Publications

Publications




Ouvrages

Ouvrages




Hanoi 1936-1996. Du drapeau rouge au billet vert,
Paris, Autrement, 1997, 203 p., avec G. Boudarel
Hanoi 1936-1996. Du drapeau rouge au billet vert,
Paris, Autrement, 1997, 203 p., avec G. Boudarel


Une cité-mémoire


Introduction

Hanoi, qui fêtera son millénaire en l'an 2010, est l'une des plus anciennes capitales de l'Asie du Sud-Est. Après la reconquête de l'indépendance, les souverains de la dynastie des Lý (1010-1275) s'installèrent sur le site aux dépens de l'ancienne capitale Hoa Lư [1]. La cité devait changer plusieurs fois de nom au cours de sa longue histoire. Elle s'est appelée successivement Thăng Long, puis Đông Đô (Capitale de l'Est), Đông Kinh [2] (Capitale royale de l'Est) au XVe siècle, enfin au XIXe siècle Hà Nội (La Ville à l'intérieur du fleuve), sur décision des Nguyễn qui établirent alors leur capitale à Huế. Du XVIIe au XIXe siècle, voire jusqu'au début du XXe, les Vietnamiens lui gardèrent sa dénomination populaire de Kẻ Chợ (le Marché). Historiquement, cette "terre millénaire des Lettres" (Đất nghìn năm văn vật), ainsi surnomme t-on Hanoi, est le centre nerveux des activités politiques, économiques et culturelles du pays, mais géopolitiquement elle se situe en un point sensible, à proximité de la Chine. Si l'Empire colonial en a fait la capitale de l'Indochine française au détriment de Saigon, c'était une façon d'affirmer sa puissance et sa détermination face à cet Empire du Milieu, toujours prêt à revendiquer sa suzeraineté sur la région. Le Nord du Vietnam n'a cessé en effet d'être le premier fusible à faire sauter pour la domination, sinon l'influence, sur l'Asie du Sud-Est. Cette position, source de difficultés et de conflits, explique pourquoi Hanoi a dủ, pour exister et perdurer, non seulement se doter de fortifications mais aussi se façonner une culture, une identité propres en s'appuyant d'abord sur des mythes fondateurs, des légendes, avant d'être l'oeuvre des hommes.

Une ville sous les eaux

La cité d'aujourd'hui s'est édifiée, au propre comme au figuré, avec les méandres du Sông Hồng qui la traverse suivant un axe nord ouest sud est. Chargé d'éléments ferreux qui lui donnent sa couleur brique et son nom, ce Fleuve Rouge prend sa source dans les montagnes du Sud-Ouest de la Chine et se renforce, au niveau du Mont Ba Vì, de plusieurs affluents dont la Rivière Noire (Sông Đà).

La zone de Hanoi, à l'origine marécageuse et criblée de lacs, vestiges de l'ancien cours du fleuve, a été gagnée d'une part sur les eaux de la mer et celles du redoutable Fleuve Rouge dont les crues pouvaient changer en une nuit la physionomie de la ville, et d'autre part sur la végétation luxuriante dont les traces se retrouvent dans les noms de certaines localités avoisinantes : Gia Lâm était une forêt de banians, Mai Lâm, une forêt de pruniers, etc. Sur cette zone inondable, les travaux d'endiguement ont toujours été la préoccupation majeure des habitants. A l'heure actuelle, elle est au-dessous du niveau des eaux en période de crues.

Avec quelques exagérations, on a pu dire que Hanoi fut aux siècles derniers la Venise de l'Extrême-Orient : les gens se déplaçaient en embarcations sur un réseau complexe de voies de communication, lacs, rivières, canaux et arroyos, reliés les uns aux autres. Ces eaux omniprésentes modelèrent pendant longtemps la vie matérielle et culturelle de la cité. Elles étaient un élément à la fois vital et fatal, au point que le "pays" se dit en langage affectif đất nước (Terre-Eau). Les Vietnamiens vivent cette dualité. A défaut de vaincre définitivement les eaux, ils s'appropriaient cette réalité pour s'en faire une alliée, voire l'élément constitutif de la nation, adaptation à l'environnement qui se traduit encore dans la langue : nước nhà (notre pays) signifie littéralement "eau-maison", et Nhà nước (l'État) : "maison-eau".

