K r i s h n a m u r t i
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Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti
Extraits de causeries et d'échanges avec Krishnamurti
Un petit panorama des thèmes abordés par Krishnamurti lors de ses causeries ou des
échanges avec ses interlocuteurs.
Ce choix qui est tout à fait arbitraire pour ne pas dire personnel ne repose sur aucun critère.
Il ne s'agit bien sûr que des extraits d'ouvrages dont les références sont indiquées en fin de chaque extrait.
QUESTION — Qu'appelez-vous amour ?
KRISHNAMURTI — Nous allons découvrir ce qu'est l'amour en comprenant tout ce qui, sous le
couvert de son nom, n'est pas lui. L'amour étant l'inconnu, nous ne pourrons le connaître qu'en écartant le
connu. L'inconnu ne peut pas être découvert par un esprit rempli d'éléments connus. Ce que nous allons
faire c'est découvrir la valeur du connu, regarder le connu ; et lorsque celui-ci sera vu avec pureté, sans
condamnation, nos esprits se libéreront de lui ; et nous saurons ce
qu'est l'amour. Il nous faut donc aborder l'amour négativement et non pas positivement.
Qu'est-ce que l'amour pour la plupart d'entre nous ? Lorsque nous disons que nous aimons une personne,
qu'entendons-nous par là ? Que nous la possédons. D'où la jalousie, car si nous perdons la personne aimée
nous nous sentons vides, perdus. Donc nous légalisons la possession et cet état qui s'accompagne
d'innombrables conflits n'est évidemment pas l'amour.
L'amour n'est pas du sentiment. Être sentimental, émotif, ce n'est pas aimer car la sentimentalité, l'émotion,
ne sont que des sensations. Le dévot qui pleure sur Jésus ou Krishna, sur son gourou ou sur quelqu'un d'autre,
n'est que sentimental, émotif. Il se complaît dans une sensation, laquelle est un processus de pensée, et la
pensée n'est pas amour. La pensée est le produit des sensations. La personne sentimentale, émotive, ne
peut absolument pas connaître l'amour. Ne sommes-nous pas émotifs et sentimentaux ? C'est une façon
d'enfler le moi. Être rempli d'émotion ce n'est certes pas aimer, car la personne sentimentale peut être très
cruelle lorsque ses sentiments ne trouvent pas d'échos et ne peuvent pas s'extérioriser. Une personne
émotive peut être poussée à la haine, à la guerre, au massacre ; elle peut verser beaucoup de larmes pour
sa religion ; mais cela n'est pas de l'amour.
Et pardonner est-ce aimer ? Que comporte le pardon ? Vous m'insultez, je vous en veux et je m'en souviens ;
ensuite, par quelque contrainte ou par le repentir, je suis amené à vous dire : « je vous pardonne ». D'abord
je retiens, puis je rejette. Qu'est-ce que cela révèle ? Que je demeure le personnage central, que c'est « moi »
qui assume l'importance, puisque c'est « moi » qui pardonne. Tant qu'existe cette attitude du pardon c'est
moi qui suis important, et non pas celui qui m'a insulté. Tant que j'accumule du ressentiment ou que je nie
ce ressentiment — ce que vous appelez le pardon — ce n'est pas de l'amour. L'homme qui aime n'a pas
d'inimitiés et est indifférent à tout cela. La sympathie, le pardon ; les rapports basés sur la possession,
la jalousie et la peur ; rien de tout cela n'est l'amour, tout cela appartient à la pensée ; et dès que l'esprit est
arbitre, il n'y a pas d'amour, car l'esprit ne peut arbitrer que par le sens possessif et son arbitrage n'est que
possession sous différentes formes. L'esprit ne peut que corrompre l'amour, il ne peut pas l'engendrer, il ne
peut pas conférer de la beauté. Vous pouvez écrire un poème sur l'amour, mais cela n'est pas de l'amour.
