K r i s h n a m u r t i
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Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti
Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti
Un petit panorama des thèmes abordés par Krishnamurti lors de ses causeries ou des
échanges avec ses interlocuteurs.
Ce choix qui est tout à fait arbitraire pour ne pas dire personnel ne repose sur aucun critère.
Il ne s'agit bien sûr que des extraits d'ouvrages dont les références sont indiquées
en fin de chaque extrait.
La plupart d'entre nous se rendent compte que toutes les formes possibles de persuasion et d'incitation nous
sont offertes pour résister aux activités égocentriques. Les religions, avec leurs promesses, la menace de
l'enfer et les condamnations de toutes sortes, essayent de détourner l'homme de cette constante activité
engendrée par le centre du « moi ». Comme elles n'y réussissent pas, les organisations politiques prennent
leur suite. Là encore, les législations, de la plus simple à la plus complexe, emploient tous les moyens
possibles de persuasion — jusqu'aux camps de concentration — pour briser la résistance que l'on pourrait
opposer à leurs espoirs utopiques. Et pourtant nous persistons dans nos activités égocentriques, qui
semblent être les seules que nous connaissions. S'il nous arrive d'y penser, nous essayons de les modifier,
d'en changer le cours ; mais il ne se produit pas une transformation fondamentale en nous qui mette
radicalement fin à cette activité. Les personnes réfléchies s'en rendent compte et savent aussi qu'il ne
peut pas y avoir de bonheur tant que cette activité égocentrique ne s'arrête pas. La plupart d'entre nous
acceptent comme un fait acquis l'idée que cette activité est naturelle et que les actions qui en résultent
inévitablement ne peuvent être que modifiées, façonnées, contrôlées. Mais des personnes plus sérieuses
et plus fermes dans leur détermination (je ne parle pas de sincérité : on peut être sincère dans l'illusion)
doivent découvrir si, étant conscientes du processus total de l'activité égocentrique, il leur est possible d'aller
au delà.
Pour comprendre ce qu'est cette activité, il faut évidemment pouvoir l'examiner, la regarder, être conscient
de tout son processus. On a une possibilité alors de la dissoudre. Mais pour en être totalement conscient,
il faut avoir la ferme détermination de la regarder en face telle qu'elle est, sans l'interpréter, la modifier ou
la condamner. Il nous faut être conscients de tout ce que nous sommes en train de faire, de toute l'activité
qui surgit de l'état égocentrique. Une de nos plus grandes difficultés est que, dès l'instant que nous
sommes conscients de cette activité, nous voulons la façonner, ou la contrôler, ou la condamner, ou la
modifier, de sorte que nous sommes rarement capables de la regarder directement. Et lorsque cela nous
arrive, très peu d'entre nous savent ce qu'il convient ensuite de faire.
Nous voyons que les activités égocentriques sont nocives, destructrices ; que toute forme d'identification,
avec tel pays, tel groupe, tel désir ; que la recherche d'un résultat ici ou dans l'au-delà ; que la glorification
d'une idée ; que l'imitation d'un modèle de vertu, etc. sont essentiellement le fait de personnes
égocentriques. Tous nos rapports avec la nature, avec nos semblables, avec les idées, sont le produit
de cette activité.
Sachant tout cela, que devons-nous faire ? Toutes les activités de cette sorte doivent volontairement cesser,
et cela sans contrainte intérieure ni influence extérieure.
S'il est vrai que nous sommes souvent conscients du caractère nocif de cette activité, le désordre qu'elle
produit ne nous est perceptible que dans certaines directions, soit que nous le soyions chez autrui et
pas en nous-mêmes, soit que, le constatant en nous au cours de nos rapports avec autrui, nous voulions
transformer cette activité, lui substituer autre chose, la dépasser. Avant de pouvoir « traiter » ce processus,
il est pourtant nécessaire de savoir comment il se produit. Il faut savoir regarder une chose pour pouvoir la
comprendre et ce processus égocentrique doit être examiné dans tous ses registres, conscients et
aussi inconscients : nous devons connaître ses directives conscientes mais aussi les mouvements
égocentriques de nos mobiles inconscients et de nos intentions secrètes.
Je ne suis conscient de cette activité du « moi » que lorsque je suis en état d'opposition, lorsque la
conscience est frustrée, lorsque le « moi » est désireux de parvenir à un résultat ; ou encore lorsque
cesse mon plaisir et que je veux le renouveler, et qu'il se produit alors une résistance, un façonnement
volontaire de l'esprit en vue de me procurer un plaisir, une satisfaction. Je suis conscient du « moi » en
tant que centre d'activité lorsque je poursuis la vertu de propos délibéré. L'homme qui, consciemment,
veut être vertueux, ne l'est pas. L'humilité ne peut pas être l'objet d'une poursuite et c'est là sa beauté.
Ce processus égocentrique n'est-il pas un produit du temps ? Quelle que soit la direction où s'exerce ce
centre d'activité, consciente ou inconsciente, il m'emporte dans le mouvement du temps, je suis conscient
du passé et du présent par comparaison avec le futur. L'activité égocentrique du « moi » est un processus
de durée. C'est la mémoire qui confère une continuité à l'activité du centre, lequel est le « moi ». Si l'on
s'observe et que l'on est conscient de l'activité de ce centre, on voit qu'elle n'est que le processus du temps,
de la mémoire, de l'expérience et de la traduction de chaque expérience selon la mémoire ; et l'on voit
que cette auto-activité est récognition, c'est-à-dire aussi un processus de la pensée.
