, Berrett-Koehler Publisters, San Francisco,
2004, 250 p. [
, traduit par Louis Royer, Al Terre-Ariane Éditions, Inc,
Québec, 2005, 280 p.]
28 Octobre 2005
Il y a 20 ans, Perkins a commencé à écrire un livre intitulé «
la Conscience d'un Tueur à gage
Economique » Perkins écrit, « le livre à l'origine était dédié aux présidents de deux pays,
des hommes
qui avaient été mes clients et que j'ai respectés et que je tenais en estime - Jaime Roldos,
président de l'Equateur, et Omar Torrijos, président du Panama. Les deux sont morts dans
des crashs d'avion. Leurs morts n'était pas accidentelles. Ils ont été assassinés parce qu'ils
s'opposaient à l'alliance entre les dirigeants des multinationales, les gouvernements et les
banques dont l'objectif est de construire l'Empire Global. Nous, les tueurs à gages économiques,
n'avons pas réussi à retourner Roldos et Torrijos, alors un autre type de tueurs à gages, les
chacals de la CIA, qui étaient toujours dans notre sillage, sont entrés en scène.
John Perkins écrit aussi : « on m'a convaincu de ne pas écrire le livre. Je l'ai commencé
quatre fois au cours des vingt dernières années. A chaque fois, ma décision était motivée
par des événements mondiaux : l'invasion du Panama par les Etats-Unis en 1980, la première
Guerre du Golfe, la Somalie, et la montée d'Oussama Ben Laden. Cependant, des menaces et
des pots de vin m'ont toujours convaincu de m'arrêter. »
Perkins a finalement publié son livre intitulé «
Confessions of an economic hit man » [
Les confessions
d'un assassin financier]. Il est avec nous dans les studios.
AMY GOODMAN : Nous sommes avec John Perkins. Bienvenu à « Democracy Now » [titre
de l'émission - NDT]
JOHN PERKINS : Merci, Amy. Je suis heureux d'être avec vous.
AG : Et nous sommes heureux de vous recevoir. Bien, expliquez-nous ce terme « tueur à
gages économique », comme vous dites.
JP : En gros, nous étions formés et notre travail consistait à construire l'empire américain.
De créer des situations où le maximum de ressources étaient drainées vers ce pays, vers
nos multinationales, notre gouvernement, et nous avons été très efficaces. Nous avons
construit le plus grand empire de l'histoire du monde. Et nous l'avons fait au cours des 50 ans
qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, avec peu de moyens militaires en réalité. En de
rares occasions, comme en Irak, les militaires interviennent mais uniquement en dernier
recours. Cet empire, contrairement à tout autre empire de l'histoire du monde, a été crée
d'abord par la manipulation économique, par la fraude, par la corruption de personnes avec
notre mode de vie, et à travers les tueurs à gages économiques. J'en faisais partie.
AG : Et comment en êtes-vous arrivé là ? Pour qui avez-vous travaillé ?
JP : J'ai été recruté lorsque j'étais encore étudiant dans une école de commerce, à la fin
des années 60, par l'Agence de Sécurité Nationale [NSA - acronyme anglais, NDT], la plus
grande et la moins connue des agences d'espionnage du pays. A la fin, j'ai travaillé pour des
compagnies privées. Le premier tueur à gage économique était Kermit Roosevelt, dans les
années 50, le petit-fils de Teddy [président des Etats-Unis - NDT] , qui renversa le
gouvernement Iranien, un gouvernement démocratiquement élu, le gouvernement de
Mossadegh qui avait été désigné « homme de l'année » par le magazine Time. Il a réussi à
le faire sans verser de sang - enfin, il y en a eu un peu, mais sans intervention militaire, juste
en dépensant des millions de dollars et en remplaçant Mossadegh par le Chah d'Iran. A ce
stade, nous avons compris que l'idée d'un tueur à gages économique était une très bonne
idée. Nous n'avions plus à nous préoccuper d'un risque de conflit armé avec la Russie en
opérant ainsi. Le problème était que Roosevelt était un agent de la CIA. Il était donc un
employé du gouvernement. S'il avait été découvert, nous aurions eu de gros ennuis. Cela
aurait été très embarrassant. Alors la décision a été prise de faire appel à des organisations
comme la CIA et la NSA pour recruter des tueurs à gages économiques comme moi et nous
faire travailler pour des sociétés privées, des sociétés de conseil, de construction. Ainsi, si on
se faisait prendre, il n'y avait aucun lien avec le gouvernement.
