Le lendemain ou quelques jours plus tard, l'homme en question trouve, soit sur la route, soit
pendant son travail sur les essarts, ou lors de la chasse ou de la pêche, une pierre dont la forme
est particulière par rapport aux autres, ronde ou en forme de marteau. Il se peut qu'il trouve une
pierre ou un objet dans une situation peu ordinaire : un chien aboie autour d'une pierre, un caillou
sur une feuille de riz, un rocher qui tombe d'une montagne, ou des objets tels qu'une pierre, une
jarre, une tasse se trouvant piégés dans un filet de pêche, etc. On ramasse alors l'objet et le
rapporte à la maison car il s'agit d'un signe de confiance que le génie allié a envoyé. Les Bahnar
appellent cet objet
tơ mong. Aujourd'hui, ils considèrent l'argent comme le
tơ mong du génie de
l'État.
Ces deux choses, - le rêve puis la rencontre de l'objet ou l'inverse
[11] -, doivent avoir lieu l'une
après l'autre pour que les Bahnar les considèrent comme manifestations du génie voulant faire
alliance avec eux. Si seule l'une d'elles a lieu, ils la considèrent alors comme un hasard dépourvu
de toute signification.
Le tơ mong rapporté est soigneusement gardé et surveillé soit à la maison quand il provient du
génie du riz ou de la jarre, soit à la maison communale quand il s'agit d'un objet de confiance du
génie de la montagne ou de l'éléphant. Lors des cérémonies, on le sort pour l'imbiber de sang
avant de le ranger; en cas de catastrophe comme les incendies ou les inondations, le
tơ mong
est le premier objet qu'on sauve. Cependant si les Bahnar prennent soin du tơ mong c'est parce
qu'il représente l'objet de confiance du génie et son lieu de résidence quand il revient, et non pas
parce qu'il représente le génie lui-même. Et pour preuve, quand le
tơ mong se trouve souillé lors
des incendies ou des inondations, ils le jettent car ils pensent que le génie l'a quitté pour un autre
endroit.
Quand quelqu'un fait alliance avec un génie, tous les membres de sa famille deviennent ses
proches. Cette alliance entre génie et homme ne dure pas au delà de quatre générations au
terme desquelles si le génie ne se manifeste pas en rêve, les alliances s'estompent petit à
petit. Il arrive aussi que le génie se montre attaché aux alliances mais que l'homme les refuse
car il a peur de faire des dépenses qui ne lui rapporteront pas. Parfois, deux personnes se
mettent d'accord pour s'allier avec un seul génie pour dépenser moins lors des cérémonies.
Il est défendu à ceux qui ont des génies comme alliés de faire un certain nombre de choses.
L'allié du génie du riz est interdit de déraciner le riz et de le couper pour ne pas faire mal au
génie. Quand on s'allie avec le génie de tel animal il est interdit de manger cette espèce. Quand
on s'allie avec le génie de tel arbre il faut prendre soin de cette espèce.
Parmi les faveurs que le génie procure à l'homme, il y a le métier de magicien/sorcier appelé
pơjâu, et qui est bien spécial, profitons-en pour en parler.
Les Bahnar appellent
pơjâu ceux qui se servent de la magie pour trouver les causes de maladies
et guérir les malades. Il y a quatre types de
pơjâu :
pơjâu choltep (le magicien qui éclaire),
pơjâu
hơđa (le magicien qui mesure à l’empan),
pơjâu plaih (le magicien qui mesure à la brasse), et
pơjâu pơtuh kơtap ir (le magicien qui écrase les œufs).
Peuvent devenir
pơjâu homme et femme mais la majorité des
pơjâu sont des femmes.
Chaque catégorie de
pơjâu utilise une magie différente d'où la différenciation. Prenons l'exemple
de quelqu'un qui est malade et qui fait appel à un
pơjâu pour le soigner. S'il invite un
pơjâu
éclaireur, celui-ci, pour chercher les symptômes des maladies, éclaire à l'aide d'une torche de
cire, tout le corps du malade. Si c'est un
pơjâu qui mesure, il procède de la façon suivante : une
personne dit le nom d'une maladie, le
pơjâu fait des mesures sur son propre corps à partir du
bout du majeur de sa main gauche jusqu'à son épaule droite, puis il mesure dans le sens inverse.
