Nous reproduisons l'une des versions de ce discours extrait de l'ouvrage collectif
, Éditions Autrement, série Monde - HS N°54, mai 1991,
pp 19-22.
, n°19, 2e trimestre 1989).
Ce texte d'une beauté touchante, nous dévoile l'âme des Amérindiens soucieux de tous les êtres vivants
qui sont pour eux une partie de la même famille. Le respect qu'ils ont envers le monde environnant tranche
avec le mépris des autres qui le considèrent comme un monde à exploiter, à saigner. Un texte à notre avis
qu'il faut enseigner, expliquer et commenter dans toutes les écoles dans ce bas monde. C'est un trésor de
l'humanité que tout l'or du monde ne peut l'égaler.
PEUT-ÊTRE SOMMES-NOUS FRERES ?
Seattle (ou Sealth) était l'un des grands chefs indiens à l'époque où l'homme blanc progressait vers
l'ouest en Amérique du Nord. On peut admirer dans son discours à la fois un sens et un souci
écologiques, inconnus à l'époque mais si actuels, en même temps que le pressentiment du sort
qui attendait le peuple indien.
« Le Grand Chef de Washington nous a fait part de son désir d'acheter notre terre.
« Le Grand Chef nous a fait part de son amitié et de ses sentiments bienveillants. Il est très généreux,
car nous savons bien qu'il n'a pas grand besoin de notre amitié en retour.
« Cependant, nous allons considérer votre offre, car nous savons que si nous ne vendons pas,
l'homme blanc va venir avec ses fusils et va prendre notre terre.
« Mais peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? Étrange idée pour nous !
« Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l'air, ni du miroitement de l'eau,
comment pouvez-vous nous l'acheter ?
« Le moindre recoin de cette terre est sacré pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante,
chaque grève sablonneuse, chaque écharpe de brume dans le bois noir, chaque clairière,
le bourdonnement des insectes, tout cela est sacré dans la mémoire et la vie de mon peuple.
La sève qui coule dans les arbres porte les souvenirs de l'homme rouge.
« Les morts des hommes blancs, lorsqu'ils se promènent au milieu des étoiles, oublient
leur terre natale. Nos morts n'oublient jamais la beauté de cette terre, car elle est la mère de l'homme
rouge ; nous faisons partie de cette terre comme elle fait partie de nous.
« Les fleurs parfumées sont nos sœurs, le cerf, le cheval, le grand aigle sont nos frères ; les crêtes
des montagnes, les sucs des prairies, le corps chaud du poney, et l'homme lui-même, tous appartiennent
à la même famille.
« Ainsi, lorsqu'il nous demande d'acheter notre terre, le Grand Chef de Washington exige
beaucoup de nous.
« Le Grand Chef nous a assuré qu'il nous en réserverait un coin, où nous pourrions vivre
confortablement, nous et nos enfants, et qu'il serait notre père, et nous ses enfants. « Nous allons
donc considérer votre offre d'acheter notre terre, mais cela ne sera pas facile, car cette terre, pour
nous, est sacrée.
« L'eau étincelante des ruisseaux et des fleuves n'est pas de l'eau seulement ; elle est le sang
de nos ancêtres. Si nous vous vendons notre terre, vous devrez vous souvenir qu'elle est sacrée, et
vous devrez l'enseigner à vos enfants, et leur apprendre que chaque reflet spectral de l'eau claire des
lacs raconte le passé et les souvenirs de mon peuple. Le murmure de l'eau est la voix du père de
mon père.
« Les fleuves sont nos frères ; ils étanchent notre soif. Les fleuves portent nos canoës et
nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devrez vous souvenir que les fleuves
sont nos frères et les vôtres, et l'enseigner à vos enfants, et vous devrez dorénavant leur témoigner la
bonté que vous auriez pour un frère.
« L'homme rouge a toujours reculé devant l'homme blanc, comme la brume des montagnes
s'enfuit devant le soleil levant. Mais les cendres de nos pères sont sacrées. Leurs tombes sont une
terre sainte ; ainsi, ces collines, ces arbres, ce coin de terre sont sacrés à nos yeux. Nous savons que
l'homme blanc ne comprend pas nos pensées. Pour lui, un lopin de terre en vaut un autre, car il est
l'étranger qui vient de nuit piller la terre selon ses besoins. Le sol n'est pas son frère, mais son ennemi,
et quand il l'a conquis, il poursuit sa route. Il laisse derrière lui les tombes de ses pères et ne s'en
soucie pas.