AG : D'accord. Pour qui avez-vous travaillé ?
JP : Et bien, la compagnie pour laquelle je travaillais s'appelait Chas. T. Main à Boston,
Massachusetts. Nous avions environ 2000 employés, et je suis devenu leur économiste en
chef. J'avais 50 personnes sous mes ordres. Mais mon véritable job était de conclure des
affaires. J'accordais des prêts à des pays, des prêts énormes, qu'ils ne pouvaient pas
rembourser. Une des clauses du prêt - disons 1 milliard de dollars pour un pays comme
l'Indonésie ou l'Equateur - était que le pays devait retourner 90% du prêt à des compagnies
états-uniennes, pour reconstruire des infrastructures, des compagnies comme Halliburton
ou Bechtel. Ce sont de grosses compagnies. Ces compagnies ensuite construisaient des
réseaux électriques ou des ports ou des autoroutes qui ne servaient qu'aux quelques familles
les plus riches de ces pays. Les pauvres de ces pays se retrouvaient en fin de compte avec
une dette incroyable qu'ils ne pouvaient absolument pas payer. Un pays aujourd'hui comme
l'Equateur consacre 50% de son budget national juste pour rembourser sa dette. Et il ne
peut pas le faire. Ainsi nous les tenons à la gorge. Si nous avons besoin de plus de pétrole,
nous allons voir l'Equateur et nous leur disons, « Bon, vous ne pouvez pas nous rembourser,
alors donnez à nos compagnies les forêts d'Amazonie qui regorgent de pétrole. » C'est ce
que nous faisons aujourd'hui et nous détruisons les forêts amazoniennes, obligeant l'Equateur
à nous les donner à cause de cette dette. Ainsi, nous accordons ce gros prêt, et la majeure
partie revient aux Etats-Unis. Le pays se retrouve avec une dette plus d'énormes intérêts et il
devient notre serviteur, notre esclave. C'est un empire. Ca marche comme ça. C'est un énorme
empire. Qui a eu beaucoup de succès.
AG : (...) Vous dites que vous avez longtemps retardé l'écriture de ce livre pour cause de
pots de vin et d'autres raisons. Que voulez-vous dire par là ? Qui a tenté de vous acheter ou
quels sont les pots de vin que vous avez acceptés ?
JP : Et bien, dans les années 90, j'ai empoché un demi million de dollars pour ne pas écrire le livre.
AG : de qui ?
JP : d'une grosse société de construction.
AG : laquelle ?
JP : C'était la compagnie Stoner-Webster. Légalement, ce n'était pas un pot de vin. J'étais
payé comme consultant. C'était tout à fait légal. Mais je n'avais pas de travail, en réalité. Il
était entendu, comme je l'explique dans mon livre, que je n'aurais en réalité pas grand chose
à faire si j'acceptais cet argent en tant que consultant, alors qu'ils savaient que j'étais en train
d'écrire le livre qui, à l'époque, devait s'intituler « la conscience d'un tueur à gage économique ».
Il faut dire que c'est une histoire extraordinaire, c'est presque du James Bond.
AG : En tous cas, c'est l'impression que l'on en retire à la lecture du livre.