Légendes et sacrilèges

plan du vieux Hanoi
Depuis sa fondation en 1010 jusqu'au XVIIIe siècle, Hanoi s'est composée de deux parties distinctes : d'une part la ville impériale avec ses enceintes fortifiées dont la Cité interdite, la plus centrale ; et de l'autre l'ensemble des quartiers de commerçants et d'artisans, et d'habitations des serviteurs impériaux. Des ouvrages anciens dont le Địa dư chí (Traité de géographie) du lettré Nguyễn Trãi fournissent quelques indications sur son étendue au XVe siècle. La citadelle de Thăng Long était édifiée sur l'emplacement de l'ancienne forteresse Đại La (Grande citadelle), construite au IXe siècle. Elle était plus petite que la fameuse citadelle à la Vauban édifiée en 1805 par le colonel du génie Olivier sous les Nguyễn.

La cité impériale donc, siège du pouvoir, s'inscrit dans un carré [3] délimité au nord par le Grand Lac, au sud par l'actuelle rue du Pont du Papier, à l'est par l'actuelle place de Ba Đình et à l'ouest par la rivière Tô Lịch. A l'extérieur s'étendait le vieux Hanoi aux 36 quartiers commerçants. La capitale était ainsi protégée sur le côté nord et nord-est par le Fleuve Rouge qu'une digue sépare du Grand Lac, et sur la partie ouest par la rivière Tô Lịch, autre défense naturelle. La fertilité du sol alluvionnaire fut sans doute l'une des raisons qui décidèrent les dynasties successives à l'y maintenir jusqu'au XIXe siècle. Le Delta du Fleuve Rouge n'est-il pas considéré comme l'un des deux greniers à riz du Vietnam ? L'autre étant le Delta du Mékong dont les terres sont encore plus riches. Cette base matérielle, en l'occurrence alimentaire, permit à la capitale d'exister, de se développer et de se maintenir.

On connaît le Lac de l'Épée restituée avec la tortue mythique, dépositaire de l'arme sacrée qui a permis à Lê Lợi (1428-1433) [4] de vaincre les Ming au XVe siècle après dix ans de résistance. Les Hanoiens aiment néanmoins à raconter l'origine légendaire et étymologique de Thăng Long. Quand les bateaux de Lý Công Uẩn, fondateur de la dynastie des Lý, et de sa suite, venant de Hoa Lư arrivèrent sur le site, un dragon d'or apparut pour les accueillir puis s'envola vers le ciel. Ce bon présage décida le roi à fixer la capitale en ce lieu, la baptisant Thăng Long qui veut dire justement "le dragon qui s'envole".

Cet animal mythologique représente pour les Vietnamiens plus d'un symbole. Rappelons la légende nationale qui leur donne pour ancêtres le couple mythique, Lạc Long Quân, descendant des dragons, et Âu Cơ, fille des fées. Les croyances populaires attribuaient encore au dragon le pouvoir de faire tomber la pluie, indispensable à la riziculture. Et selon le système de représentations chinoises, pris en compte par la Cour, il était également l'emblème du pouvoir impérial. Ainsi le nom de Thăng Long réunissait gouvernants et gouvernés dans une symbiose en quelque sorte brisée au XlXe siècle, par le transfert à Huế de la capitale, que les Nguyễn achevèrent de vider de sa charge symbolique en la rebaptisant Hà Nội (la ville à l'intérieur du fleuve).