Si les deux mesures sont identiques alors le malade n'est pas atteint de la maladie supposée.
Dans ce cas, on énonce une autre maladie, et le
pơjâu refait ses mesures ; si les deux mesures
ne sont pas égales, le malade est bien atteint de la maladie supposée. Le
pơjâu qui mesure à la
brasse procède de la même façon, bien sûr à la brasse au lieu de l’empan. Il prend un bout
d'une longue étoffe, et écarte ses bras, la longueur de la brasse est marquée par un nœud; puis
il reprend par le bout marqué du nœud et recommence à étendre les bras. Les conclusions sont
les mêmes que celles relatives au
pơjâu qui mesure à l’empan. Les
pơjâu qui écrasent les œufs
ne sont pas des guérisseurs, ils se servent de leur magie pour identifier les voleurs ou les jeteurs
de maléfices. Ils procèdent de la manière suivante : un œuf de poule étant posé entre l'index
et le majeur du
pơjâu, on énonce les noms du voleur présumé, à l'annonce du nom du suspect si
le
pơjâu arrive à écraser l'œuf, alors le suspect est bien le voleur.
Certains disent que le savoir du
pơjâu qui écrase les œufs a été transmis par les Lao, d'autres
affirment que le génie de la foudre en est le dépositaire. Il ne faut pas oublier qu'avant de montrer
leur art les
pơjâu ont dû s'entraîner longtemps à écraser les œufs.
Le savoir des «
pơjâu qui mesurent» a été transmis par le génie du paresseux à ceux qui se sont
alliés à lui. Celui qui voit en rêve le génie lui donner un morceau de bois d'une longueur d'un
empan, il deviendra
pơjâu qui mesure à l’empan, si l'objet est une longue branche, il sera le
pơjâu
qui mesure à la brasse.
Les
pơjâu éclaireurs sont des disciples de deux génies de montagne, iă Năm et iă Chău11. En
général, ils débutent leur vie de
pơjâu de la manière suivante : ordinairement en bonne santé,
une personne a soudainement mal partout et tombe comme morte, et ne se réveille
progressivement qu'au bout de quelques jours. À une autre personne, il peut lui arriver de sentir
son sang bouillir dans ses veines à en perdre la tête, elle commence alors à chanter, à danser, à
rire et à dire des grossièretés tout en enlevant ses habits pour courir partout; il se peut qu'elle
grimpe à un grand arbre, ce qu'en temps normal elle n'ose pas faire. Au bout de quelques jours,
la personne retrouve ses esprits, et tombe sur une pierre de forme spéciale qu'elle ramasse et
rapporte à la maison; elle la range dans un lieu sûr. C'est la pierre tơmong
[12] qui l'accompagne
lors de ses sorties pour soigner les malades. Au bout d'un certain temps, la personne finit par
raconter aux gens du village qu'elle n'était pas malade, et que si elle a déliré c'est parce que son
âme était allée apprendre le métier de
pơjâu éclaireur auprès de iă Năm ou de iă Chău;
désormais si quelqu'un est malade il suffit de faire appel à elle. Cette catégorie de
pơjâu
ressemble, si nous ne nous trompons pas, aux médiums chez les Vietnamiens. Ces derniers
aussi sont des gens ordinaires qui, un jour, ont mal à la tête, ont le vertige, et se mettent à danser
comme des fous tout en racontant des histoires de génies. Certains se servent de la magie pour
soigner les malades. Quand ils retrouvent leurs esprits, ils disent comme les
pơjâu bahnar, que
les génies les ont possédés et leur ont dit ce qu'ils devaient faire. Certains ont gardé ce métier
comme moyen d'existence.
Chez les
pơjâu éclaireurs, il existe deux écoles : les disciples de iă Năm qui ne savent qu'éclairer
et aspirer les objets pénétrés [dans le corps du malade par la magie
deng], et ceux de iă Chău
qui connaissent en outre la magie
deng.
Les
pơjâu éclaireurs sont soumis à des règles strictes : ils doivent préparer eux-mêmes leur
repas en n'utilisant que leurs propres casseroles et feux, il leur est interdit de manger des
crapauds, des têtards, des bêtes qui vivent dans les eaux boueuses en somme, de consommer
du porc et du chien car ces animaux se nourrissent d'excréments humains.
