Échos d'un autre monde
Échos d'un autre monde
Un groupe de traducteurs libres et indépendants sur le web
Un groupe de traducteurs libres et indépendants sur le web
"C'est possible !" - Interview de Fausto Giudice
BH: Dans votre Manifeste, on peut lire que Tlaxcala a été créé en décembre 2005 par une vingtaine de
cyberactivistes ayant lié connaissance grâce à Internet. Comment avez-vous précisément lié connaissance
et comment avez- vous réussi à monter un réseau qui fonctionne actuellement avec plus de 70 membres et
réalise des traductions dans plus de 10 langues?
FG: Tlaxcala est né de la rencontre entre trois, puis quatre puis cinq personnes suite à une interview de
Gilad Atzmon par Manuel Talens, pour le site rebelion.org. Manuel cherchait quelqu’un qui puisse réviser
la version anglaise de son interview. Gilad lui a indiqué Mary, qui anime un blog, peacepalestine.blogspot.com.
Puis moi, qui m’occupais de fournir des traductions au site quibla.net et qui cherchais depuis deux ans à
monter un réseau de traducteurs militants, bénévoles et indépendants. Puis Ernesto, un Mexicain vivant en
Angleterre. Puis Nancy, une blogueuse usaméricaine d’origine palestinienne vivant en Allemagne. De fil en
aiguille, entre septembre et décembre 2005, au fil de nos échanges, Tlaxcala est né : nous avons découvert
que nous étions d’accord sur l’essentiel : l’hégémonie de la langue anglaise sur le Net, la nécessité de contrer
cette hégémonie et de promouvoir la diversité linguistique pour faire circuler à la fois des informations et des
analyses sur toutes les questions brûlantes dans d’autres langues que l’anglais et rendre accessible aux
lecteurs anglophones – qui, souvent, ne lisent pas d’autre langue que l’anglais – des textes écrits à l’origine
dans d’autres langues. Nous avons donc rédigé un manifeste et nous avons créé notre site web, qui a été lancé
le 21 février 2006, une date choisie pour sa valeur symbolique puisque c’est celle de la mort de Missak
Manouchian (en 1944), le résistant français d’origine arménienne, de Malcolm X (1965), le leader révolutionnaire
afro-américain et de Augusto Cesar Sandino (1934), le leader révolutionnaire nicaraguayen. Quand nous
avons lancé le site, nous étions une vingtaine, produisant des textes en six langues. Au fil des mois, par effet
boule de neige – ou tache d’huile -, nous avons atteint aujourd’hui le nombre de 78, avec une capacité de
produire des textes en quinze langues. Les sites web et les blogs auxquels nous sommes associés ont servi
de relais pour nous faire connaître et des volontaires ont pris contact avec nous.
BH: Dans quel sens selon vous le fait d’avoir créé un réseau de traducteurs et d’activistes tel que celui de
Tlaxcala permet d’enrichir le débat sur les problématiques politiques, économiques et sociales de notre temps ?
Et comment peut-il faire face aux « mass medias » ?
FG: L’utilité d’un tel réseau est évidente : il permet de créer un véritable contre-pouvoir médiatique face aux
grandes machines qui dominent l’espace hertzien et cybernétique et diffusent la pensée unique de l’Empire.
On s’en aperçoit à propos de toutes les grandes questions d’actualité, que ce soit la guerre d’Irak, la guerre de
Palestine, la guerre du Liban, la guerre d’Afghanistan ou Guantánamo ou encore le Venezuela. Aujourd’hui, on
peut dire que le slogan des étudiants de Bologne en Italie en 1977 – « ne critiquez pas les médias, devenez les
médias » - est en train de devenir une réalité : Tlaxcala démontre qu’un groupe d’individus dispersés sur la
planète peuvent, sans moyens financiers, sans aucun soutien des appareils de pouvoir, créer un média
indépendant qui permet de démultiplier une information, une analyse, très rapidement. Les textes traduits par
Tlaxcala sont rapidement repris par plusieurs autres sites et blogs aux quatre coins de la planète, ils circulent
sur des listes de discussion, des forums en ligne, des yahoogroupes ou des googlegroupes, si bien que chaque
article est lu par plusieurs milliers de personnes dans les jours qui suivent sa première publication. Et les
grands médias doivent désormais compter avec des médias communautaires autonomes : les journalistes
dits « professionnels » - qui sont payés pour leur travail – s’alimentent aujourd’hui principalement auprès de
sites et de blogs indépendants comme Tlaxcala. En outre, tous les grands médias dits « dominants »
(mainstream) savent désormais qu’ils prennent des risques sérieux en publiant un mensonge : dans les heures
qui suivent, une contre-information circulera sur la Toile et contribuera encore plus à les décrédibiliser.