JP : Oui, et ça l'était réellement, vous savez. Lorsque la NSA m'a recruté, ils m'ont fait passer
au détecteur de mensonges pendant une journée entière. Ils ont découvert toutes mes
faiblesses et m'ont immédiatement séduit. Ils ont utilisé les drogues les plus puissantes
de notre culture, le sexe, le pouvoir et l'argent, pour me soumettre. Je venais d'une très
vieille famille de la Nouvelle Angleterre, Calviniste, fortement imprégéé de valeurs morales.
Vous savez, je crois que je suis plutôt quelqu'un de bien, et je crois que mon histoire montre
réellement comment ce système et ses puissantes drogues comme le sexe, l'argent et le
pouvoir peuvent exercer une séduction, parce que j'ai été réellement séduit. Et si je n'avais
pas mené moi-même cette vie de tueur à gages économique, je crois que j'aurais eu du
mal à croire que quelqu'un puisse faire de telles choses. Et c'est la raison pour laquelle j'ai
écrit ce livre, parce que notre pays a vraiment besoin de comprendre. Si les gens de ce pays
comprenaient la nature réelle de notre politique étrangère, la nature réelle de notre aide à
l'étranger, comment fonctionnent les multinationales, où passe l'argent de nos impôts, je
sais qu'ils demanderaient que cela change.
AG : Dans votre livre, vous expliquez comment vous avez participé à la mise en place d'un
plan secret destiné à rapatrier des milliards de dollars du pétrole Saoudien vers les Etats-Unis,
ce qui a renforcé les liens entre le régime Saoudien et les administrations successives US.
JP : Oui, c'était une époque fascinante. Je me souviens bien, vous étiez probablement trop
jeune pour vous en souvenir, mais je me souviens au début des années 70 comment l'OPEP
exerçait son pouvoir pour réduire la fourniture de pétrole. Nous avions des files de voitures
devant les pompes à essence. Le pays avait peur d'une nouvelle crise comme celle de 1929,
une récession. Et ceci était inacceptable. Alors le Département du Trésor m'a embauché avec
quelques autres tueurs à gages économiques. Nous sommes allés en Arabie Saoudite.
AG : on vous appelle réellement des tueurs à gages économiques ?
JP : oui, c'est comme ça que nous nous appellons. Officiellement, j'étais un économiste
en chef. Mais nous nous appelions les tueurs à gage économiques. C'était de l'ironie.
C'était pour dire que personne ne nous croirait si nous le disions, vous comprenez ?
Alors nous sommes allés en Arabie Saoudite au début des années 70. Nous savions
que l'Arabie Saoudite était la clé de notre indépendance énergétique, ou le moyen de
contrôler la situation. Et nous avons donc monté cet accord où la Maison Royale Saoudienne
était d'accord pour nous envoyer la majeure partie de leurs petro-dollars, et les investir aux
Etats-Unis. Le Département du Trésor utiliserait les intérêts de ces investissements pour
engager des compagnies US pour reconstruire de nouvelles villes en Arabie Saoudite, de
nouvelles infrastructures, et c'est que nous avons fait. Et la Maison Royale garantirait le prix
du pétrole dans des limites acceptables pour nous, chose qu'ils ont fait pendant tout ce temps.
En échange, nous assurions leur maintien au pouvoir tant qu'ils respecteraient l'accord, ce
que nous avons fait, et c'est une des raisons pour lesquelles nous sommes entrés en
guerre en Irak. En Irak, nous avons essayé la même politique avec Saddam Hussein,
mais Saddam n'a pas marché dans la combine. Lorsque les tueurs à gages économiques
échouent, l'étape suivante est d'envoyer ce que nous appelons les chacals de la CIA, à
savoir des personnes qui tentent de fomenter un coup d'état ou une révolution. Si ça ne
marche pas, ils recourent aux assassinats, ou ils essaient. Dans le cas de l'Irak, ils n'ont
pas réussi à atteindre Saddam Hussein. Ses gardes du corps étaient trop efficaces. Il avait
des sosies. Ils n'ont pas réussi à l'atteindre. Alors la troisième ligne de défense, si les tueurs
à gages économiques échouent et si les chacals échouent, c'est d'y envoyer des jeunes
hommes et des jeunes femmes pour tuer et se faire tuer. Ce qui est évidemment en train
de se passer en Irak.