Il n'y a évidemment pas d'amour si vous ne respectez pas réellement l'« autre », que ce soit votre
omestique ou votre ami. N'avez-vous pas remarqué que vous n'êtes pas respectueux, bienveillant,
généreux envers les personnes soi-disant « au-dessous » de vous ? Vous avez du respect pour
ceux qui sont « au-dessus », pour votre patron, pour le millionnaire, pour celui qui a une
grande maison et des titres, pour l'homme qui peut vous faire avoir une situation, pour celui dont
vous pouvez obtenir quelque chose. Mais vous donnez des coups de pied à ceux qui sont
« au-dessous », vous avez un langage spécial pour eux. Où il n'y a pas de respect, il n'y a
pas d'amour ; où il n'y a pas de charité, pas de pitié, pas d'oubli, il n'y a pas d'amour. Et comme nous
sommes, pour la plupart, dans cet état, nous n'aimons pas. Nous ne sommes ni respectueux ni
charitables ni généreux. Nous sommes possessifs, pleins de sentiments et d'émotions qui
peuvent être canalisés pour tuer, pour massacrer, ou pour unifier quelque intention ignorante et sotte.
Et comment, dès lors, peut-il y avoir de l'amour ?
L'on ne peut connaître l'amour que lorsque tout cela
a cessé, est parvenu à un terme, lorsque l'on ne possède pas, lorsque l'on n'est pas simplement émotif
dans la dévotion à un objet. Une telle dévotion est une supplication ; elle consiste à vouloir
obtenir quelque chose. L'homme qui prie ne connaît pas l'amour. Puisque vous êtes possessifs, puisque
vous cherchez un résultat au moyen de la dévotion et de la prière — lesquelles vous rendent sentimentaux
et émotifs — naturellement il n'y a pas d'amour. Il est évident qu'il n'y a pas d'amour s'il n'y a pas de respect.
Vous pouvez dire que vous êtes respectueux, mais vous l'êtes pour vos supérieurs, c'est le respect du
quémandeur, le respect de la crainte. Si vous éprouviez réellement du respect, vous seriez respectueux
envers ceux qui sont le plus bas, comme envers les personnes soi-disant supérieures. Puisque vous n'avez
pas cela, vous n'avez pas d'amour. Combien peu d'entre nous sont généreux,. cléments, charitables !
Vous l'êtes moyennant bénéfice ; vous êtes charitables lorsque vous voyez que cela peut vous rapporter
quelque chose. Mais dès que tout cela disparaît, dès que cela n'occupe plus l'esprit et que les choses de
l'esprit ne remplissent pas le cœur, il y a de l'amour. Et l'amour seul peut transformer la folie actuelle, la
démence du monde. Les systèmes et les théories de la gauche ou de la droite n'y feront rien. Vous n'aimerez
réellement que lorsque vous ne posséderez plus, lorsque vous ne serez pas envieux et avides, lorsque
vous aurez du respect, de la compassion, de la bienveillance, de la considération pour votre femme, vos
enfants, vos voisins et vos malheureux domestiques.
On ne peut pas « penser » à l'amour, on ne peut pas le cultiver, on ne peut pas s'y exercer. S'entraîner à
aimer, à sentir la fraternité humaine, est encore dans le champ de l'esprit, donc ce n'est pas de l'amour.
Lorsque tout cela s'est arrêté, l'amour entre en existence et alors on sait ce qu'est aimer. L'amour n'est ni
quantitatif ni qualificatif. Lorsqu'on aime, on ne dit pas : « j'aime le monde entier » ; mais lorsqu'on sait aimer
une personne, on sait aimer le tout. Parce que nous ne savons pas aimer une personne, quelle qu'elle soit,
notre amour de l'humanité est fictif. Lorsque vous aimez il n'y a ni « une » personne, ni « les hommes », il n'y a
que l'amour. Ce n'est que par l'amour que nos problèmes peuvent être résolus et que nous pouvons
connaître la joie et la félicité.
Notes :
[1]. Extraits de :
L'éveil de l'intelligence,Stock, 1992, pp. 305-309
Crédits photos :
- Vignettes 1 : Collection personnelle.
- Vignette2 :
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