A propos du Grand Lac, il existe deux versions légendaires sur son origine, aussi exquises l'une que l'autre. Lors de la fondation du pays, la région de Hanoi fut longtemps troublée par un renard à neuf queues. Lạc Long Quân s'engagea alors dans une bataille décisive pour en finir avec cet animal qui semait la terreur. Pourchassé, le renard se sauva éperdument : le sol marqué par la multitude de ses empreintes finit par s'effondrer et donna naissance au Grand Lac. Les vieux dépositaires de la mémoire avancent une deuxième version. Il était une fois un géant nommé Khổng Minh Không qui se rendit en Chine pour soigner la princesse tombée malade. Une fois qu'il l'eut guérie, le roi, en signe de reconnaissance, lui dit d'aller prendre du bronze noir dans le dépôt royal. A son retour au pays, Khổng Minh Không en fit fondre une cloche. Les sons de celle-ci résonnèrent jusqu'en Chine où vivait un buffle d'or qui, en les entendant, crut reconnaître les mugissements de sa mère. Le buffle d'or arriva ainsi au Vietnam en suivant la direction d'où venaient les sons de la cloche. Ses traces laissées sur le sol de Hanoi devinrent la rivière Kim Ngưu (Buffle d'or), ancien bras de la rivière Tô Lịch, et la forêt de lim [5], profondément piétinée par lui, donna naissance au Grand Lac.

Des temples pour mémoires

plan du vieux Hanoi
Lieu de mémoire, Hanoi compte plus de mille temples et monuments divers. Depuis 1954, date de l'indépendance, plus de 200 ont été classés sur un ensemble de 579 maisons communales, 676 pagodes, 261 temples, répartis sur tout le territoire de la ville. La dynastie des Lý, marquée par le bouddhisme, a fait construire nombre d'édifices religieux dont la pagode à pilier unique en 1049. La structure de cette dernière était inspirée de la forme générale du lotus, allusion au Bouddha en méditation sur la fleur de lotus. Implantée dans un étang sur le côté est de la cité impériale, cette pagode a été maintes fois détruite puis reconstruite. Abattue lors de la première guerre d'Indochine par l'armée française, elle a été réédifiée après le conflit.

Dans les années 1970, un haut responsable du gouvernement envisagea de la faire démolir. Raison ? Elle cadre mal, disait-on, avec le site du mausolée de Hồ Chí Minh en construction. Pour avoir protesté contre cette destruction, l'historien de renom et fort critique Trần Quốc Vượng s'est vu infliger une réprimande. Mais les contestations ont fini par faire avorter cette décision stupide prise par des opportunistes incultes dans le seul but de se faire bien voir par les dirigeants.

Plus au sud, le Temple de la Littérature (Văn miếu) fut élevé en 1076 en hommage à Confucius et ses disciples. Ce site servait aussi de lieu de rencontre, sorte d'académie où les lettrés attitrés de la Cour se retrouvaient pour exceller dans la littérature classique. Par la suite le Quốc Tử Gíam, considéré comme la première université du pays, fut construit et attira des centaines d'étudiants qui s'installèrent aux alentours afin de profiter du prestige de ce lieu illustre. A partir du XVe siècle, et plus précisément à partir de la session de 1442, les lauréats - tous masculins - des concours mandarinaux y furent immortalisés par des inscriptions sur stèle reposant sur une tortue de pierre, symbole de la longévité. Les premières stèles furent édifiées en 1484 sous le règne de Lê Thánh Tông (1460-1497), réputé pour son humanisme et son érudition.

A l'extrême nord-est de la cité, au début de l'actuelle rue Thanh niên, ancienne route du Grand Bouddha à l'époque coloniale, se dresse face au Grand Lac le temple Quan Thánh, construit à l'avènement des Lý. Ce lieu de culte taoïste, dédié à l'origine à un génie protecteur très ancien, fut aussi l'une des seize portes-frontières de la ville, protégeant le côté nord. Depuis 1677 il abrita une statue en bronze noir du génie, haut de 4 mètres. A l'est du Lac Bẩy Mẫu (Lac de sept hectares) et bien au sud du Petit Lac, un autre temple fut édifié au XIIe siècle et dédié aux deux Soeurs Trưng, qui au 1er siècle de notre ère avaient résisté au début de l'invasion chinoise. Impuissantes par la suite devant l'avancée des forces ennemies mais résolues à échapper à la honte et à l'humiliation, elles se suicidèrent en se jetant dans les eaux d'un fleuve.