Les tabous - Les génies défendent strictement aux humains de faire des choses contre nature.
Celui qui ose contrevenir à leur volonté sera puni, il nuira par la même occasion à la communauté
tout entière. Les choses défendues sont :
- Obliger les bœufs et les buffles à faire des travaux agricoles
[13]. Les génies les ont donnés aux
humains pour la consommation, il est donc interdit de les utiliser à d'autres fins.
- Planter le
gơl et y attacher un chien pour le faire passer pour un buffle dans la cérémonie du
grong : le
gơl n'est planté que lorsqu'on fait des offrandes aux génies. Dès qu'ils voient un gơl
planté, les génies pensent qu'elles leur sont destinées. S'ils ne voient rien venir après, ils puniront.
Le chien est un animal dont les génies ont peur et qui leur répugne. Peut-être en ont-ils peur parce
que, comme les Vietnamiens, les Bahnar pensent que le chien peut voir les génies
[14]. La
répugnance vient du fait que cet animal mange des saletés. Ainsi quand on offre un chien aux
génies, c'est contre nature et irrespectueux.
Quand garçons et filles non mariés, hommes et femmes mariés (adultère), et surtout ceux de la
même famille, frères et sœurs couchent ensemble, c'est contre nature, si on transgresse cette
règle le village entier devient
chơlâm chơlu.
Il en est de même quand une fille-mère accouche d'un enfant dans le village.
Jeter dans l'eau les affaires des défunts, les nids d'oiseaux est contre nature. Celles-là doivent
être déposées au cimetière et ceux-ci doivent être sur l'arbre.
Celui qui viole les tabous sera puni : le génie de la foudre le foudroiera, les autres génies le
rendront malade, feront mourir hommes et bêtes, provoqueront inondations et sécheresse, etc.
Celui qui a commis involontairement ces monstruosités doit faire une cérémonie pour demander
pardon aux génies, sans quoi la vie des autres sera en danger à cause d'elles. Après la
cérémonie du
grong (qui dure un jour et une nuit et réunissant garçons et filles ensemble) le
tơmplei fait boire aux jeunes un mélange de poudre de corne de chevreuil et de sang (il s'agit
d'une méthode de détection des mensonges dont il sera question plus loin). Quelques jours plus
tard, si on voit apparaître des boutons sur son corps, c'est qu'on a eu des relations sexuelles
illicites. Les jeunes couples coupables doivent demander pardon aux génies en faisant des
offrandes, composées de viande de porc et d'alcool afin que le village soit tranquille. Au jour du
rendez-vous, tout le monde, enfants et adultes, se rend à la maison communale. Le couple fautif
mélange du sang de porc à de l'alcool et prend une feuille de
po’ngan pour la tremper dans le
mélange, puis il verse ce liquide sur la tête des autres. À son tour chacun dit (aux génies) : ces
jeunes ont versé du sang mélangé à de l'alcool sur ma tête, à partir d'aujourd'hui ne me rendez
plus malade.
Mais il arrive que les Bahnar retournent les tabous contre les génies pour en tirer profit, par
exemple, on verse du sang de chien sur le pied d'un arbre centenaire pour faire peur au génie,
et le faire partir, ceci dans le but de pouvoir abattre l'arbre, et transformer le terrain en essart, ou
bien lors des sécheresses, on jette les affaires des défunts (c'est-à-dire celles des fantômes)
dans la rivière pour mettre les génies en colère, ils feront ainsi tomber la pluie, etc.
Les génies malfaisants - Ce sont les génies qui ne font que nuire aux hommes : les génies
d'épidémies, les génies qui poussent l'homme à mourir subitement et bien d'autres qui n'ont pas
de noms ni de fonctions particulières.
Les génies d'épidémies sont
iang chu (variole),
iang pơhơrpơih (rougeole),
iang chu ho’nong
(varicelle),
iang Prang ko’pô ro’mo (épidémies animales). Ces génies malfaisants sont appelés
communément
Po’rang. Ils demeurent en temps normal dans les grands arbres, à l'ombre, et
quand il fait chaud ils sortent pour aller se nourrir d'humains.