BH: Quel est votre public cible ?
FG: Toute personne sachant lire et écrire dans une des dix langues dans lesquelles nous publions des textes
sur notre site et ayant accès à Internet, du Venezuela à l’Iran, du Maroc à la Suède, du Nigeria à la Chine.
Plus précisément, tous les internautes qui sont engagés dans un combat local, régional ou mondial, tous
ceux pour lesquels Internet est un outil de communication, d’échange, d’information et de mobilisation.
Auteur : Ben Heine
BH: Pensez vous que le réseau Tlaxcala est à classer dans la même catégorie que les cybergroupes qui
pratiquent un « militantisme online » à l’intérieur de ce qu’on pourrait appeler une « démocratie électronique »
(« e-democracy » ou encore « démosphère ») ?
FG: Oui, sans doute.
BH: Pensez-vous que cette « démocratie électronique » existe réellement ? Avez- vous des exemples ?
FG: Cette « démocratie électronique » n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Elle doit inventer ses règles
de fonctionnement, ses modes de régulation, notamment lorsque des conflits surgissent entre membres
d’un groupe ou d’un réseau, qui souvent ne se connaissent que par Internet et ne se sont jamais rencontrés
physiquement. En tout cas, il est évident qu’Internet permet un fonctionnement horizontal décentralisé basé
sur le principe : « un homme, une voix ». Il permet aussi la consultation permanente de tous les membres d’un
groupe ou d’un réseau. C’est là le noyau de cette « démocratie électronique » qui se cherche. On ne peut
pas éliminer complètement les fonctions de direction, mais celles-ci tendent à devenir des simples fonctions
de coordination entre les initiatives des uns et des autres. Je pense que dans les années qui viennent,
l’expérience des réseaux militants comme le nôtre, qui constituent des « zones temporairement libérées »,
va faire tâche d’huile et que les machines institutionnelles vont devoir en tenir compte. Déjà, le Conseil des
ministres en Estonie se tient directement en ligne et au Canada, les Inuits (ceux qu’on appelait autrefois les
Eskimos) gèrent leur territoire autonome, le Nunavuk, par Internet, ce qui leur facilite la vie, vu qu’ils ne sont
qu’environ 30 000, éparpillés sur 2 millions de kilomètres carrés. Et ils peuvent, grâce à Internet, communiquer a
vec leurs frères de l’Alaska et du Groenland.
BH: Pourquoi les traductions et les articles produits par Tlaxcala sont-ils libres de droit ? Ceci est-il une volonté
d’augmenter leurs chances de diffusion et de reproduction ?
FG: Nous sommes tous volontaires et bénévoles et nos travaux sont publiés par des sites et des blogs d’accès
gratuit. La rétribution de notre travail n’est donc pas financière. La seule exigence que nous avons, c’est que la
source et les auteurs de nos traductions soient mentionnés. Comme nous ne sommes en concurrence avec
personne, notre seul intérêt, c’est que nos textes connaissent une diffusion maximale. D’où la pratique du
Copyleft, qui est l’exact contraire du Copyright. Je crois que, désormais, tout le monde a compris ça.
BH: Tlaxcala est-il un groupe complètement indépendant ? Quelle est votre ligne éditoriale et comment
e déroule la sélection des articles et des sujets ?