L'esprit peut-il être libre de tout cela ? Il le peut, à de rares moments. La plupart d'entre nous le peuvent
au cours d'une action inconsciente, non intentionnelle, non délibérée ; mais est-il possible à l'esprit d'être
amais complètement affranchi de l'activité égocentrique ? Il est très important que nous nous posions
cette question, car elle contient sa réponse. Si vous êtes conscient du processus total de l'activité
égocentrique, à tous les niveaux de la conscience, vous en venez forcément à vous demander si cette
activité peut parvenir à une fin. Est-il possible de ne pas penser en termes de durée, en termes de « ce
que je serai, ce que j'ai été, ce que je suis » ? Car c'est dans cette pensée-là que commence l'activité
égocentrique ; là aussi commence la volonté de « devenir » et celle de choisir et d'éviter, qui sont le
processus du temps. Et nous voyons, en ce processus, une misère, une confusion, une déformation,
une détérioration infinies.
Le processus du temps n'est évidemment pas révolutionnaire. Il n'y a pas de transformation en lui, il n'y a
que continuité et jamais de fin, il n'y a que la récognition. Ce n'est qu'avec la cessation totale du processus
du temps, de l'activité du moi, que se produit une révolution, une transformation, la naissance du neuf.
Etant conscient de ce processus entier du « moi » dans son activité, que doit faire l'esprit ? Ce n'est que
par une révolution que peut se produire un renouveau, que le neuf peut surgir, non par une évolution.,
non dans un devenir du moi, mais lorsque le moi arrive à une fin totale. Le processus du temps n'engendre
pas le neuf ; la durée n'est pas le mode de la création.
Je ne sais pas s'il est jamais arrivé à l'un d'entre vous d'avoir un moment créatif. Je ne parle pas de la
création qui consiste à mettre en œuvre une certaine vision, je parle d'un moment créatif où il n'y a pas
de récognition. Ce moment-là est un état extraordinaire où le « moi » en tant qu'activité par récognition
a cessé. Si nous sommes attentifs nous pouvons voir qu'en cet état il n'existe pas une entité qui perçoit
l'expérience, qui se souvient, qui traduit, qui reconnaît et qui ensuite s'identifie à elle ; il n'y a pas de
processus de pensée car celui-ci appartient au temps. En cet état de création, qui est intemporel et
où le neuf est créatif, il n'y a aucune action du « moi ».
Notre question est donc : est-il possible à l'esprit d'être en cet état non pas momentanément, non pas à
de rares instants, mais (je ne voudrais pas employer les mots « toujours » ou « perpétuellement » qui
impliqueraient une durée) peut-il être en cet état sans tenir compte du temps ? Voilà, certes, une
découverte importante qu'il appartient à chacun de nous de faire, car elle est la porte de l'amour ; toutes
les autres portes sont des activités de l'ego. Où est l'action de l'ego, il n'y a pas d'amour. L'amour
n'appartient pas au temps. Vous ne pouvez pas « apprendre » à aimer. Si vous le faites, ce n'est là
qu'une activité délibérée du « moi », lequel espère, par l'amour, obtenir un avantage.
L'amour n'est pas du monde du temps. Vous ne pouvez pas le rencontrer dans les chemins des efforts
conscients, des disciplines ou des identifications, lesquels sont tous des processus du temps. L'esprit,
ne connaissant que le processus du temps, ne peut pas reconnaître l'amour. L'amour est la seule chose
qui soit éternellement neuve. Mais comme la plupart d'entre nous ont cultivé l'esprit, qui est un produit
du temps, nous ne savons pas ce qu'est l'amour. Nous en parlons, nous disons que nous aimons nos
enfants, notre femme, notre voisin, les hommes, la nature ; mais dès que nous sommes conscients que
nous aimons, l'activité égocentrique surgit et ce n'est plus de l'amour.
Ce processus total de l'esprit ne peut être compris que dans nos relations avec la nature, avec les hommes,
avec nos propres projections, avec tout ce qui nous entoure. La vie n'est que relations. Bien que celles-ci
puissent être pénibles, nous ne pouvons pas les fuir au moyen de l'isolement, en devenant des ermites
ou autrement : il n'y a pas de vie sans elles. Nos tentatives d'évasions ne sont que des indications
de l'activité du moi. Mais sitôt que vous percevez tout ce processus en tant que conscience, que vous
percevez tout ce tableau dans son ensemble, sans choisir, sans avoir aucune intention délibérée d'atteindre
un certain résultat, vous voyez ce processus du temps parvenir volontairement à sa fin, sans y être
poussés par le désir d'y parvenir. Et ce n'est que lorsque cesse ce processus que l'amour « est »,
l'amour qui est neuf éternellement.
Nous n'avons pas besoin de chercher la vérité. La vérité n'est pas un objet lointain : c'est la vérité en ce
qui concerne notre esprit, en ce qui concerne ses activités, d'instant en instant. Si nous sommes conscients
de cette « vérité-du-moment », notre perception libère une certaine conscience, ou dégage une certaine
énergie, laquelle est intelligence, amour. Tant que l'esprit se sert de la conscience pour des activités
du moi, il crée la durée avec ses misères, ses conflits, ses désordres et ses illusions. Ce n'est que
lorsque l'esprit, comprenant ce processus total, s'arrête, que l'amour peut « être ».
Notes :
[1].Extrait de
La première et la dernière liberté,
Stock, 1992, pp.169-175
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