A l'ouest de la cité impériale, s'élevaient deux autres monuments historiques datant du XIIe siècle, le temple des Eléphants Couchés implanté dans l'actuel parc zoologique, et la pagode Láng située un peu plus au sud. Le premier protégeait le côté ouest de la capitale. Quant à l'autre, réputé pour son site pittoresque et ses nombreux vestiges dont plusieurs dizaines de statues remontant au XVIIe siècle, il était le théâtre d'une fête annuelle, l'une des plus courues de Hanoi.

On peut dire que la ville actuelle fut façonnée par la dynastie qui la fonda, alors que celles qui lui succédèrent ne firent pour l'essentiel que la conserver en la rénovant. Elles faisaient construire un peu partout des palais, ortes de stations de repos servant de lieux de détente aux dignitaires de la Cour lors des sorties, mais aucune d'elles n'a résisté aux caprices de l'histoire. En 1216, la lutte pour le pouvoir entre fractions rivales de la dynastie en déclin provoqua l'incendie et la destruction de la cité impériale, qui devait être reconstruite ultérieurement par la dynastie des Trần.

Du XVIe au XVIIIe siècle, Đông Kinh, Capitale de l'Est, s'enrichit de palais seigneuriaux installés à l'extérieur de la cité impériale à cause des luttes entre la dynastie régnante des Lê réduite à une fonction honorifique, et les seigneurs Trịnh qui concentrèrent en leurs mains le véritable pouvoir. Cette bipolarité engendra des situations chaotiques et une instabilité politique qui se traduisirent par plusieurs assassinats de rois Lê perpétrés par les seigneurs Trịnh. En 1623, l'un de ceux-ci alla jusqu'à incendier la cité impériale. La réponse du berger parvint à la bergère un siècle et demi plus tard, en 1787, avec la même violence et la même détermination. Cet événement provoqua l'incursion des Qing, appelés au secours par le dernier héritier du trône des Lê désireux de réoccuper la capitale. Mais les frères Tây Sơn en révolte dans le Sud profitèrent des troubles pour intervenir et libérer la capitale des occupants chinois. En 1789, la bataille de Đống Đa, du nom d'une colline située à quelques kilomètres au sud de Hanoi, mit fin à l'expédition étrangère [6].

trait


Notes :

[1]. Surnommée aujourd'hui la "Baie d'Halong terrestre", site au paysage envoûtant.

[2]. Đông Kinh et Tokyo sont deux "lectures" ou deux transcriptions, l'une vietnamienne et l'autre japonaise, des deux mêmes caractères chinois.

[3]. D'après la cosmogonie confucéenne, le carré symbolise la Terre, alors que le Ciel est représenté par un cercle.

[4]. Fondateur de la dynastie des Lê postérieurs (1428-1527).

[5]. Arbre qui donne un bois très solide dont la densité est plus forte que celle de l'eau : il coule. On l'utilise pour faire des charpentes ou des piliers qui soutiennent les toits.

[6]. Les Tây Sơn ont réussi à réunir le pays, déchiré et partagé en deux depuis le XVIe siècle par deux seigneuries rivales, les Trịnh au Nord et les Nguyễn au Sud, avant d'être éliminés très peu de temps après par le fondateur de la dynastie des Nguyễn (1802-1945) qui bénéficia de l'aide des Français dont la conquête commença en 1858 par le Sud.


trait

Illustration :

- La cité impériale d'après un plan datant de 1873, in, L'Éveil économique de l'Indpochine, n° 397, 18 jan 1925.

- La pagode au pilier unique, aquarelle (vers 1950) d'un peintre dont le nom nous a échappé.



Sommaire de la rubrique
Haut de page
Suite