FG: Nous sommes une véritable horde sauvage (wild bunch). Il y a en effet parmi nous toutes sortes de
sensibilités, d’itinéraires et d’affinités. Nous sommes d’accord sur l’essentiel – contre l’Empire, pour la liberté
des peuples – et nous avons certes des sympathies, mais nous ne dépendons d’aucun parti, d’aucun
gouvernement, d’aucune chapelle. Notre ligne éditoriale découle de notre manifeste. Les articles sont choisis
par tout membre du réseau et proposés à l’ensemble du réseau. Certains sont traduits dans une ou deux
langues seulement, d’autres dans 8 à 10. Il n’y a jamais aucune obligation de traduire : chacun propose et
chacun dispose. Parfois, un membre n’est pas d’accord avec la traduction d’un texte par un autre membre.
Il peut nous arriver de décider de ne pas publier un texte qui pose problème, mais c’est très rare.
BH: Tlaxcala est en perpétuelle croissance, quelle est votre méthode de recrutement ?
FG: Des volontaires nous écrivent pour proposer leur participation. Nous leur demandons alors de faire un test
en traduisant un texte. Nous vérifions que la personne n’est pas un agent de la CIA et nous la cooptons dans le
réseau. Tous les adhérents qui en ont les moyens payent une cotisation annuelle qui nous permet de financer
les frais d’entretien de notre site.
BH: Outre les arguments apportés dans le Manifeste, pourquoi pensez-vous qu’il est important de faire face
au monopole de la langue anglaise sur le Web ? Pourquoi ne réalisez-vous pas davantage de traductions en
anglais sur Tlaxcala ?
FG: Langue unique = pensée unique. Or nous sommes partisans d’un « monde contenant tous les mondes »,
pour reprendre l’expression des zapatistes mexicains. Nous avons un problème réel : nous n’avons jusqu’à
présent pas pu recruter suffisamment de traducteurs de langue maternelle anglaise, ce qui en dit long sur l’état
du monde anglophone, y compris le monde militant, qui, souvent, se contente de communiquer en anglais et
ne se soucie pas des autres langues. Les américains sont dans une situation culturelle catastrophique : moins
de 8% des étudiants des universités US étudient une langue étrangère. Tlaxcala a de fait les mêmes
problèmes que la CIA ou le FBI : à la veille de l’attaque contre l’Afghanistan, les 17 agences de renseignement
US ont cherché à savoir combien d’agents parlaient ou comprenaient les langues de l’Afghanistan. Ils n’en
ont trouvé qu’UN ! Et pour permettre aux forces militaires qui ont occupé l’Irak de comprendre les indigènes,
le Pentagone a été obligé de recruter 4000 traducteurs et interprètes non-US, en général des exilés irakiens.
Il y a évidemment deux grandes différences entre le Pentagone ou la CIA et Tlaxcala : nous ne menons pas le
même genre de guerre et eux et nous n’avons pas les mêmes moyens…Mais avec le temps, nous sommes
parvenus à recruter de nouveaux traducteurs anglophones et nous commençons à combler la « fracture »
entre les traductions en espagnol (1000) ou en français (750) et en anglais (seulement 400 pour le moment).
BH: Le collectif Tlaxcala parvient-il, grâce à son travail, à diminuer les disparités linguistiques sur le Web,
celles-ci représentant très clairement une difficulté dans la réussite et l’effectivité du « militantisme online » ?
Est-ce que vos traductions sont réutilisées sur d’autres sites ? (Exemples bienvenus)
FG: C’est un travail de longue haleine, une longue marche. Mais comme je l’ai dit plus haut, il y a un effet
de démultiplication : nos traductions sont reprises par un nombre sans cesse croissant de sites, de blogs,
de listes et de forums. Il suffit de taper « tlaxcala.es » sur un moteur de recherche pour s’en rendre compte.
Nous avons un partenariat de fait avec une cinquantaine de sites et de blogs.
BH: Selon vous, le « militantisme online » a-t-il un réel impact ? Avez-vous quelques exemples ?