AG : Pouvez-vous nous expliquer comment est mort Torrijos ?
JP : Omar Torrijos, le président du Panama, avait signé un accord sur le Canal du Panama
avec Carter. Vous savez que cet accord n'a été approuvé par le Congrès que par une
majorité d'une seule voix. C'était un sujet très controversée. Puis Torrijos est allé de l'avant
et a commencé à négocier avec les Japonais la construction d'un nouveau canal. Les
Japonais voulaient financer et construire un nouveau canal au Panama. Torrijos leur en
a parlé, ce qui n'a pas plus du tout à Bechtel Corporation, dont le président était George
Schultz, et son conseiller principal était Casper Weinberger. Lorsque Carter a été viré
(et il serait intéressant de raconter comment il a été effectivement viré), lorsqu'il a perdu
les élections, et que Reagan est arrivé au pouvoir, Schultz est devenu Secrétaire d'Etat
et Weinberger est devenu Secrétaire à la Défense et ils étaient très en colère contre
Torrijos. Ils ont essayé de l'amener à renégocier le traité du Canal et de laisser tomber
les japonais. Il a platement refusé. C'était un homme de principes. Il avait ses défauts,
mais c'était un homme de principes. C'était un homme étonnant. Puis il est mort dans un
crash d'avion, un magnétophone relié à une bombe avait été placé dans l'appareil. J'y étais.
J'avais travaillé avec lui. Je savais que nous, les tueurs à gages économiques, avions
échoué. Je savais que les chacals avaient été appelés. Puis son avion a explosé avec
un magnétophone piégé. Il ne fait aucun doute pour moi que c'était un travail de la CIA.
De nombreux enquêteurs latino-américains sont arrivés à la même conclusion. Bien sûr,
nous n'en avons jamais entendu parler chez nous.
AG : Et quand avez-vous changé d'idées ?
JP : J'ai toujours eu un sentiment de culpabilité, depuis le début, mais j'étais séduit. Le
pouvoir, le sexe, l'argent exerçaient une forte attirance sur moi. Et bien sûr, je faisais des
choses pour lesquelles j'étais félicité. J'étais un économiste en chef. Je faisais des choses
qui plaisaient à des gens comme Robert McNamara, et ainsi de suite.
AG : quels étaient vos relations avec la Banque Mondiale ?
JP : Je travaillais en très étroite collaboration avec la Banque Mondiale. La Banque
Mondiale fournit la majeure partie de l'argent utilisé par les tueurs à gages économiques,
ainsi que le FMI. Mais après les attentats du 11 Septembre, j'ai changé. Je savais que je
devais raconter l'histoire parce que les événements du 11 septembre sont le résultat direct
du travail des tueurs à gages économiques. Et la seule manière pour retrouver la sécurité
dans ce pays et retrouver une conscience tranquille serait d'utiliser ces mécanismes que
nous avons mis en place pour apporter des changements positifs à travers le monde. Je
crois réellement que nous pouvons le faire. Je crois que la Banque Mondiale et d'autres
institutions peuvent être changées et être amenées à faire ce qu'elles sont censées faire,
qui est de reconstruire les zones dévastées de la planète. Aider, aider réellement les pauvres.
24 000 personnes meurent de faim chaque jour. Nous pouvons changer cela.
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Retranscription d'une interview de John Perkins, un ancien membre respecté de la
communauté bancaire. Dans son livre « Confession of an economic hit man" (Les Confessions
d'un assassin financier ) il décrit comment, en tant que professionnel très bien payé,
il a aidé les États-Unis à extorquer des milliards de dollars aux pays pauvres à travers le monde
en leur prêtant plus d'argent qu'ils ne pouvaient rembourser pour ensuite prendre le contrôle
de leurs économies.
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