« Vous devez enseigner à vos enfants que la terre, sous leurs pieds, est faite des cendres
de nos grands-parents. Afin qu'ils la respectent, dites à vos enfants que la terre est riche de la vie de
notre peuple. Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère.
Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils
crachent sur eux-mêmes.
« Nous le savons : la terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la terre.
Nous le savons : toutes choses sont liées comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses
sont liées.
« Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. L'homme n'a pas tissé la toile de la vie,
il n'est qu'un fil de tissu. Tout ce qu'il fait à la toile, il le fait à lui-même.
« Mais nous allons considérer votre offre d'aller dans la réserve que vous destinez à mon
peuple. Nous vivrons à l'écart et en paix. Qu'importe où nous passerons le reste de nos jours.
Nos enfants ont vu leurs pères humiliés dans la défaite. Nos guerriers ont connu la honte ; après la
défaite, ils coulent des jours oisifs et souillent leur corps de nourritures douces et de boissons fortes.
Qu'importe où nous passerons le reste de nos jours ? Ils ne sont plus nombreux. Encore quelques
heures, quelques hivers, et il ne restera plus aucun des enfants des grandes tribus qui vivaient autrefois
sur cette terre, ou qui errent encore dans les bois, par petits groupes ; aucun ne sera là pour pleurer
sur les tombes d'un peuple autrefois aussi puissant, aussi plein d'espérance que le vôtre.
Mais pourquoi pleurer sur la fin de mon peuple ? Les tribus sont faites d'hommes, pas davantage.
Les hommes viennent et s'en vont, comme les vagues de la mer.
“Un peuple qui opprime un autre peuple ne peut pas être libre.”
Tupak Yupanqui
« Même l'homme blanc, dont le Dieu marche avec lui et lui parle comme un ami avec son ami,
ne peut échapper à la destinée commune. Peut-être sommes-nous frères malgré tout ; nous verrons.
Mais nous savons une chose que l'homme blanc découvrira peut-être un jour : notre Dieu est le même
Dieu. Vous avez beau penser aujourd'hui que vous le possédez comme vous aimeriez posséder
notre terre, vous ne le pouvez pas. Il est le Dieu des hommes, et sa compassion est la même pour
l'homme rouge et pour l'homme blanc.
« La terre est précieuse à ses yeux, et qui porte atteinte à la terre couvre son créateur de
mépris. Les blancs passeront, eux aussi, et peut-être avant les autres tribus. Continuez à souiller votre lit,
et une belle nuit, vous étoufferez dans vos propres déchets.
« Mais dans votre perte, vous brillerez de feux éclatants, allumés par la puissance du Dieu
qui vous a amenés dans ce pays, et qui, dans un dessein connu de lui, vous a donné pouvoir sur
cette terre et sur l'homme rouge. Cette destinée est pour nous un mystère ; nous ne comprenons pas,
lorsque tous les buffles sont massacrés, les chevaux sauvages domptés, lorsque les recoins secrets
des forêts sont lourds de l'odeur d'hommes nombreux, l'aspect des collines mûres pour la moisson
est abîmé par les câbles parlants.
« Où est le fourré ? Disparu. Où est l'aigle ? Il n'est plus. Qu'est-ce que dire adieu au poney
agile et à la chasse ? C'est finir de vivre et se mettre à survivre.
« Ainsi donc, nous allons considérer votre offre d'acheter notre terre. Et si nous acceptons,
ce sera pour être bien sûrs de recevoir la réserve que vous nous avez promise. Là, peut-être, nous
pourrons finir les brèves journées qui nous restent à vivre selon nos désirs. Et lorsque le dernier
homme rouge aura disparu de cette terre, et que son souvenir ne sera plus que l'ombre d'un nuage
glissant sur la prairie, ces rives et ces forêts abriteront encore les esprits de mon peuple. Car ils aiment
cette terre comme le nouveau-né aime le battement du cœur de sa mère. Ainsi, si nous vous vendons
notre terre, aimez-la comme nous l'avons aimée. Prenez soin d'elle comme nous en avons pris soin.