FG: Oui, l’impact est réel. Deux exemples :
- Il y a quelques années, l’entreprise Intel avait un projet d’extension de son usine de Kyriat Gat, en Palestine
occupée en 1948, où elle fabrique la moitié des puces Pentium 4 vendues dans le monde. Kyriat Gat est le
nom israélien du village palestinien d’Iraq al Makshiya, où un détachement de l’armée égyptienne est resté
jusqu’en 1949, sous le commandement d’un certain colonel Nasser. Les Égyptiens n’ont accepté de partir
qu’après la signature d’un accord avec les sionistes, supervisé par l’ONU, dans lequel les Israéliens
s’engageaient à ne pas chasser les 3000 habitants. Quelques semaines après de départ du contingent
égyptien, les sionistes ont déporté les habitants. Aujourd’hui, il y a 15000 descendants de ces habitants qui
vivent aux USA. Ils ont lancé une campagne de mails à Intel, lui demandant de ne pas investir dans cette usine.
Intel a renoncé à son projet. Du coup, Coca Cola a renoncé à son projet de construire une usine à côté de
celle d’Intel.
- Il y a quelques années, la Justice tunisienne a condamné un groupe de jeunes internautes de Zarzis, dans le
Sud, à des lourdes peines de prison pour « terrorisme ». La peine maximale était de 26 ans de prison. Le
seul crime de ces jeunes était d’avoir navigué sur Internet, dans des cyberboutiques, à la recherche
d’informations sur Al Qaïda. La campagne menée, notamment sur Internet, a permis la libération de tous ces
jeunes.
BH: Selon vous, les Blogs représentent-ils un bon moyen pour renforcer la liberté d’expression des individus
et diffuser des informations ? Quels avantages et désavantages voyez-vous à la Blogosphère et son impact
croissant ?
FG: Oui, et on s’en rend compte particulièrement en France, qui est le pays où il y a la plus forte proportion
de blogs par habitant. C’est ce qu’ont bien compris tous les candidats à l’élection présidentielle, en particulier
Sarkozy et Royal, qui ont beaucoup utilisé les blogs, aussi bien les blogs « centraux » gérés par leurs équipes
de campagne que les blogs individuels de leurs adhérents ou sympathisants. On a vu aussi fleurir les
chansons, les caricatures et les vidéos anti-Sarkozy. Aujourd’hui, n’importe qui peut réaliser son journal.
On trouve des textes et des images et même du son de grande qualité. Les grands journaux ont aussi
compris cela et proposent désormais à leurs lecteurs de créer leurs blogs, qui parfois sont plus informatifs
que le journal lui-même ou les blogs des journalistes professionnels. Désormais, tout groupe qui se constitue
pour défendre une cause, quelque qu’elle soit, crée immédiatement son blog ou son groupe de discussion
ou au moins sa liste de diffusion. Le seul désavantage, c’est que beaucoup de gens n’ont aucune formation
pour gérer de manière rationnelle leur utilisation d’Internet et les boîtes email se trouvent souvent encombrées,
le même document étant diffusé plusieurs fois. Je reçois parfois le même document de cinq sources
différentes. Mais c’est normal, il faut que les gens apprennent à gérer ces nouveaux outils. Heureusement,
leurs enfants s’y connaissent souvent mieux et donnent un coup de main à leurs parents ou grands-parents.
BH: Selon vous, comment utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC)
pour préserver la diversité culturelle et favoriser le dialogue entre les civilisations ?
FG: Il faudrait arriver à mobiliser des chercheurs capables de mettre enfin au point des traducteurs automatiques
fiables, car actuellement il n’y en a pas, pour que l’énergie et le temps consacrés à la traduction par des
humains puisse être utilisé à des choses plus utiles et plus agréables, en particulier la rencontre entre les
gens dans le monde réel et non plus virtuel.
BH: L’internet et toutes ses potentialités représentent-t-ils pour vous un approfondissement de la démocratie ?
FG: Potentiellement, oui. À partir du moment où on n’est plus dépendant de journaux, de télés, de radios
pour s’informer, se former, s’éduquer et qu’on peut pratiquer l’auto-apprentissage et l’inter-éducation, on est
en capacité de construire une autonomie, aussi bien individuelle que collective. Et donc des contre-pouvoirs.