Les génies qui poussent les hommes à mal mourir sont, par contre, bien identifiés :
To’dam iang
In est un génie non marié qui passe sa journée à jouer du
bro đung (une sorte d'instrument de
musique à corde) en allant partout séduire les femmes et les filles, les pousser à mourir de mort
non naturelle pour en faire des épouses et des servantes; de même, Bia Bo’xah est une génie
qui séduit les hommes et les incite à mourir de mort non naturelle pour en faire des époux et des
domestiques.
Les génies qui n'ont pas de noms particuliers sont très nombreux. Un certain nombre de Bahnar
les appellent
To’ noih ou
kiak to’ noih. Ils ont la forme de cochons et vivent dans les grottes, dans
les fossés, ils crient «
uk, uk » et cassent les pieds à ceux qui construisent des maisons ou font
des essarts sur leur demeure.
Les Bahnar ne demandent rien à ces derniers, ils cherchent simplement à les faire partir
gentiment, ou ils se servent de talismans pour les empêcher de rester, ou bien ils demandent au
génie de la foudre de les aider à les chasser; s'ils n'y parviennent pas, ils quittent alors le village
ou le terrain pour aller ailleurs.
Notes :
[1].Les génies siègent à cet endroit.
[2].
Les mangeoires sont en bois dans lesquels on verse la nourriture pour les cochons.
[3]. Parmi les trois espèces d'oiseaux,
bào chao, pic et
buse, les Bahnar croient plus au premier qu'aux deux autres. Si l'oiseau
bào chao les prévient du
bon présage et que par la suite le pic ou la buse apporte le mauvais présage, ils continuent leur
chemin. En partant s'ils rencontrent un mauvais présage, ils cueillent des feuilles puis les écrasent
avec les pieds en disant : l'oiseau vole mal, chante mal, je n'y vais pas, je rentre. Une fois rentré à
la maison, ils boivent un coup et fument une pipe avant de repartir. Quand ils auront franchi
l'espace du village ils diront : oiseau, tout à l'heure tu volais mal et chantais mal, vole bien et
chante bien maintenant. Si tu chantes bien, j'y vais, sinon je rentre et je repartirai demain. Demain
si c'est encore mauvais, je n'irai pas. Les Bahnar pensent qu'au bout de trois jours, ça finit par être
bon.
[4]. Quand les Bahnar revoient en rêve les activités de
la journée passée, dans ce cas ils ne les attribuent pas aux génies.
[5]. Chơlâm chơlu signifie « souillé » sur le plan moral,
par exemple, un couple non encore marié qui vit en concubinage est souillé et il transmet la
souillure à tout le village.
[6]. Chez nous Vietnamiens aussi, quand on fait des
rêves annonçant des mauvaises choses, on n'en parle à personne, on se dirige vers une poutre
de la maison et on lui raconte le rêve. Une fois le rêve raconté on lui demande : bon ou mauvais ?
Et on répond à soi-même que c'est bon, avant de cracher (c’est la coutume à Huế).
[7]. Cette coutume existe aussi chez nous.
[8]. On ne dresse le gơl que quand on sacrifie un buffle
ou un bouc ; chaque animal est attaché à un gơl différent ; les poulets et les porcs n’y sont pas
attachés.
[9]. Avec le temps, le gơl finit par tomber alors que
l'érythrine et le kapokier grandissent.
[10]. Certains Bahnar disent que les génie du riz et
de la jarre sont des esclaves des humains.
[11]. Comme la jarre xatok, qui est le tơ mong du
génie de la jarre. Quand on a vu la jarre, il faut néanmoins attendre la manifestation du génie
avant de l’acheter.
[12]. Voir plus loin.
[13]. À l'heure actuelle, les Bahnar qui habitent le
pourtour de la ville de Kontum observent de moins en moins ce tabou, ils utilisent de plus en plus
ces bêtes dans les travaux agricoles comme nous venons de le voir plus haut.
[14]. Les Vietnamiens croient que le chien peut voir
les fantômes et les diables, c'est pourquoi quand il aboie la nuit ils disent qu'il aboie aux fantômes.
Crédit photo :
Toutes les photos & illustrations sont tirées de l'ouvrage réédité.
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