« Gardez en mémoire le souvenir de ce pays, tel qu'il est au moment où vous le prenez.
Et de toute votre force, de toute votre pensée, de tout votre cœur, préservez-le pour vos enfants, et
aimez-le comme Dieu vous aime tous.
« Nous savons une chose : notre Dieu est le même Dieu. Il aime cette terre. L'homme blanc
lui-même ne peut pas échapper à la destinée commune. PEUT-ÊTRE SOMMES-NOUS FRÈRES.
Nous verrons. »
Notes :
Discours prononcé en 1854 par le chef indien Seattle devant l'Assemblée des tribus.
"Idées et action", n° 113 - 1976/6. Bulletin de la Campagne mondiale contre la faim-action pour le
développment, FAO, Rome.
SEATTLE SI MAL CITÉ !
L'inacceptable récupération-déformation "écologieuse "
D'après l'enquête menée par Nathalie et les informations concordantes tirées d'un chapitre intitulé
"Chief Seattles Speech(es) de Rudolf Kaiser dans le livre "
Recovering the World, Essays on
Native American Literature" publié en 1987en Californie, il s'avère que le fameux -mais trop mal connu-
discours fut prononcé en langue Dwamish par Seattle non pas au traité de Fort Elliott, mais tout
simplement lors d'une rencontre avec des Blancs, devant la maison du Dr Maynard, à Seattle, en
novembre-décembre 1853 et fut "enregistré" par le Dr Smith. Prononcé en Dwamish, traduit en Chinook
puis retraduit en anglais, il aurait été bien rapporté par le Dr Smith qui semblait connaître le Dwamish.
Ses notes elles-mêmes sont introuvables, et la première version qui en fut publiée est un article, écrit
par Smith en personne, dans le Seattle Sunday Star, en 1887.
En 1931, le texte est
repris par un certain Clarence Beagley pour un autre journal, le
Washington
Historical Quaterly, mais Beagley y ajoute trois phrases de son cru, les mots de la fin: "
Dead -did I
say ? There is no death. Only a change of worlds."
Bien plus tard, en 1969, un chercheur, William Arrowsmisth,
republiera le texte en le
modernisant, mais
sans en changer le sens. Et c'est sur ce dernier texte que tombe
un
scénariste américain, Ted Perry, quand des
baptistes lui demandent de produire
un film
sur la pollution et l'écologie. Perry le réécrit, mais, affirme-t-il,
sans la moindre intention de faire
passer sa prose pour le discours de Seattle...
Toujours est-il que ce texte,
sorti de son contexte, finira par
échouer dans diverses
publications écologistes, et fera son chemin jusque dans les groupes de soutien européens
qui l'adopteront avec enthousiasme effréné comme étant
"Le manifeste indien pour l'écologie" !
Du charmant poster imprimé par Greenpeace et présentant ce dernier texte illustré par un portrait du
photogénique (?) Sitting Bull à la citation erronée écrite par Antoine Waechter à l'issue de son...
"Heure de Vérité", les petits fascicules se sont multipliés -les uns écologistes et agréables à feuilleter,
les autres à but lucratif et aux illustrations délirantes, tous, en tous cas se rejoignant sur un point:
l'absence de références véritables, et pour cause.
C'est en tant que revue
écologiste que
NITASSINAN a tenu à faire cette mise au point
d'ordre historique, car nous sommes persuadés que c'est par le
sérieux et non par une
pseudo-poético-démagogie que les voies de l'Ecologie finiront -peut-être- par s'imposer.
A noter -que dans "
Pieds-nus sur la Terre Sacrée" (Ed. Denoël,p.36), livre dont le prix ne cesse
d'augmenter, l'erreur n'a pas été commise, -que Perry a très bien pu s'aider d'un très beau texte
existant mais d'auteur inconnu -assez fréquent-et procéder à un amalgame, -qu'enfin, dans
NITASSINAN N°20-21 (déc.), nous publierons le texte global en français et en anglais, en y
soulignant les phrases qui sont bien celles prononcées par Seattle, dont voici un portrait.
M.L.
Pour des raisons de lisibilité, nous avons mis en gras les parties en capitales dans la version papier publié
par
.