Et il n’y a pas de démocratie sans contre-pouvoirs.
BH: Pensez-vous que la référence constante à la fracture numérique dans les discours gouvernementaux est
légitime ou n’est-elle qu’un « slogan politique », comme l’affirme certains observateurs ?
FG: Il est évident qu’il y a une fracture, et pas seulement numérique, entre un habitant d’un bidonville de
Calcutta ou une jeune ouvrière fabriquant des chaussures Nike à Shangaï et un étudiant d’Helsinki ou de
Bruxelles qui se balade partout avec son ordinateur, son téléphone et son MP3 portables, sa caméra
numérique et son scanner. Mais je crois qu’il y a très peu de choses à attendre des gouvernements, qui,
de toute façon, aujourd’hui, sont plus préoccupés par le contrôle et la répression des formes autonomes
d’expression et d’échange d’information – au nom bien sûr de la lutte contre le terrorisme, la pornographie, la
pédophilie et le trafic de drogue – que par la création des conditions d’accès de tous à l’Internet.
BH: Après la « révolution industrielle », on parle aujourd’hui, dans les sociétés modernes, de « révolution
informationnelle », liée aux grands changements apportés par les TIC (Technologies de l’Information et de la
Communication), quel est votre avis sur la question ?
FG: Les Italiens ont créé un nouveau concept : le cognitariat, qui serait le nouveau prolétariat. Les prolétaires
n’avaient que la force de leurs bras et leur progéniture comme richesse, les cognitaires ont leur intelligence,
leurs connaissances et leur savoir-faire technique. On les trouve travaillant dans les centres d’appel, de
Rabat à Bangalore, dans les McDo et dans tous les secteurs qui se développent autour et grâce aux TIC.
Ces cognitaires organisent de grands rassemblements festifs à Milan, Barcelone et ailleurs chaque Premier
Mai et ils ont même leur saint, San Precario. Ils cherchent à échapper à l’esclavage salarié et à créer leurs
propres structures. Reste le problème insoluble : ils n’ont pas de capital pour financer leurs projets et sont
donc toujours obligés de vendre leur force de travail aux détenteurs de capital. Autant des paysans du
Chiapas peuvent essayer de devenir autosuffisants en cultivant du maïs et des haricots qu’ils mangeront
eux-mêmes plutôt que du café qui les rend dépendants du marché mondial, autant les TIC ne permettent
pas –encore – de produire de la bouffe ou de payer son loyer.
BH: Selon vous, comment empêcher la fragmentation d’Internet (ou « fracture numérique »), comment
garantir la libre circulation des informations dans le cyberespace et le respect du droit à la liberté d’expression ?
FG: C’est une guerre prolongée faite de myriades de petites batailles quotidiennes. Le grand danger qui nous
guette, c’est celui-ci : comme tu le sais, Internet a été inventé sous la tutelle du Pentagone et était au départ
un outil de communication militaire, qui a ensuite échappé au contrôle militaire et est devenu un outil de masse
civil. Le Pentagone travaille donc à mettre au point un nouvel Internet à usage strictement militaire. Une fois
qu’ils auront mis au point ça, ils pourront – théoriquement du moins – débrancher l’Internet que nous utilisons
tous aujourd’hui, puisque « l’interrupteur » mondial se trouve aux USA. C’est pourquoi, il va falloir travailler à la
construction de réseaux autonomes échappant au contrôle des centres de pouvoir impériaux. À la veille du
Sommet mondial e la Société de l’Information, à Tunis, en novembre 2005, l’Iran et la Chine avaient proposé
à l’Union européenne de travailler ensemble à la construction d’un nouvel Internet indépendant des USA.
L’UE a décliné l’offre. C’était une belle connerie.
BH: La solution des cybercafés et autres centres collectifs d’accès à Internet a été proposée et est
développée depuis plusieurs années dans de nombreux pays émergents. Si ce type d’alternative permet une
connectivité à bas prix, pensez- vous qu’elle permet aussi aux citoyens du sud de s’impliquer dans le
militantisme online ?
FG: Oui, à une condition : que la liberté d’expression soit garantie dans ces pays. Or ce n’est pas le cas dans
de nombreux pays, pour n’en citer que deux : la Tunisie et la Chine. En Tunisie, outre les jeunes de Zarzis,
un autre internaute, Ramzi Bettibi, a été emprisonné en 2005 et condamné à quatre ans de prison pour avoir
copié sur un forum Internet qu’il modérait le communiqué d’un groupe menaçant le pays d’attentats terroristes
si l’ex-Premier Ministre israélien Ariel Sharon assistait au Sommet Mondial de l’Information. Il a été conduit dans
une prison secrète près de la ville de Bizerte, où il a été interrogé par la CIA et des agents parlant français sur
ses liens supposés avec des groupes irakiens djihadistes et sur ses activités sur internet.
En Tunisie toujours, plus de 500 policiers sont uniquement chargés d’Internet. Dans les cyberboutiques, tous les
écrans sont tournés vers le patron, qui les surveille. Les utilisateurs sont tenus de noter tous les sites qu’ils visitent. Le régime utilise des logiciels US et israéliens pour surveiller étroitement toute la communication internet et l’accès à tous les sites contenant des informations critiques sur la Tunisie est bloqué. Les internautes débrouillards utilisent des proxys pour contourner ces blocages mais tous ne savent pas utiliser des proxys. En Chine, le régime a fermé les 36 000 cyberboutiques du pays il y a quelque temps, au prétexte de manque de sécurité – il y avait eu quelques incendies dans des cyberboutiques – et je ne sais pas si elles ont été autorisées à ouvrir de nouveau. Sans parler du cybernaute dont Yahoo a fourni l’identité au régime et qui a été emprisonné. Sans parler d’Oiwan, notre amie de Hong Kong, qui est menacée de 400 000 HK$ d’amende et d’un an de prison pour avoir publié une photo de nu artistique. Et chez nous, les libertés dont nous jouissons sont sans cesse menacées : aux USA et en Grande-Bretagne, la police peut désormais violer la correspondance électronique au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Plus grave encore : les grands éditeurs sont en train de travailler à un grand projet visant en quelque sorte à « breveter » l’info comme on est train de breveter le vivant. Si ce projet est adopté, cela voudrait dire qu’aucun site web ne pourrait plus faire mention par exemple d’un tremblement de terre en Indonésie, la référence à ce tremblement de terre tombant sous le Copyright de l’agence Associated Press, par exemple, qui aurait donné l’information la première et qui serait donc en droit de réclamer un paiement.
BH: En 2006, on a entendu parler de projets de vente d’ordinateurs portables « génériques » à moins de
100 euros dans les pays du continent africain. Il y a quelques mois, c’était le portable à 40 euros qui
commençait à être vendu en Inde. Cela permet une utilisation individuelle des TIC par le cybernaute.
Croyez-vous quece type d’accès aux technologies numériques (en particulier celles liées à Internet et à
l’ordinateur) est plus favorable et efficace que l’accès collectif en centre public (type cybercafés…) ?
FG: Oui, et le gouvernement indien vient d’annoncer un projet d’ordinateur à 10 $. Il faudra qu’il fournisse aussi
des piles solaires rechargeables à zéro roupie, puisque la grande majorité des Indiens n’ont pas accès à
l’électricité.
BH: Comment décririez-vous la société numérique idéale ?
FG: Une société où les outils numériques seraient d’accès libre, gratuit, instantané, dépouillé de toute
publicité, où il n’y aurait plus ni de télé ni de radio d’État, où l’information serait produite par ceux qui sont
directement concernés et traduite automatiquement et simultanément dans les 5000 langues de l’humanité.
Une société où l’apprentissage à tous les âges pourrait être autogéré et mutualisé par groupes d’intérêt et
d’affinité. Et où les seules guerres autorisées seraient…virtuelles.
Sur l'intervieweur
Sur l'interviewé
Fausto Giudice peut-être contacté à :
azls2006@yahoo.fr
Source :
Tlaxcala : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=3794&lg=fr
Article original publié le 1er octobre 2007
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